Chapitre 10(Noah)
Plafond
Couché sur le canapé, je regarde le plafond bleu comme les murs puisque Victoire n'aime pas que je mette la radio quand elle est avec un client. Les bois de la cheminée sont trop humides pour s'embraser, le froid vient donc s'ajouter à l'ennui.
J'aurai tout aussi bien pu lire un des livres d'horreur ou les poèmes et les histoires tristes de sa bibliothèque. Livres qui venaient égayer le sadisme de ma gagnante. Sauf que la souffrance d'autrui ne fait q que me déprimer encore plus. Pour l'horreur, celle des infos ou de mon quotidien me suffit amplement.
Tiens, Victoire a fini avec son client, elle empeste le vin. Débarque dans le salon démarche remplie d'ivresse et de classe. Même ivre, elle avait un côté glamour, renforcé par un sourire incertain. Cette dernière marche en direction du canapé et s'installe sur le sol qui devait être glaciale. Mais l’alcool dans son sang doit chauffer son corps et rendre inexistant se froid. Elle boit souvent des verres de vin entre chaque passe pour se donner du courage ou oublier.
—J'ai enfin fini, on fait quoi ?
Me demanda la travailleuse en fixant le plafond.
—On va t'acheter de l'eau !
—Les sarcasmes me sont réservés petit renard. Sinon à part l'alcool et traîner avec toi, je n'ai plus rien.
—Et ce genre de phrases déprimantes et rappelant le vide de nos vies m'appartiennent.
—Si on continue sur cette lancée, on va échanger les rôles. C'est à toi d'avoir des plans de fou et à moi de suivre. Finit-elle par énoncer.
D'un coup, elle se rend dans la cuisine et commence à faire de crise de boulimie d'alcoolique. Dans ces moments-là, elle bouffe tout et n'importe quoi pendant un certain temps. Elle fait ces crises lorsqu'elle avait trop bu et rien mangé de la journée, comme aujourd’hui.
C’est un drôle de spectacle. Elle cuisine un truc improbable tout en mangeant tout ce que rappe sa main. Elle finit toujours en ayant vider la moitié de son frigo. Par la suite son estomac se venge et la fait vomir pendant des décennies. Je profite du fait que l'actrice soit en coulisse pour revoir ma journée.
Je suis resté là, à rien faire depuis ce matin. À un moment, j'ai voulu me lever pour aller en cours. Mais les coups d'hier, ceux qui m'attendaient aujourd’hui et mon manque d'intérêt pour les cours, ont rendu cet acte inutile. Alors je me suis juste endormi en comptant les clients.
Tiens, mon amie a fini de vomir. Elle s'affale sur le sol en s'appuyant sur le canapé, le corps apaisé par le fait d'avoir tout lâché.
—Laisse tomber !
Je suis trop bien ici pour faire quoi que ce soit. Si on remettait cette histoire à demain, comme ton retour en cours.
—Ouais, un jour, peut-être. Tout comme un jour demain ne ressemblera pas à hier, c'est-à-dire jamais. Répondis-je en riant, tout en comprenant que c'est juste un autre plan, un autre rêve, que nous avons mis dans la boite à idées.
Demain je passerai sans doute la journée à guetter le plafond, ou à regarder Victoire boire et enchaîner les clients. Elle aura sans doute une ou deux idées géniales, ou un rêve à raconter entre deux sarcasmes. Mais elle sera trop fatiguée ou trop ivre pour réaliser cette envie. Moi j'en rirai encore, tout en me demandant ce que j'ai fait de ma journée, puis en balançant une phrase déprimante et fataliste.
Les jours passent et se ressemblent, ils s'empilent dans le vide de ma vie. Mais est-ce une mauvaise chose que le temps passe ? Cela ne me rapproche-il pas de la mort que je désire tant ?
Donc si demain ne ressemble pas à hier, tant mieux. Sinon se sera d'une façon ou d'une autre le début de la fin de ma vie de déprime.
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