Chapitre 2°) le rouge est la couleur de la passion

11 minutes de lecture

En entrant dans la sororité, je reconnus l'une des employées de la médiathèque municipale. Je doutai que quiconque eusse entendu le "bonjour" que je lançai à la documentaliste.

J'avais honte de ne toujours pas retenir son prénom après cinq ans...

Je me demandai comment les passants avaient réagi en entendant mon murmure j'avais toujours l'impression qu'ils me regardaient bizarrement et me trouvaient crispée.

Bon, pour ça, je soupçonnais mon ancien "travail".

J'avais pris cette mauvaise habitude quand, avant de travailler au manoir Per, je faisais du volontariat, j'avais reçu des reproches.

D'aucuns me trouvaient trop froide alors j'ai pris l'habitude de saluer les gens sans penser à quoi je devais ressembler en le faisant.

En y repensant, je me dis que mon volontariat n'avait pas été la période la plus heureuse de ma vie, il m'avait certes permis de rencontrer le charmant Kave Per,  qui m'avait pour rappel pistonnée pour que je puisse travailler en tant que commise de cuisine pour ses parents, mais ça avait laissé une marque d'horreur dans ma mémoire.

   Je ne savais pas ce qui était le pire, le fait que j'avais dû gérer des enfants sans avoir été formée ou, à l'époque, que je n'avais toujours pas réalisé quel "handicap" me parasitait...

Carla posa sa main sur mon épaule. Son sourire était adorable, malgré la multiplication des conversations des invités, elle me chuchota:

- Si tu veux rentrer, c'est pas grave...

       Je voulais me mettre le plus loin possible des autres, je n'avais pas envie qu'on découvre que je fuyais le regard. Et si jamais quelqu'un venait m'interpeller, par exemple, les membres d'un club profitant des lieux, il allait falloir parler... C'était chiant!

Admettons que j'emploie une mauvaise intonation, l'interlocuteur ou l'interlocutrice pouvait aboyer parce qu'il ou elle pensait que j'étais en train de m'énerver pour un rien...

Et je ne parlais pas de ce qui arriverait si jamais je disais quelque-chose qu'il ou elle interprétait mal...

      Heureusement que personne ne lisait les pensées, on m'aurait pris pour une connasse! ("Prise"?)

    Suivie par Carla, j'entrai dans une grande salle où avaient été disposées plusieurs tables.

       Je trouvai une bonne place, malheureusement, je me rendis compte que j'avais le soleil dans les yeux... Déjà qu'il m'arrivait de voir flou, si, en plus je me laissais aveugler.

      Je me demandai vraiment pourquoi j'avais accepté l'invitation de Carla. Cette réunion devait être réservée aux étudiants et aux personnes souhaitant faire du volontariat, voire du bénévolat, pour la fondation "Nomoru Annette", or je n'étais ni l'un, ni l'autre.

Un message du téléphone de Carla le fit vibrer.

Elle réagit au quart de tour.

C'était comme si un esprit en forme de lionne rouge et jaune était sorti de son corps. Ce métaphorique torrent de flammes envahit l'étudiante.

Nous filâmes donc vers une autre fraternité... Pour être plus précise, je suivais la fille Per, parce que j'avais envie de voir qui elle comptait tuer.

Le bâtiment que ciblait Carla arborait désormais un symbole que je voyais de plus en plus souvent sur les réseaux sociaux.

C'était une sorte de "2" dépourvu de sa barre horizontale, remplacée par deux ailes de libellules pointues. On aurait dit des brins d'herbe soufflés par le vent, ou une flamme. Je vous mettrai un dessin, je ne vois pas comment décrire ce logo.

J'arrivais un peu avant la fille de mon employeur pour regarder par la fenêtre, j'essayais de deviner l'identité de la victime.

Dans la fraternité où Carla se précipitait, une femme était en train de vérifier les slogans des affiches. La mère d'un des étudiants appelait ses amis. Un garçon assis sur les marches de l'escalier écrivait quelque-chose sur son ordinateur.

Deux amies étaient en train d'accrocher les guirlandes bariolées devant la porte d'entrée. Toute la fraternité avait été redécorée, tous les locataires préparaient la manifestation à venir. Un couple discutait tout en posant du glaçage sur un gâteau.

Je reconnus le garçon qui donnait des indications à ses amis. La photo de jeune homme a été un moment affichée dans le salon avant d'être placée dans la chambre de Carla.

Sur le mur. Mitraillée de marques prouvant des coups de fléchettes.

Marco, lisant une carte, était en train d'organiser le tour de la ville. Ses amis et lui devaient s'assurer de toucher le plus de monde possible.

L'étudiant se fit appeler par une jeune femme qui avait besoin d'aide pour décorer un char.

Marco aurait bien voulu l'aider, mais ce fut à ce moment que les portes s'ouvrirent en grand, manquant de faire tomber de leurs escabeaux les deux étudiantes qui accrochaient la guirlande de triangles.

La jeune héritière qui entra observa la scène, un immense dégoût marqua son beau visage. 

Je reconnus ce regard: Carla avait envie de brûler cet endroit. Elle voyait des panneaux arborant des symboles païens traditionnels barrés, des représentations de sorcières de contes de fée volant sur leur balai rayées et des photos hypocrites d'un père et d'une mère protégeant leurs enfants contre toutes sortes de créatures fabuleuses.

- Pourquoi ça ne m'étonne pas? Au moins, l'environnement est cohérent avec le chef d'inculpation! grogna Carla.

- Je peux savoir ce tu fais ici? demanda Marco en croisant les bras.

L'index inquisiteur de l'étudiante pointa l'étudiant qui l'avait interpelée. Les fidèles de Sîn étaient très surpris de voir Carla Per en personne débarquer ici.

Je pus presque voir la foudre émerger du doigt de la jeune femme et carboniser son ex-petit ami. C'était agréable de voir tout le monde réaliser qui était ma Carla!

Ces traits Cherokees, ce regard de feu et cette silhouette fine ne laissaient aucun douter planer sur l'identité de l'intruse.

Reconnue de toutes et tous, la jeune femme avait avancé jusqu'à sa cible, à côté d'elle, des adolescents étaient en train de découper et d'agrafer des manifestes de foi appelés «Comment la sorcellerie vous détruit !». L'étudiante à la casquette préféra ignorer ce répugnant spectacle et continua de fusiller du regard un certain jeune homme :

- Marco! Je t'ai laissé ta chance, mais là, je pense que ça va finir au tribunal !

- De quoi tu parles? J't'ai rien fait! lâcha l'étudiant perdu.

- Alors déjà si, sinon j't'aurais pas largué... Ensuite, le "club de magie", ça te dit un truc?

Carla avait osé prononcer le mot commençant par un "M"... L'une des fillettes présentes sursauta. Le reste de l'assemblée écarquilla les yeux, fixant l'insolente avant de baisser les yeux. Marco répondit:

- Ah... Ces bouffons... Évidemment que je les connais!

- Tu peux que les connaître. J'ai laissé passer quand ils se prenaient tous les mails et courriers pas possibles de votre sec... Église. J'ai laissé passer quand tu as balancé je-ne-sais-quelles conneries sur les réseaux... Mais là, non seulement, tu as agressé une pauvre gamine, mais en plus tu gâches leur fête !

- Je vois pas de quoi tu parles... mentit Marco.

Le jeune homme se tut quand la poigne de fer de la jeune Cherokee se referma sur ses joues, déjà quand ils sortaient ensemble, il avait remarqué à quel point elle était forte malgré son apparente minceur.

Si Carla avait voulu broyer le visage de Marco, je suis certaine qu'elle y serait parvenue. Il lui aurait suffi de réunir son pouce et ses autres doigts. Raison de plus de comprendre que c'était une dhampiresse!

- Laisse-moi te rafraîchir la mémoire dans ce cas. grinça Carla.

La jeune femme fit violemment tomber un objet rectangulaire sur la table et tourna la tête de son adversaire dessus. C'était un dossier:

- Tu trouveras ici une photocopie de toutes les preuves que le club de magie a réunies...

Je n'avais jamais pensé à lui demander ce qu'était ce document qu'elle transportait toujours.

Le dossier contenait des photos prises lors de la fête qui avait été interrompue par l'intervention de l'Église de la Prophétie de l'Élu, des témoignages des membres du club qui avaient été harcelés par Marco et même la copie de l'enregistrement d'une conversation téléphonique.

- Tout ce que l'E.P.E fait, c'est se défendre contre la sorcellerie ! répondit Marco.

- Et alors? Le club de magie vous a attaqués? Allô ! Depuis quand ils ont des pouvoirs magiques?

Tout le monde restait silencieux, même Marco bafouillait. C'était quand même une Per!

- La pratique de... commença Marco

- La pratique de quoi? C'est juste un club qui étudie l'Histoire et la philosophie des sciences occultes.

- C'est pas étonnant de ta part, ton ancêtre était mongol. marmonna Marco.

- Lennox pratiquait le vaudou, les fidèles de Sîn ont bien le droit de pratiquer leur religion, eux.

- C'est pas pareil! se défendit Marco.

- EN QUOI?

J'avais l'impression que Carla et Marco avaient déjà eu cette conversation.

La dispute qui opposait les deux anciens amoureux était bruyante.

D'après l'héritière des Per, le "club de magie" de l'université Per n'était qu'une association de wiccans, de néo-païens et de houngans, ils avaient même accueilli quelques pratiquants des religions Abrahamiques et non-croyants.

Pour Carla, c'étaient juste des jeunes qui s'amusaient en organisant des soirées à thèmes et qui essayaient de mieux comprendre leur spiritualité, pour le clergé de l'E.P.E, les actions du groupe de Marco étaient justifiées: ils croyaient que la magie était un danger.

- Je laisse tomber, t'es vraiment trop c*n! Bon, ben, on se reverra au tribunal quand tes victimes se vengeront.

Pendant qu'elle passait à côté d'une femme qui découpait du papier, la jeune étudiante entendit ce que Marco disait tout bas:

- C'est ça, qu'elle retourne auprès de sa débile d'amie !

Shlak!

Tous les étudiants réunis autour de la table sursautèrent. Une paire de ciseaux venait de passer juste à côté de Marco et s'était plantée dans le mur!

- Tu m'apprendras le lancer de couteaux, s'teuplaît? commentai-je.

Le sang bouillonnant, Carla allait avoir besoin de moi, je devais l'empêcher d'incendier la voiture de son ex-petit ami. Quand elle avait été à l'intérieur de la fraternité, elle avait remarqué que certains membres mettaient le nom de "Salem" dans leurs slogans.

Mais bien sûr, tout le monde savait que le problème de la ville la plus célèbre du Massachusetts avait été les sorcières et non pas les crimes de la famille Putnam et des meilleurs amis des riches.

Carla retourna à la sororité où était réunie une partie de la fondation de sa grand-mère, il y avait quelques adhérents du "club de magie", elle se demanda si l'E.P.E n'avait pas loué les locaux de sa propre fraternité uniquement par défiance. Plusieurs femmes étaient réunies en cercle.

J'ignorais que pendant une célébration bénévole, on pouvait organiser un cercle de discussion philosophique. 

Les étudiants me corrigeront.

Je notai :

- Je pourrais faire une bonne kunoichi, je pense.

- Une femme ninja? C'est vrai qu'à part l'autre c*n, personne ne t'a remarquée... me répondit Carla.

Le Soleil qu'était Carla avait camouflé la petite lune que j'étais. Je croisais le gorille qui avait voulu me recaler, il baissait les yeux, j'en profitai pour lui demander:

- Je peux vraiment venir même si je suis pas étudiante ? demandai-je.

Ce fut à ce moment que je réalisais qu'il risquait de me prendre pour une sadique.

- Après tout ce que Carla et sa mère ont fait pour cette ONG, les membres de la sororité auraient accepté ton intrusion même si le règlement intérieur l'interdisait! plaisanta la cheffe de l'assemblée formée en cercle.

Le gorille n'aurait de toute façon même pas pris la peine d'ouvrir la bouche en présence de l'étudiante Cherokee.

- Et au passage, c'est ma grand-mère qui l'a fondée.

Je jetai un œil aux différentes affiches de la grande salle, rien à voir avec les superstitions de la fraternité voisine, il y avait un portrait de notre regrettée Annette, quelques flyers faits d'une matière recyclée dont je n'avais pas retenu le nom et une carte de Mockingcrow sur laquelle étaient mises en valeurs les propriétés des Per.

Mockingcrow... Faite pour moi.

Cette ville perdue au milieu des forêts de l'Oklahoma était connue pour être l'épicentre de l'empire Per.

     Henry Per et Nomoru Lea y élevaient leurs trois enfants, Kave, Carla et Juno.

      À la fois rurale et urbaine, cette ville avait connu le meilleur et le pire de l'Histoire des États-Unis.

      Son université, surnommée "Per U", accueillait des étudiants de toutes les origines et cultures.

      Même si je restais une inculte de connasse cartésienne, je restais fascinée par les différentes croyances des représentants de ce club dédié au surnaturel et à la spiritualité.

J'interrompis mon introspection pour me tourner par Carla, elle devait être en train de bombarder des météorites imaginaires sur la fraternité de l'E.P.E, je lui avouai donc:

- Tu sais, Carla, j'ai jamais entendu parler de cette "Église de la Prophétie de l'Élu" avant d'arriver ici.

- C'est parce qu'à la base, c'était juste un groupe de débauchés et de hippies, malheureusement depuis qu'ils ont leur nouvelle Grande-Prêtresse ou je-sais-pas-quoi, les membres de cette secte... Enfin "religion" passent leur temps à... Ben t'auras compris à quoi!

À gâcher les fêtes des gens qui aiment la magie?

- Mais ils croient vraiment à la magie noire et à tous ces trucs diaboliques? tentai-je.

- Étonnamment oui! Et c'est pas que la "noire" qu'ils dénoncent...

     Nous appelâmes la jeune fille au pair du manoir, la petite sœur de Carla pouvait venir goûter ici.

    Je n'osais pas le dire à Carla, mais ça me perturbait un peu d'être entourée par autant de monde. Même quand mon frère m'avait invité à ses soirées entre amis, il m'était arrivé de m'isoler. Là, j'étais juste venue parce que les yeux de Carla se remplissaient d'étoiles chaque foi qu'elle parlait de cette association.

Carla se rendit compte de l'effort que je mettais, les battements de mon cœur me trahissaient :

- En plus, tout le monde parle anglais.

- J'ai honte... soupirai-je.

       La jeune Cherokee me prit la main.

        Nous partîmes sur la terrasse pour attendre Juno. Nous commençâmes à discuter. Je lui fis part de mon ignorance, je ne savais même pas quel était le sujet de la réunion:

- Et du coup, vous deviez faire quoi, ce matin? Vous avez l'air de vous préparer pour une convention pour occultiste.

- ¨Pour être honnête, mes camarades voulaient juste quelqu'un qui sache réparer l'évier et s'occuper des branchements électriques... Sinon, on va surtout parler de stats de ce qu'on fait.

      Carla me montra sur son portable les études réalisées par l'université sur l'environnement. Elle savait que les Français voyaient ses compatriotes comme des ignares ou des climatosceptiques. C'était pour elle un pléonasme.

Ah! Carla Per...

Elle savait tout faire.

    La première fois que je l'avais rencontrée, elle réparait une voiture.

Je me demandai pourquoi elle n'avait toujours pas son diplôme. Je l'imaginais bien travailler dans la robotique une fois.

- Et en vrai, il se passe quoi? tentai-je.

- On doit juste donner aux gens envie de consacrer un peu de leur temps aux causes animales ou à la lutte contre la pollution et aider des étudiants à rencontrer des nantis qui veulent pas payer leurs impôts!

     Comme il y avait un piano installé sur la terrasse, mon amie se mit à en jouer.







Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Matthieu Roux ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0