CHAPITRE 16 : Placer au four 20/25 min à 180°C
Cela faisait une semaine que Morvan devait supporter les quatre cavaliers de l’apocalypse hospitalière : la chaleur insupportable faute de climatisation, la blouse ouverte dans le dos, les plateaux repas et l’urinoir portatif.
Les fractures multiples consécutives à sa mésaventure culinaire se résorbaient lentement et il commençait enfin à bouger ses doigts.
On toqua à la porte.
Enfin de la visite. Il savait qui venait. Son sens de l’observation ne le trompait pas. Il avait entendu des petites voix guillerettes, sur le parking d’abord, puis dans les couloirs. Et surtout, il était 18h, l’heure à laquelle sa petite famille venait le visiter, comme tous les jours.
- Papa ! s’exclama sa cadette en courant vers son lit.
Elle s’immobilisa net à un mètre de lui, les bras grands ouverts.
- Câlin de loin !
Morvan sourit de toutes ses dents et écarta les bras à son tour pour accueillir le câlin virtuel. Le premier jour de l’hospitalisation, l’enthousiasme de sa fille lui avait valu une côte fêlée supplémentaire. Mais n’importe quelle douleur restait supportable tant que sa famille se tenait près de lui.
Sa fille aînée lui posa un baiser sur le front et Françoise l’imita.
- Comment ça va, aujourd’hui ?
Il désigna sa table de chevet.
- Je suis comme à la maison. Une pile de livres à lire qui grandit comme pousse le haricot magique
Elle lui tendit un roman supplémentaire.
- Celui-là te plaira. Il s’agit d’un flic qui résout une enquête sans se lever de son lit d’hôpital.
Morvan sourit, feuilleta l’ouvrage et le posa au sommet de sa pile. Il le lirait ce soir. Ou demain.
- J’ai délégué l’enquête à Jacky. Un arrêt-maladie, c’est sacré. J’espère qu’il a trouvé quelque chose, mais je n’ai pas envie d’entendre parler de cette affaire.
Deux coups à la porte. Jacky passa sa bonne bouille dans l’embrasure.
- Quand on parle du loup ! s’exclama Jacky, les bras chargés de cadeaux.
Il distribua des fleurs à François, des chocolats à Françoise, un sachets de bonbons goût Breizh Cola à la plus petite et un manga 100% breton : “Breizh Haroz” à l’aînée.
- “Les héros bretons”, traduisit la plus grande, enthousiaste. C’est les aventures de BreizhMan, le Batman breton, ils en parlent partout à l’école ! Merci, Jacky !
Après les remerciements d’usage, Françoise se tourna vers Jacky.
- Où en est l’enquête, mon cher Jacky ? Mon mari est muet comme une kouignette.
- J’ai interrogé le crêpier. Il n’était pas l’amant de Véron, mais ils se connaissaient. Ils avaient fréquenté la même école de Commerce. Véron l’avait aidé à financer sa crêperie, mais n’avait plus assez d’argent pour le renflouer. Le crêpier et lui se sont disputés.
- Et donc c’est lui qui l’a tué ?
Une infirmière entra en poussant le chariot du repas. La conversation s’arrêta aussitôt. Dès qu’elle repartit, elle reprit.
- Hélas, non. le crêpier a un alibi aussi dense que son tofu. Il avait un rendez-vous à la banque le jour du meurtre. Le banquier a confirmé.
- Donc on est comme Véron, au point mort, conclut Morvan sous ses bandages.
- Tiens, ça t’intéresse quand même, finalement ? rigola Françoise.
Elle se tourna vers Jacky.
- Dans les films, le flic blessé arrache ses perfusions et fausse compagnie au personnel soignant dès qu’ils ont le dos tourné. Mon François, lui, reste assis bien sagement, il attend que la bonne conscience du tueur le pousse à se dénoncer de lui-même.
Morvan ronchonna.
- C’est notre Derrick national, ajouta Jacky avec fierté.
- Mais je t’aime, mon petit militaire, ajouta sa femme avec un sourire. Je t’aime comme tu es. Je ne veux pas que tu sautes par la fenêtre. La vie ne place pas par hasard des poubelles pour amortir la chute.
La cadette arrêta de manger le plateau repas de son père. Les joues gonflées comme un hamster, elle déclara en postillonnant de la mie de pain :
- Tiens, che matin, j’ai vu la machcotte de kouignette qui dépassait d’une poubelle près de l’école.
Une alerte s’alluma dans le cerveau de Morvan. La mascotte. Présente depuis le début. Sous leur nez. Jamais interrogée. Une évidence.
- Comment se comporte ton instituteur depuis la fête du Kouign ?
- Il est bizarre. Toujours de mauvaise humeur, il pète les plombs pour rien, il s’est mis en arrêt plusieurs fois. On le reconnaît plus !
Morvan se releva et poussa un cri de douleur.
- Jacky, fais un tour à la poubelle en face de l’école Diwan, et demande à analyser le gant de la mascotte.
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