Chapitre 5
Je tapais nerveusement mon index contre le bureau de ma chambre. Depuis cette journée chez mes parents, j’avais passé mon temps à ignorer et à éviter Jabez. Cette excursion à la maison familiale, ma haine pour les âmes-sœur n’était devenue que plus grande.
J’espérais de tout cœur que ma mère allait bien. Pitié faites qu’elle aille bien. Je pouvais difficilement la regarder dans les yeux après ça, je ne souhaitais pas qu’elle pose ses yeux sur moi. C’est pour cela que je suis partie malgré la dangerosité de la laisser seule. La laisser seule avec mon père était sûrement bien moins pire, que lui imposer sa présence à lui et de sa version miniature en plus. Cela ne m’empêchait cependant pas de stresser, en ne sachant pas si elle allait bien ou non.
Je relevais la tête quand quelqu’un toqua à la porte de ma chambre. Sans attendre de réponse, elle s’ouvrit. Je fronçais les sourcils de mécontentement, Jabez…
- Qu’est-ce que tu veux ? Je lui demandai de la manière la moins sèche que je pus.
- Savoir comment tu vas ? Fit-il hésitant, il croisa ses bras. Je t’avoue que quand tu m’avais dit que ta situation familiale est pas terrible, je ne m’attendais pas à cela.
Je le regardais droit dans les yeux, son regard ne reflétait pas la compassion, il était fermé. Comme si tout cela ne lui faisait rien, ou bien qu’il s’en fichait. Mon esprit dressait alors un mur. Un mur de brique solide est infranchissable, qu’il prévoyait de garder jusqu’à ce qu’il s’éteigne.
- Tu veux savoir comment je vais ?
Je m’avançais vers lui, les poings serrés, la voix plus froide qu’une avalanche de neige dans les montagnes en hiver. Mes pieds nus faisaient craquer le parquet, sous mon pas lourd. Mon visage était tiré par la fatigue et la rage.
- Ne te fiche pas de moi. Je lui répondis.
Ma colère, sourde et silencieuse, était prête à éclater à n’importe quel moment. Je suis une personne colérique, je le sait pertinemment. J’ai cette fâcheuse tendance à m’enflammer pour un rien. Mais là, à ce moment précis, je savais qu’il ne s’agissait pas de mon tempérament, c’était tout mon être qui s’enflammait et implosait, s’étouffant dans cette rage assourdissante.
- Tu penses que je me moque ? S’indigna le noiraud.
- En théorie, quand on s’inquiète pour quelqu’un, cela se lit sur son visage. Je l'accusais.
Ses sourcils se froncèrent, je comprenais qu’il n’avait pas bien pris mes accusations. Il comblait les quelques pas qui nous séparaient. Il prenait une de mes mèches de cheveux attachés, entre ses doigts, détaillant de son regard leurs couleurs noir et rouge sang. Il tira légèrement dessus, juste assez pour me faire pencher la tête en avant vers la sienne qui se retrouva à seulement quelques centimètres.
- Quoi, tu penses que moi aussi, je vais te frapper ? Me demandait-il.
Ses yeux dégageaient quelque chose de sombre et terrifiant qui me fit pâlir. Mon regard se plantait sur mes pieds. Alors c’était comme ça que ma mère se sentait quand je lui faisais vivre la misère à la maison ? C’était comme cela qu’elle se sentait quand mon père la frappait et la menaçait ? Je n’aimais pas du tout, ce profond sentiment d’impuissance. Il représentait tout ce que je détestais.
Jabez, souffla et partit de la chambre me laissant seul. Je me grattais nerveusement les bras, mon cerveau marchant à cent à l’heure. Je parcourais la chambre, jusqu’à mon lit et m’effondrais dedans. Malgré moi, la peur traversa mon corps, me rendant plus sensible que de manière habituelle. Et si, je n’étais pas comme mon père, mais comme ma mère ? Non, en fait, dans tous les cas, cela serait abominable. Battre ou être battue. Un choix qui n’en était pas un. Être le monstre ou être sa proie ? Je sentais mon corps pris de soudain soubresaut, je portai une main à mon visage et me rendais compte que je pleurais. Je pleure ? Mais pourquoi il ne m’a pas touché ?
Je déambulais dans les couloirs noir du centre, pris dans l’étreinte de la nuit. Je me déplaçais tel un fantôme, cherchant le but de son éternelle errance. Les corridors vides me semblaient soudain hanter les âmes passées par ici avant moi.
Je me tentais à imaginer ma mère. Innocente, jeune, sûrement jolie aussi. Je m’essayais à dépeindre dans mon esprit sa peau blanche, sa chevelure brune qui se balançait de droite à gauche gaiement. J’imaginais son visage souriant et son regard couleur chocolat au lait encore candide. Je la visualisais très bien gambader entre ses murs, traînant mon père par la main alors que celui-ci râlerait. Je me demande comment ils étaient tous les deux à cette époque. J’en venais même à me demander comment moi, j'aurais pu être si j’avais écouté ma mère plus souvent.
Je soupirais et cessais de hanter les couloirs épurés assombris par l’obscurité pour rentrer à l’appartement. Je tournais les talons et changeais le cap. Je laissais ma main trainée sur les murs blancs avant d’atteindre le couloir des logements. Je comptais les portes mentalement avant d’atteindre la mienne. J’ouvris la mienne et la refermais discrètement derrière moi, mais je compris bien vite que ma discrétion ne me serait d’aucune aide pour éviter mon âme-sœur étant donné que je rencontrais son regard à travers la pièce. Je me baissais et défaisais mes lacets afin de retirer mes bottes, avant de me relever.
- T’étais où ? Me demandait-il avec un air légèrement agacé.
- Où voulais-tu que je sois ? Je répliquais.
- J’en ai plus qu’assez de jouer au chat et à la souris avec toi. Il m’attrapa le poignet brusquement, sa poigne ferme et puissante. Soit, tu coopères, soit je dois te forcer la main princesse et tu ne veux pas ça.
Je le toisais du regard méchamment, il attira mon corps contre le sien, passant son bras autour de ma taille. Je continuais d’immiscer ma haine dans son esprit, par la seule force de mon regard noir tel le charbon. Mes yeux rencontrèrent les siens, d’une teinte terreuse. Un haut de cœur me venait, j’avais dû poser une main sur mes lèvres.
- Je ne vais pas t’embrasser alors retire cette main. Me fit-il.
Je ne répondais pas, me concentrant pour faire passer mes hauts-de-cœur, inspirant par le nez et expirant par la bouche, le plus discrètement possible. Je m’écartais de lui lorsqu’il refusait de me laisser passer. Je me tenais le ventre.
- Lilith ? m'appela-t-il en fronçant ses sourcils.
- Ne m’approche pas ! Je répondis alors brusquement.
Je me décalais de quelques pas, mettant entre nous une distance raisonnable. Mes nausées me passaient petit à petit, comme si mon organisme avait refusé la proximité entre mon corps et celui de Jabez. Est-ce possible ?, me demandai-je.
Je marchais à reculons, il ne bougeait pas pour m’arrêter, alors je le fis jusqu’à ce que mon dos heurte une porte. Je me retournais et vis la porte de ma chambre, j’en attrapais la poignée et l’ouvris la refermant, prestement, derrière moi. Je regrettai alors de ne pas avoir de clef pour la fermer.
Je me jetais dans mon lit, sans aucune délicatesse. Je retirais ma veste, ne laissant ainsi que mon short et mon t-shirt à bretelle. Je m’asseyais correctement sur le matelas et tirais sur mon élastique pour détacher mes cheveux. Je passais mes doigts dedans, les démêlant grossièrement. Le noir et le rouge se mêlaient dans un mélange de mèche de cheveux lisse. Je me relevais et jetais un regard à mon reflet.
Chevelure lisse noir avec les pointes rouge sang. La couleur s’alliait à ma peau basanée et mes yeux d’un marrons si profond qu’il paraissait noir. Je soulevais les mèches de ma frange dévoilant mon piercing au sourcil droit, l’argent brillait sous les lumières artificielles. J’effleurais du bout des doigts l’encre qui ornait mon cou, et qui traçait le dessin d’un serpent s’enroulant autour et descendant entre mes seins.
Je détournais le regard en soupirant, et m’affalais une nouvelle fois dans mon lit.
J’avais dû m’endormir peu après car quand je rouvrais les yeux le soleil brillait dans le ciel du matin. Je me levais difficilement. Dès le réveil mon cerveau se remit à marcher à plein régime à cause de l’homme qui dort dans la pièce d’à côté.
Il m’attirait, c’est indéniable, mais mon corps avait réagi bizarrement à sa présence hier. Les âmes-sœurs n’apportent que des problèmes, j’en avais eu la preuve maintes et maintes fois. J’ignorais pourquoi je continuais malgré tout à me raccrocher à ses inepties. Je n’y avais jamais cru, j’ai bien vu comment sont mes parents. Est-ce qu’au fond, j'aimerais bien vivre l’un de ces contes de fée qui finit en happy ever after ? Je devrais peut-être passer moins de temps à traîner avec Cordelia. Elle est adorable, mais au vu de ma situation, je ne pouvais me permettre cette vision de Bisounours avec supplément lunette rose qui fait voir des arc-en-ciels.
Je me décidais à enfin me lever. Je me dirigeais vers mon placard et enfilais un jogging et un t-shirt bretelle. J’ouvris ma porte. Personne. Je marchais vers la cuisine où je pris du jus de fruit et une barre énergisante. Je prendrai sûrement un café après être passé à la salle de sport. Je choisissais le jeudi matin très tôt pour faire mon sport, car la salle était souvent vide à ces heures.
J'attrapai une bouteille d’eau et partis vers la salle du centre.
Les couloirs étaient relativement vides. Mis à part les quelques aurorephiles, qui arpentent les lieux à la recherche des premiers rayons du soleil du matin. Je descendis les escaliers, une lumière dorée attirait mon regard. Quand je me tournais pour voir d’où cela venait, j’aperçus une touffe de cheveux blonde. Ses cheveux reflétaient parfaitement les lueurs de l’aube. Je détournais le regard et repris la direction de ma destination.
Quand je poussais les portes de la salle de sports. Aux premiers abords, j’étais satisfaite en n’apercevant personne à l’horizon. Je déchantais bien vite en apercevant au fond de la salle, en train de soulever des poids, Jabez. Pile la personne que je ne voulais absolument pas voir ce matin.
Je soupirais et m'avançais vers les miroirs pour faire mes étirements. Je sentais ses yeux sombres se poser sur moi, me brûlant le dos. Une chaleur à la fois douce et enivrante, mais aussi destructrice et dangereuse.
Je commençais mes exercices, ignorant son regard ardent qui m’enflammait. Alors que je refaisais le même exercice pour la quinzième fois parce que je ne pouvais pas me concentrer. Je lui jetai un coup d’œil avant de me retourner, dos à lui.
- Tu me déconcentres, arrête. Je lui fis.
- Tu boudes plus ? Rigola-t-il.
Je restais silencieuse à ça, je me tournais vers lui en fronçant mes sourcils, sérieuse. Son regard café s’adoucit un instant avant de revenir à cette lueur joueuse.
- Tu m’as blessé hier. Je lui reprochais doucement.
J’ignorais pourquoi je lui disais ça, comme si notre relation était plus que je ne laisse l’entendre. Je me retournais pour éviter son intense scrutation. Je repris mes étirements, espérant tirer mon esprit hors de cette situation. Je finissais ce que je faisais et me dirigeais faire une machine, quand je sentis une main se poser sur mon épaule. Une main à la peau rêche, chaude et perlée de sueur, par le sport.
- Lilith…
La voix de Jabez était proche, beaucoup trop proche. J’ai peur que si je me retourne, il ne soit qu’à quelques centimètres de ma bouche. Malgré cette incertitude qui me rendait nerveuse, je lui faisais face. Son visage était proche, mais pas autant que je l’aurais pensé.
- Je suis désolé. Me dit-il, les sourcils froncés et les lèvres pincées.
- Désolé ? Je répétais bêtement. Il hocha de la tête.
- Pour hier. Précisa-t-il. Je m’excuse de ce qu’il s'est passé, mes paroles et mes actes ont été… déplacés. Tu étais à fleur de peau et je n’ai pensé qu’à moi. Ses yeux ne trahissaient rien du tout, c’était comme regarder dans un fossé plongé dans un noir glacial.
- Qu’importe. Je répondis.
Je n’acceptais pas ses excuses, mais ne l’envoyais pas sur les roses, non plus.
Je m’écartais, tentant d’être le plus impassible possible. Ce qui, pour mon plus grand bonheur, sembla marcher, car je n’eus pas de silhouette d’un mètre quatre-vingt et quelque me poursuivant.
Pendant plusieurs jours, il s’agrippait à moi, telle une bouée de sauvetage avec des excuses, de plus en plus lamentable. Plus cela continuait, moins je le sentais désolé. Ce n'était sûrement qu’une impression. Qui pourrait se mettre presque à genoux pour demander pardon ? Alors que l’intérêt de celle-ci deviendrait de moins en moins présente, à obtenir celui-ci.
Quand il vint toquer à ma chambre pour ce qui me semblait être la quinzième fois aujourd’hui. J’explosais.
- MAIS TU NE PEUX PAS ME LAISSER TRANQUILLE À LA FIN ?! Je hurlais, si fort que nos voisins de palier ont probablement entendu.
- Lilith-, Tenta-t-il.
- NON FERME-LA. LILITH-CI, LILITH-CA, JE SUIS À BOUT !
Je lui tournais le dos, j’attrapais un sac, le fourrais des premiers vêtements que je trouvais avant de trouver la porte.
- J’ai besoin d’espace Jabez. Je déclarais en claquant la porte derrière moi.
Annotations