CHAPITRE 13 : Laisser lever la pâte une deuxième fois

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Les jours défilaient comme des nuages en cartons suspendus à un fil dans un ciel sans fin.

Depuis l’effondrement du commandant Le Bellec, Morvan était englouti dans les marécages administratifs : rapports internes, auditions, remontées hiérarchiques... Le dossier s’épaississait à mesure qu’on pénétrait dans le labyrinthe mental de l’ancien supérieur. La corruption du journaliste n’était qu’un fragment du délire paranoïaque qu’avait entretenu Le Bellec pour faire tomber la maire de Ploudévennec. Il avait tout tenté : usurpation d’identité, fausses promesses de crypto-fortunes, courrier anonyme de dénonciation, infiltrations grotesques. Tout avait échoué, sauf l’horreur finale. Derrière l’uniforme trop repassé, se cachait un homme désaxé. “Qui aurait imaginé que derrière cet homme toxique et agressif se cachait un psychopathe ?” se demanda Morvan, avant de répondre à sa propre question : “Moi, je le savais en fait”.

L’affaire Véron, quant à elle, était engluée comme un goéland dans une marée noire. Pas une ligne dans le journal régional, pas un mot au journal TV. Aucune réaction sur les réseaux sociaux. Pas un appel de la famille, d’amis. L’enterrement s’était tenu sous une pluie fine, accompagné seulement de Morvan, Jacky, le prêtre et un chien mouillé qui cherchait de la chaleur humaine.

Même la Laitière était passée à autre chose, elle s’était lancée à corps perdu dans un partenariat juteux avec le pâté Hénaff.

Tout le monde s’en foutait, de l’affaire Véron.

Jacky, lui, s’ennuyait ferme. Il tournait en rond et usait le plafond à force de le regarder.

  • Je peux faire des photocopies ? demanda-t-il.
  • T’as déjà vidé tout le papier ce matin.
  • Je peux nettoyer la machine à café ?
  • Tu l’as astiquée trois fois aujourd’hui. Je dois mettre des lunettes de soleil pour la regarder

Jacky feuilleta au hasard un dossier, sans conviction.

  • Et l’homme au couteau sur la plage de Kerminou ?
  • Faux signalement. Il pêchait des couteaux de mer.

Il se laissa glisser dans son fauteuil, bras et moustache ballants.

  • Je ne sers plus à rien, soupira Jacky. Je vais devoir retourner à la niche. Direction l’Ehpad. Fini, l’adrénaline. Rebonjour, la naphtaline.
  • Tu vas pas finir ta carrière sur un bide pareil, si ?
  • La vie, Morvan, se finit toujours par un bide.

Morvan claqua un dossier, se leva d’un bond et vint se planter devant lui, les poings sur les hanches. Il avait ce regard d’homme prêt à déclamer un discours viril.

  • Écoute-moi bien, Jacques Le Fur, brigadier de Ploudévennec. Ce n’est pas comme ça qu’on boucle une carrière. On est les derniers à croire que Véron mérite justice. Si on laisse tomber, c’est un meurtre qui restera impuni. Moi, je veux pouvoir me balader dans les rues de Ploudévennec sans me demander si la personne que je salue n’est pas un foutu meurtrier.

Jacky haussa un sourcil. Ce genre de tirade “version série US, saison 5 épisode 3” ne marchait plus. Il allait répondre quelque chose de sarcastique quand le téléphone sonna.

Soudain, un coup de téléphone brisa le silence. ll se dirigea vers le combiné en bakélite.

— Brigade de Ploudévennec, Brigadier Jacque le Fur à l’appareil.

Un silence. Puis une voix. Hachée, comme passée dans un mixeur.

— Véron avait un amant.

Jacky appuya sur le bouton du haut-parleur. Morvan, derrière lui, se figea.

— Qui êtes-vous ?

— C’est tout ce que vous aurez. Pour l’instant.

— Attendez !

— Crêperie Moderne, rue de la Grève. Demandez au patron. Il sait.

Bip. Bip. Bip.

Jacky et Morvan se regardèrent. Une bouffée d’air frais venait de ranimer l’enquête moribonde, au moment le plus inespérée.

— Tu crois que c’était une vraie info ? demanda Jacky.

— Je sais pas. Mais c’est l’heure du déjeuner, et je ne résiste pas à une crêpe.

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