Chapitre 13°) Le violet est la couleur de l'indépendance
15 juin :
Salon du manoir Per, Banlieue de Mockingcrow, Oklahoma, Etats-Unis d'Amérique, Terre Alfheimienne :
- Elles communiquent par télépathie ou elles dépriment juste ? finit par se demander le changeforme Philippin.
Dans le reflet doré des yeux de ma Carla, je pus momentanément apercevoir mon visage.
L'avantage de mon nouveau corps était que je pouvais annuler mon rendez-vous chez l'ophtalmologue et la stomatologue. Je voyais parfaitement.
Les dents de sagesse et les caries que je devais me faire enlever n'étaient plus. La femme devant m'opérer étant une sorcière, elle allait comprendre l'annulation du rendez-vous.
L'ophtalmologue aussi. Le nombre de personnes que je fréquentais qui s'avéraient être des créatures fantastiques était sacrément important. En même temps, je vivais dans une ville contrôlée par des dhampires.
J'aurais aimé pouvoir vérifier que je pouvais passer à volonté de l'apparence d'une frêle mortelle à celle d'une fée-louve.
Malheureusement, Carla passait avant la science... Non : "HEUREUSEMENT" !
Je repensai à ce reflet, j'avais beau avoir rentré mes ailes dans mon dos, raccourci mes griffes et mon museau, recroquevillé ma queue à la base ma colonne vertébrale ou supprimé ma fourrure, l'intérieur restait celui d'une monstresse.
Je m'en fichais. Tout ce que je voyais, c'était ce que cette métamorphose faisait à Carla.
Je ne m'étais jamais souciée de "mon âme".
Maintenant, je savais qu'il n'y avait pas que mon cerveau qui était affecté par cette transmutation.
Lorsque le cœur d'améthyste est entré en moi, j'ai eu le temps de voir les images qui m'avaient entourée, celles qui formaient une mixture de bobine cinématique et de ruban doré, partant de ma tête pour modeler un anneau autour de mon annulaire.
Dans la première scène, j'étais sous forme féerique. Je traversais le firmament, au-dessus d'une ville grise.
Je fuyais ce monde de pollution et de béton avant de rejoindre une volée de papillons et d'oiseaux.
Dans la deuxième scène, je m'étais vue comme une momie. Mon corps desséché se transformait en celui d'une femme vieillissante. Il craquelait et éclatait.
Dans la troisième scène, l'ancienne Lavie régnait sur une pièce remplie de livres anciens et de vieux grimoires.
A travers un miroir magique, je montrais un de ces documents à un groupe de fées et de gobelins. Personne n'ouvrait la bouche, pourtant la gestuelle rappelait les conversations d'un club de lecture.
Ces scènes étaient les illustrations de mes désirs, je le savais.
J'avais envie de le dire à Carla... J'avais envie de hurler que ce que j'avais fait, je l'avais fait en connaissance de cause.
Je n'arrivais plus à télépathiser. J'en serrai le poing.
Puisque ni mon amie, ni moi, n'osons ouvrir la bouche, la solution se présenta à nous.
Entouré d'une aura jaune en forme de couronne de fleurs, le grimoire de Luka vola jusqu'à nous.
Je me saisis de l'objet enchanté par le démon.
Carla me jeta un coup d'œil, toute la tristesse du monde m'apparut dedans : une mortelle aurait vomi juste en touchant cet artefact.
Avant cette journée, j'avais toujours été contre la peine de mort.
Vous pourriez me répondre que les vampires n'étaient que des pions contrôlés et que c'était de la légitime défense, mais j'avais toujours les autorités sur le dos.
Le marque-page du grimoire indiquait un enchantement appelé Ua-Ildak. J'eus à peine le temps d'ouvrir le livre qu'un hologramme bleuté était apparu.
C'était le nom d'une divinité Akkadienne des pâturages et des peupliers.
Si Anubis possédait des pouvoirs télépathiques, ils étaient peut-être la source de son don de projection astrale. Je ne risquais pas de traverser tout comme lui un milliard de dimensions parallèles à la mienne, mais pendant que mon amie se laissait passer à tabac par ses propres interrogations, je pouvais tenter le coup.
Je soufflai. Malheureusement pour moi, personne dans le manoir ne s'adonnait à cette pratique, Luka ne s'intéressait même pas aux enchantements qui conféraient ce don, pour lui, la seule projection astrale qui comptait était celle qui permettait aux énergies occultes d'alimenter ses sorts.
Notre lanceur de sorts savait néanmoins qu'on pouvait trouver le guide de cette pratique dans son cadeau d'anniversaire en avance.
Pour les mortels, l'art et la science de la projection astrale passaient par la glande pinéale et des pouvoirs psychiques liés à un hypothétique troisième œil.
Le premier cas n'était qu'un tissu d'âneries inventées par de stupides superstitieux, le second n'était que métaphores. Je le dis ouvertement : ni les pierres que vous trouverez sur Terre, ni les invocations de divinités, ni les efforts de méditation aidés par quelques substances illégales ne permettront à votre âme de s'évader hors de votre chair ! Enfin... Sauf si vous mourez sur le coup !
Si j'avais pu soumettre mes poussières d'étoiles et des objets inanimés à ma volonté, pourquoi ne pouvais-je pas en faire de même sur mon propre esprit.
Philosophiquement, ça pouvait être sujet à débat.
Assise sur ce fauteuil, je songeai à ouvrir un portail.
À moins de mourir dans la soirée, j'en aurais tout le temps.
- C...
Les yeux de noisette et d'or de la jeune femme se plongèrent dans les miens.
- Carla... J'aimerais savoir ce que j'ai perdu... J'aimerais COMPRENDRE CE QUE J'AI PERDU ! Parce que... Je savais ce que je faisais...
Carla me laissa faire.
Je visualisai la rune du sort, soit le reflet d'un "L9" (la barre du "L" étant en haut).
Je reproduisis le cercle incantatoire dessiné, le sort échoua, Carla dut donc le lancer en me montrant le message accroché au marque-page.
Il s'agissait d'un mot de Bobby disant que cette expérience avait sauvé le mariage de sa sœur aînée.
L'enchantement nous charmant, mon amie vit un esprit, conforme à la description de mes nouveaux amis, émerger de ma chair. Cette fée éthérée lui tendait la main. La lionne totémique la saisit par le biais des flammes qui lui servaient de pattes.
Nos esprits flottèrent jusqu'à la salle à manger où Kave appelait Juno et essayait de la rassurer.
Florian caressait Shouka. Luka continuait de travailler sur les cartes de tarot. Bobby cousait un nouveau débardeur pour Florian.
- Florian... Bobby... Luka... Excusez-moi. déclarai-je.
Le jeune démon sursauta.
- J'aimerais faire comprendre quelque chose à Carle et je pense que vos souvenirs peuvent nous aider. On peut les posséder, s'il-vous-plaît ?
- Personnellement, avoua Bobby, ça ne me gène pas. Je tiens néanmoins à préciser que ce n'est pas comme ça que j'imaginais la thérapie.
- Moi, je vois aucun problème, mais n'oubliez pas que le général “Nique-ta-mère" veut vous voir ! Nous aussi d'ailleurs ! nous informa Flo.
- “Nyctimène”... le corrigea Luka.
Le démon réfléchit, puis lâcha :
- Ze n'y vois... P... Pas d'inconvénients, bredouilla le sorcier.
Je voulus vérifier quelque-chose.
- Avant tout... Anubis vous a prévenu pour... La "Clé Lennox" et la raison pour laquelle il tient à ce que je m'en débarrasse ?
- Ah, tu parles du côté "destructeur d'univers et de toutes vies" ? Apparemment, grand-papi ignorait ce qu'il avait trouvé, alors... C'est certain que c'est choquant, mais bon... Qu'est-ce qu'on y peut ?
Kave plaisantait, mais je sentais plus d'amertume dans cette transmission télépathique que dans une endive.
Le cœur gris plomb et argenté des étincelles électriques roses et violettes aspirèrent l'apparition qui sortait de mon esprit, tout comme celle de Carla.
Le portail sphérique me ramena sur la banquise bercée par la grêle et la neige. Malgré l'absence de sa source d'énergie, le rubis avait suffisamment de puissance pour alimenter la lumière du phare et les blizzards.
Je ne pouvais pas juger, je n'avais jamais gobé un phénomène destructeur de galaxies. J'ignorais combien de temps cette tour allait fonctionner.
Mon esprit prit de la hauteur. Je gagné une meilleure vue sur le "Monde des Ténèbres". La seule lumière provenait d'étranges nuages violets perçant la nuit. En dehors de l'îlot enneigé, il y avait quelques regs.
Ces déserts de pierres étaient le terrain de jeu de petits gobelins. Ces créatures aux longues oreilles pointues, qui méritaient autant cet adjectif qualificatif que leur nez.
Ces créatures à tête verte, mais chair blanche étaient accompagnées par des cadavres blancs aux yeux rouges.
Je remarquai que ces vampires se déplaçaient en se transformant en chauves-souris.
Je réalisai un problème :
- Euh... J'ai volé ce pouvoir aux vampires que j'ai défoncés, mais aucun ne l'a utilisé...
- Euh, me fit l'incandescent fauve, c'est bien... Mais c'est rare de voir des fées à Svartalfheim.
Mes préoccupations scientifiques étaient loin d'être une priorité, Carla avait raison.
Je cherchai le grand arbre qui reliait les mondes.
Je montrai donc à Carla le grand frêne Yggdrasil.
L'univers au sommet des feuilles était vraisemblablement la dorée Asgard, celui situé tout au bout des racines était la glaciale Niflheim.
Nous venions d'émerger du quatrième univers en partant du haut.
Je comptai et montrai la troisième sphère :
- Nous venons de Midgard, c'est ça ?
- Non, d'Álfheim! me corrigea mon amie.
La jeune femme se tourna dans ma direction :
- J'ai pas compris ce que tu cherches à faire ? me demanda la lionne fantômatique.
- Je n'arrive pas à te transmettre ce que je veux te faire comprendre, je veux donc te le montrer directement...
La voix de Kave nous fit sursauter :
- J'peux l'faire, moi !
Nous essayâmes de nous tourner vers lui, mais puisqu'il n'était pas présent dans la dimension dans laquelle se trouvait nos projections astrales, ni la sœur de l'intrus, ni moi ne sut où orienter le regard :
- Si tu as besoin de télépathiser avec Carla, mais qu't'en as pas la force... Ben, j'peux l'faire... C'est pas sorcier... Forcément, vu qu'c'est juste d'l'alchimie !
Le jeune homme envoya à sa sœur cadette la pensée qui me traversa, à savoir que malgré tout, je préférais disposer d'illustrations.
- On a qu'à faire les deux en même temps, je vous relie par télépathie et vous faîtes votre truc, même si j'sais pas c'que j'sais !
- Donc tu lis dans nos pensées pour savoir comment on affronte la situation, mais t'es pas foutu d'aller jusqu'au bout ! se moqua l'étudiante.
Remix Métal de "zts - the executioner" par Scramel :
Carla et moi lévitions donc au-dessus d'une ville Française. Puisque son frère me préservait de la limite du verbe, je pouvais m'exprimer sans avoir peur de bafouiller ou d'être mal interprétée.
Et c'était ça, le premier problème.
Tout en montrant à mon amie ce que j'avais vu au cours de ma métamorphose, je m'étais vue en conquérante des cieux. Je m'étais vue en simple pion soufflé par le temps. Je m'étais vue libre, communiquant comme j'étais en train de le faire.
Puisque c'était la magie du grimoire qui permettait à Carla de lancer le sort, je n'utilisais pas ma propre énergie.
Je percevais quelques aurores boréales entrer en moi. Ma puissance revenait.
Parmi les mortels incapables de nous voir, je pointai du doigt un couple occupé à se disputer dans un parc.
L'homme souffrait d'anxiété sociale, mais sa petite amie refusait de comprendre, il avait beau l'avoir répété plusieurs fois, la jeune femme tenait à ce qu'il rencontre des amies qu'elle s'était faits au cours d'une grande fête.
Je pointais ensuite du doigt un centre de formation pour personnes handicapées, une femme autiste et sa conseillère d'orientation discutaient du métier que la première pouvait faire.
La chercheuse d'emploi pensait à tous les stages de découverte qu'elle avait effectués, mais n'arrivait pas à savoir lequel lui conviendrait le mieux.
Maintenant, il me suffisait de le vouloir et Carla lisait les pensées de ces personnes, je pouvais même lui transmettre le flux de mes pensées.
Parler ! Parler ! Parler !
C'étaient les trois seules choses que les humains ne savaient pas faire.
Désormais, je pouvais transmettre à Carla à quel point c'était épuisant pour moi de subir ça. J'avais obtenu le pouvoir qui m'avait toujours fait défaut.
Combien de fois avais-je voulu être capable de lire dans les pensées de quelqu'un ?
Infant Queen Bee par -45 pour le jeu vidéo "Umineko no naku koro ni" :
Même s'il ne m'était pas possible de me remémorer à la perfection ce que j'avais vécu, mon pouvoir m'offrait le meilleur "Show, don't tell !" possible !
Carla ressentait tout ce que j'avais ressenti.
J'avais passé vingt-cinq ans à me plier aux exigences d'animaux qui ne me rendraient jamais l'effort que j'aurais pris pour communiquer avec eux.
C'était la première raison de ma transformation : La transmission de l'information, telle qu'elle avait été établie par les mortels n'avait pas été faite pour une personne comme moi...
On m'avait souvent dit qu'on remettait en question mes capacités d'empathie et de compassion, mais je ne pouvais qu'en faire de même avec mes interlocuteurs.
Comment aurais-je pu savoir ce que l'autre ignorait ? Comment aurais-je pu savoir que ce qui m'apparaissait naturel et évident ne l'était pas pour l'autre ?
Il suffisait de prendre exemple sur la conversation que j'avais eue avec mon père dans la même journée, soit avec quelqu'un qui avait sa propre vision de la situation et qui refusait de comprendre ce que celle qui avait une autre essayait de lui dire.
Tous ces souvenirs d'émotions n'étaient que claustrophobie. Mon amie avait l'impression d'être enfermée dans un placard noir et rouge et de se faire bombarder de voix.
La deuxième raison était bien entendu la différence de longévité entre les monstres et les humains.
Pour ça, pas besoin de télépathie, pour une athée, il n'avait rien de pire.
Depuis mes 10 ans, je savais qu'il m'était impossible de croire en l'au-delà ou en une force transcendante intelligente...
Je devais donc vivre en savoir que la sénilité ou le néant finiraient par me consumer. J'avais passé près de quinze ans avec cet effroi : je devais faire quelque chose de ma vie !
J'avais passé cette existence à me demander comme la rendre importante... Comment lui donner un sens...
L'étudiante Cherokee n'eut que peu de réactions en découvrant ce que je lui envoyais.
L'idée de n'être qu'un point insignifiant dans un univers indifférent, de n'être qu'une truite prisonnière d'une tempête de vagues infinies conduisant inévitablement vers un tourbillon, lui était connue.
Elle comprenait que je pouvais m'en vouloir : Puisque je n'avais aucun paradigme spirituel, à mes yeux, mamie Annette avait disparu pour de bon. Comment avais-je pu accepter ça ?
J'avais accepté de n'être qu'un pantin de chair fragile. La preuve résidait dans les deux rendez-vous médicaux que j'avais prévus... Sans parler du reste de mon corps.
Combien de fois m'étais-je demandée ce qu'il serait advenu de ma conscience et de mon esprit si mon cerveau avait développé un cancer ?
Aujourd'hui, mon corps avait été lacéré un nombre incalculable de fois, pourtant je ne m'étais plainte à aucun moment. Je ne portais de toute façon pas plus de marques de ces affrontements, que Florian n'en portait pour avoir soigné le lionceau...
Carla le savait, mais le troisième point était le pire... C'était la raison pour laquelle elle avait fondu en larmes en me voyant dans le hall d'entrée... C'était ce contre quoi Anubis m'avait mis en garde...
C'était la raison qui m'intéressait le moins...
A suivre...
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