Tisane et peinture

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La fièvre restait supportable, mais vertiges et douleurs me clouaient au lit. Malheur ! Quelques jours avant la venue des invités ! Les derniers jours ayant été froids, la maladie ne m’avait pas épargnée. Malgré ma solidité, je souffrais régulièrement des maux que provoquaient les caprices du temps. Après une violente quinte de toux qui me brûla la gorge, ma tête se reposai brusquement sur l’oreiller. Au-dessus de moi, Réginald, arborant son habituel air penaud, s’inclina légèrement.

— Souhaitez-vous tout de même manger quelque chose, Lady Aveline ?

Mes paupières tombaient, lourdes comme des sacs de sable. Le corps endolori, il me semblait avoir traversé la mer à la nage !

— Réginald, articulai-je d’une voix émoussée, avaler ma salive est déjà un vrai supplice…

Il prit un air compatissant.

— Puis-je faire quelque chose ?

— Allez prévenir M Alcott que je ne pourrais pas suivre de leçon, aujourd’hui.

Le majordome approuva et quitta la pièce de sa démarche de pantin. Suivant les recommandations de notre maître d’armes, je faisais preuve d’assiduité dans mes entraînements qui étaient plus réguliers. Ravi, Gareth avait souligné que bientôt, j’arriverais à un niveau similaire au sien.

« Tout est dans la discipline, Lady Aveline ! La discipline ! » tonnait-il encore dans ma tête.

Malheureusement, cette fois-ci, la maladie l’emportait sur cette dernière.



Quelques jours auparavant, j’avais accompagné Père lors de sa prise de parole sur la grande place. La foule avait répondu présente. Sans préparation, Lord Alistair, maître orateur, sut convaincre. Quelques récalcitrants, mécontents, tentèrent de protester, mais la fermeté du duc mit rapidement fin aux hostilités. Les rumeurs persistaient, mais après tout, il y en avait toujours eu. Des vertes et des pas mûres, d’ailleurs ! Les liaisons secrètes des dames De Rosemere avec des soldats ou des poètes de passage ; les tunnels creusés sous la villa pour y cacher des trésors inestimables ; les opposants enterrés dans les jardins, nourrissant la roseraie de leurs dépouilles pour assurer sa beauté et sa longévité ; sans oublier le théâtre érigé en 1579 par Cédric De Rosemere, hanté par une femme qu’il aurait aimée dans le secret, responsable des rares incidents survenus depuis. Rosemere, en cité digne de ce nom, possédait son lot de récits burlesques.



Je n’eus de cœur que pour le sommeil, la seule activité à laquelle je pouvais encore me livrer. Mais le répit fut de courte durée : à peine la porte se referma-t-elle doucement que mes yeux s’ouvrirent aussitôt. La lumière extérieure m’était insupportable. Mes paupières papillonnèrent, et je dus me concentrer pour distinguer clairement la personne qui se tenait à l’entrée.

— Mademoiselle Marrowe ?

Ma voix, encore rocailleuse, ne portait guère loin, mais elle sembla tout de même l’atteindre.

— Bonjour, Lady Aveline. J’ai eu vent de votre état, je me suis donc permis de vous rendre une petite visite.

Elle s’avança doucement, son corps se mouvant avec une grâce naturelle.

— C’est… gentil de vous soucier de moi, répondis-je, surprise.

— Le temps est si variable qu’il suffit de peu pour tomber malade.

Elle posa délicatement sa main sur mon front. Elle était délicieusement douce. La fièvre fondit temporairement dans ce qui m’apparut comme une caresse.

— Sans vouloir vous offenser, je crains de ne pas être une fleur, mademoiselle l’herboriste, ris-je, évitant de peu la quinte de toux.

— Pourtant, vous n’êtes pas si différente d’elles…

Mes joues s’empourprèrent. Isolde m’examina brièvement puis caressa son menton. Je pouvais imaginer les rouages de son cerveau tourner à plein régime.

— Je pense pouvoir vous concocter une infusion médicinale, m’assura-t-elle.

— Vous aurais-je injustement sous-estimée, l’autre jour ?

Je crus déchirer ma propre gorge. Mon gosier semblait rempli de sable, grinçant à chaque mot.

— C’est possible ! s’exclama-t-elle en m’adressant un clin d’œil. Je reviens rapidement, Lady Aveline.

Et elle tourna les talons pour quitter la pièce, portée par le vent. Elle débordait d’énergie ! Quelle mystérieuse demoiselle... Je ne cessais de l’observer depuis son arrivée. À vrai dire, j’étais très intriguée. Isolde Marrowe transportait quelque chose avec elle. Cela se répandait dans l’air, embellissait la flore et apaisait l’esprit. Je lui avais peu parlé, non seulement parce que ma nature ne portait guère au bavardage, mais surtout parce qu’elle m’intimidait plus que je ne voulais l’admettre. Cependant, durant nos échanges de banalités, devant la roseraie ou près d’une fontaine, j’avais ressenti une douce sensation de plénitude. La voix de Mlle Marrowe avait ce don rare de vous emporter dans ses récits. Était-ce son parfum aux notes de bergamote, de lavande sauvage et de bois de santal qui enivrait quiconque le humait ? Ou était-ce sa personne ? Cette femme était une énigme. Un mystère dans lequel on voulait se perdre. Je ne savais rien d’elle, et pourtant, elle semblait lire en moi sans effort. Qui était-elle, à l’intérieur ?



Tandis que je laissais tourbillonner les centaines de questions dans mon esprit, Isolde Marrowe revint, tenant une tasse en céramique fumante. Elle m’offrit la tisane avec précaution.

— Cela sent si bon… déclarai-je d’une voix râpeuse, manquant de m’étrangler. Je décèle des notes sucrées.

— Vous avez un excellent odorat. Il s’agit d’une infusion de sureau, avec une touche de miel pour apaiser la gorge. Cela devrait faciliter votre convalescence.

Je bus une lampée. La température de l’infusion était parfaite. Elle était délicieuse.

— Merci infiniment, mademoiselle Marrowe. Vous êtes très attentionnée, souris-je, pleine de gratitude.

L’herboriste rendit mon sourire et admira l’intégralité de la pièce avec des yeux d’enfants. C’était sûrement la première fois qu’elle mettait les pieds dans une chambre de ce genre. Elle la parcourut, tournoyant sur elle-même.

— Vos appartements sont magnifiques, madame, prononça-t-elle avant de s’arrêter près de mon chevalet. Vous peignez ?

— De temps à autre.

— Vous avez le sens du détail. Pour preuve, les parterres sont parfaitement symétriques ! Et puis, les ombrages sont très appliqués. On dirait que rien ne vous échappe, Lady Aveline.

Elle me cernait très facilement.

— Effectivement… Puis-je vous faire une confidence, mademoiselle Marrowe ?

Elle approuva, tout ouïe. Je me redressai un peu dans mon lit et sentis ma tête tanguer de gauche à droite.

— Je vous observe beaucoup. D’ici, j’ai une vue parfaite sur les jardins, et il m’arrive de vous apercevoir près de la roseraie.

Me raclant la gorge, je dus ordonner mes mots pour ne pas l’effrayer. La curiosité n’est certes pas un défaut, mais elle peut parfois sembler intrusive !

— Je ne sais pas comment l’exprimer... Vous complétez cette fresque sur laquelle je travaille depuis plusieurs semaines. J’ai songé à vous y intégrer, puis je me suis dit qu’un portrait vous mettrait bien plus en valeur.

Son regard trembla, oscillant entre surprise, inquiétude et effroi. Un frisson glacé semblait courir le long de sa nuque.

— Moi ? En tableau ? Je ne sais pas si je suis un modèle de qualité…

— Nous pourrons vérifier cela une fois que je serai remise sur pieds. Cela fait longtemps que je n’ai pas peint de visage. Et puisque vous êtes indisposée le jour, et que mes soirées sont bien vides…

Elle rougit. Son minois n’en était que plus tendre et délicat. Isolde était pure, sans artifice.

— Eh bien… Ce sera un grand honneur, Lady Aveline !

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