Chapitre IV
Écrire sans papier : liberté ou vertige ?
Écrire sur un écran, c’est s’affranchir des contraintes matérielles. Pas de ratures visibles, pas de pages à tourner, pas de limites physiques. On peut effacer, recommencer, déplacer les mots comme on respire. Cette fluidité donne une impression de liberté absolue comme si l’écriture devenait un espace sans murs. Mais cette liberté a son revers. L’absence de matière, de texture, peut aussi désorienter. Où commence le texte ? Où finit-il ? Sans trace tangible, l’écriture semble parfois flotter, insaisissable. Le vertige vient de là : de cette sensation que tout peut disparaître d’un clic, que rien n’est vraiment fixé. Alors, écrire sans papier, est-ce s’émanciper ou se perdre ? Peut-être les deux. Peut-être que le numérique nous oblige à redéfinir notre rapport à la mémoire, à la trace, à l’engagement que représente chaque mot posé.
Les avantages (fluidité, accessibilité, effacement possible)
Les avantages : fluidité, accessibilité, effacement possibleÉcrire sur un écran, c’est comme danser en chaussettes sur du parquet : ça glisse, ça virevolte, ça rebondit. La fluidité est reine. On déplace les mots comme des meubles dans un studio trop petit : un coup de flèche, un glissement de souris, et hop, la phrase change de place sans demander son avis. Pas de ratures, pas de gribouillis façon Picasso sous caféine. Juste une élégance numérique, presque trop propre pour être honnête.
Côté accessibilité, c’est le grand luxe. On peut écrire en pyjama, dans le métro, ou entre deux bouchées de croissant. Plus besoin de chercher un stylo qui fonctionne ou de supplier un carnet de ne pas se refermer tout seul. L’écran est là, fidèle compagnon, prêt à accueillir nos élans littéraires ou nos divagations existentielles à 2h du matin. Et l’effacement, ah… le doux pouvoir de faire disparaître une phrase comme si elle n’avait jamais existé. Une mauvaise idée ? Ctrl+Z. Une déclaration trop audacieuse ? Delete. C’est magique. On devient maître du temps, du texte, du ton. On peut écrire sans filet, sachant qu’un clic suffit pour tout recommencer. C’est grisant, presque trop facile… mais tellement jouissif.
Les inconvénients : vertige, absence de trace, illusion de maîtriseÉcrire sans papier, c’est aussi comme cuisiner sans plan de travail : tout flotte, tout glisse, et on ne sait plus où on a posé la spatule (ou le verbe). Le vertige s’installe doucement, comme un mal de mer dans une mer d’octets. Où commence le texte ? Où finit-il ? On scrolle, on clique, on perd le fil, et parfois même le sens. C’est l’écriture version trampoline : on rebondit, mais on ne sait jamais où on va atterir.
L’absence de trace est traîtresse. Pas de pages cornées, pas de taches de café, pas de gribouillis nerveux dans la marge. (pas même l’ombre d’un éclat de chocolat ou la caresse d’un vin blanc moelleux, n’est-ce pas, YDOLEM ?). Rien. Et pourtant, dans ce rien, tout demeure : l’intention, le frisson, le passage furtif d’une pensée comme un parfum qui s’attarde sans jamais se montrer. Le texte est là, mais il pourrait tout aussi bien ne jamais avoir existé. Un bug, une mauvaise sauvegarde, et pouf, envolé comme un ex qui ne laisse même pas une brosse à dents derrière lui.
Et cette illusion de maîtrise, alors… On croit dompter les mots, les aligner comme des soldats bien dressés. Mais en vérité, on les manipule comme des chats : ils font ce qu’ils veulent, quand ils veulent. On efface, on recommence, on perfectionne… et on finit par se perdre dans une boucle infinie de “presque parfait”. Le numérique nous donne le pouvoir, certes, mais aussi la tentation de ne jamais s’arrêter.
L’art de lâcher prise Et si le vrai courage, c’était d’accepter l’imperfection ? De laisser une phrase bancale vivre sa vie, de publier sans relire une dixième fois, de faire confiance à ce qui déborde, ce qui tremble, ce qui échappe. Car dans le flou, dans le presque, dans le pas tout à fait, c’est là que réside la vérité d’un texte. Pas dans sa maîtrise, mais dans son abandon.On pourrait encore corriger. Encore peaufiner. Mais parfois, il faut juste laisser les mots respirer. Et s’éloigner doucement.
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