Alerte

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Nadeige était derrière son bureau, ses cheveux attachés en un chignon serré et ses lunettes calées sur son nez, en train de terminer de taper le compte-rendu du dernier briefing des officiers lorsqu’elle reçut un message sur son Holocom. Elle soupira, mécontente d’être dérangée pendant son travail, d’autant plus qu’elle avait pratiquement fini son service. Une fois ce rapport bouclé il ne lui restait plus qu’à l’envoyer dans la base de données commune afin que chaque gradé puisse y avoir accès.

Pour ce faire, il fallait écouter l’enregistrement de la réunion tout en tapant au fur et à mesure de l’audition. C’était long et fastidieux, demandant une certaine concentration pour arriver à écrire en même temps que les paroles.

Elle ouvrit le message. C’était Jude, son petit ami.

[Bébé : Devine qui est près de toi ?]

Elle regarda rapidement autour d’elle, mais ne vit rien. Elle répondit :

[Moi : Il n’y a personne, qu’est-ce que tu racontes ?]

Elle reprit son écoute, mais un second message arriva :

[Bébé : Cherche bien !]

Elle soupira plus fort cette fois-ci. Elle commençait à être irritée par ces petits jeux.

[Moi : Écoute bébé, j’ai du travail urgent à terminer avant de finir mon service alors s’il te plaît cesse tes gamineries !]

Pas de réponse. Cette fois, elle se remit au travail et se promit de ne plus faire attention à la moindre distraction jusqu’à la fin du rapport. Cependant, au bout de quelques minutes, elle fut de nouveau interrompue non pas par un message, mais par deux mains qui lui touchèrent les côtes sans qu’elle s’y attende.

— Ah ! s’écria-t-elle surprise. Tu m’as fait peur, espèce d’imbécile !

Jude s’était caché derrière les plantes en pot situées à proximité de Nadeige. Avec son casque sur les oreilles, elle ne l’avait pas entendu venir.

— C’était le but, affirma Jude.

— Mais tu ne vois pas que je travaille, là ?

— En écoutant de la musique ? Te fous pas de moi !

— Ce n’est pas de la musique, rétorqua-t-elle, c’est l’enregistrement du dernier briefing des supérieurs.

— Si tu le dis…, souffla Jude, nonchalant.

— Bon, qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-elle.

— Rien, je passais simplement te voir. Sympa, l’accueil !

— C’est vraiment gentil de ta part, mais là, j’ai beaucoup de retard. Il faut que je tape ce compte-rendu avant ce soir, je vais encore devoir déborder sur mon horaire… Et après il faut que j’aille manger avec Elody.

— Détends-toi ! C’n’est pas parce que leur réunion n’est pas mise par écrit que ça va leur faire un deuxième trou !

— Mais comment tu parles, toi ? s’indigna Nadeige. Va apprendre la politesse avant de venir m’adresser la parole ! Et laisse-moi travailler maintenant ! Tu n’as pas une ronde à faire ?

— Non, je me réserve pour de vrais combats spatiaux, répondit-il en prenant un air supérieur. Je ne vais pas faire des rondes minables alors que je serais plus utile sur un champ de bataille.

Elle le regarda de biais :

— Tu te la pètes un peu là…

— Non. Je ne vois pas pourquoi on ne me confie pas des missions en étant chef d’escadrille, j’ai plus d’autorité que n’importe qui, ici. C’est moi qui aurais dû l’être lors de l’examen de simulateur au lieu de cet abruti de Merig !

— Arrête de traiter Spiros d’abruti ! s’emporta Nadeige de plus en plus exaspérée. Lui, au moins, il est gentil et poli, pas comme toi !

— Oooh ! Excuse-moi d’avoir dit du mal de ta copine Spiros…

Nadeige le regarda avec des yeux noirs et désespérés.

— T’es vraiment qu’un gamin parfois…, souffla-t-elle.

— Tu ne disais pas ça l’autre soir dans ma couchette, fit-il remarquer avec agacement.

— Tu étais différent cette fois-là ! répliqua Nadeige. Tu étais doux et gentil, mais là tu es comme la plupart du temps, un… un mufle !

— Ah ouais ? Tu disais bien que ça te faisait rire, non ? Que c’était ce qui te plaisait chez moi !

Elle baissa les yeux. Oui, elle le trouvait drôle et attirant dans ce rôle de macho. Tout du moins, au début de leur relation. Elle s’était dit que dans le fond, il n’était pas réellement comme ça, que ce n’était qu’une façade pour ne pas montrer sa vraie personnalité. Mais après quatre mois de relation, ce côté machiste et immature devenait assez lourd à supporter au quotidien. Et dire qu’il y a quelques jours…

— Écoute, dit-elle sans le regarder, il faut que je me remette au travail. On se voit plus tard.

Jude la toisa avec un air assez farouche.

— On en reparlera, lança-t-il sèchement avant de s’en aller.

Les mains légèrement tremblantes, Nadeige termina son compte-rendu plus rapidement que d’ordinaire, mais avec un peu plus de difficulté. Elle enregistra le fichier et l’envoya dans la base de données. Elle se dépêcha ensuite de prendre ses affaires et sortit dans le couloir menant à la salle de communication du spatioport pour retrouver sa collègue et amie Elody, qui était opératrice de communication. C’était une personne de confiance qu’elle connaissait depuis leur enfance. Elle avait grandement besoin de lui parler de ce qui venait de se passer avec Jude, de se vider la conscience de ce surplus d’animosité et de trouver du réconfort.

Tandis qu’elle traversait les longs couloirs menant à la salle de communication, elle s’efforça de garder un visage impassible devant le personnel et les agents qu’elle croisait. C’était un effort difficile, elle se sentait mal à l’intérieur d’elle-même. Nadeige détestait les confrontations de ce genre et être fâchée contre Jude la torturait intérieurement.

Sans savoir vraiment pourquoi, elle l’aimait, c’était une évidence. Sa carrure imposante lui donnait l’impression d’être protégée malgré son côté "rustre". Il s’était pourtant montré doux avec elle à plusieurs reprises. Il avait cette tendresse dont une femme avait besoin pour être apaisée. Son comportement odieux ne pouvait être qu’une façade destinée à cacher ce qu’il est réellement, et elle était la personne qui pouvait briser sa carapace. Mais avait-elle suffisamment de patience ?

Tout en réfléchissant, elle ne s’était pas rendu compte du chemin qu’elle avait fait et était déjà devant la salle de communication du spatioport. Elody était à son poste, un casque-micro sur les oreilles. Il n’y avait personne d’autre à cette heure-là.

— Coucou, lui dit Nadeige.

— Ah, t’es là ! s’exclama Elody. Ça va, ma chérie ? Tu n’as pas l’air d’aller bien…

— Non, je… je me suis encore pris la tête avec Jude tout à l’heure…

— Oh, non… rien de grave au moins ?

— Il m’a saoulé ! Il est venu me voir pendant que je travaillais et… et…

Des larmes commençaient à monter aux yeux.

— Allons, ne te mets pas dans des états pareils ! Attends-moi, je vais prendre mes affaires à côté, on va aller à l’espace-détente, tu me raconteras tout. Tiens, prends ça…

Elle lui tendit un mouchoir en tissu blanc. Nadeige le prit, essuya les quelques larmes sous ses yeux bleus et se moucha le nez assez fortement. Elody, tout en se levant de sa chaise, écarquilla les yeux devant la puissance de souffle de son amie. Elle alla ensuite dans la petite pièce d’à côté qui servait de vestiaire pour récupérer son sac. Ce dernier était ouvert et se renversa lorsqu’elle voulut le soulever.

— Roh zut ! souffla-t-elle en se baissant pour ramasser le contenu sur le sol.

Nadeige l’attendit en s’asseyant à sa place. Elle remarqua alors un voyant lumineux clignoter sur le tableau d’opérateur. Elle regarda si Elody revenait, mais la porte du vestiaire s’était refermée. Elle entendit ensuite quelqu’un parler dans le casque-micro.

— Elo ? appela-t-elle.

Pas de réponse. Elle commença à paniquer. Quelqu’un tentait de communiquer et personne à part elle n’était là pour répondre. Son amie risquait d’avoir des ennuis à cause d’elle et Nadeige ne pourrait se le pardonner. Elle prit alors le casque-micro et entendit une voix familière parler dans l’écouteur.

— Spiros ?

***

Le chasseur amélioré venait de passer à la quatrième étape de son parcours, à proximité de Yohanan et du Lunar Centaury. À bord, Spiros surveillait avec attention la température du système de propulsion qui montait plus haut après chaque saut en supraluminique. Heureusement que celle-ci redescendait rapidement grâce au bricolage de Pierrik, mais, lorsqu’il repartait après un temps de repos, elle atteignait un niveau plus important. Pour l’instant, elle n’avait pas monté au seuil critique, mais il ignorait si cela tiendrait jusqu’à Neyria.

— Encore deux sauts, soupira-t-il.

Tandis qu’il attendait le refroidissement de l’appareil, il chercha du regard le fameux Lunar Centaury afin de l’observer de plus près, mais il ne le vit pas. Étonné, il fit une analyse radar et le résultat était des plus déroutant : la Lune noire se trouvait pile sur sa position.

— C’est… c’est dingue ! Comment c’est possible… ? À moins que…

Il fit pivoter l’image de l’écran et vit où se situait son erreur. Il n’était pas exactement sur la même position que la Lune noire. En réalité, il était juste en dessous. Spiros leva la tête et découvrit enfin l’astre sombre des Black-Trons. Jamais personne dans la colonie, ni même de la Police Spatiale ne s’était aventuré aussi près. Le seul objet qui avait été envoyé par la colonie, lorsque le Lunar Centaury avait fait son apparition il y a cinq ans, était une sonde permettant d’entrer en contact avec eux, mais elle s’était tue quelques jours après son arrivée.

Spiros devenait le premier colon à s’en être approché si près. L’occasion étant trop belle pour ne pas en profiter, le jeune pilote lança une analyse rapide de la surface avec le scanner du chasseur. Il observa sur son écran les images que le système optique prenait en temps réel, bien que moins efficace que ceux d’Alpha-3. Le sol était différent de celle d’une lune ordinaire telle que Neyria ou Jéricho. Il semblait entièrement fait de métal, comme si une ville le recouvrait dans sa globalité. Il vit aussi des bâtiments aux formes plutôt agressives comme des tours en flèche ou en pyramide, aux couleurs similaires de la station sur Damass.

Comment ont-ils pu construire tout ça sur cette lune sans qu’on le remarque ? Et est-ce qu’elle faisait vraiment partie de l’orbite de la planète ?

Spiros balaya cette idée de la tête. Une telle structure n’aurait jamais pu traverser l’espace.

L’analyse terminée, Spiros vérifia la température des réacteurs. Ils étaient suffisamment refroidis afin de pouvoir repartir en vitesse lumière. Deux sauts à effectuer jusqu’à la ceinture d’astéroïdes, il y était presque. Il sélectionna la destination de la quatrième étape et s’élança dans le vide infini, laissant la base des Black-Trons comme une traînée qui s’allongeait sous l’effet de l’hypervitesse.

Lorsque le saut se termina, Spiros se trouvait désormais entre la planète Képhas et sa Lune Damass, proche de la position où l’Odysséas était stationné trois jours auparavant.

Cette Lune était étroitement surveillée depuis l’incident qui s’était produit avec l’adjudant Bannoc. Spiros s’en était tiré avec une blessure par balle dans l’abdomen, trouant par la même occasion sa combinaison qui le protégeait du vide stellaire. Quand il y repensait, il se rendait compte que, sans l’intervention de l’escadrille de Niki, il avait vraiment failli y perdre la vie ce jour-là.

Depuis, des satellites de surveillance avaient été placés tout autour de l’astre pour pouvoir alerter toute activité suspecte dans les environs. Un avant-poste de la Police Spatiale était en cours de construction sur Képhas afin de gérer ces satellites plus efficacement que depuis Neyria.

Dommage qu’il ne soit pas terminé, pensa Spiros. Je n’aurais pas eu à faire le chemin jusqu’à la ceinture d’astéroïdes.

Il n’y avait pas de communication directe depuis Képhas vers Terre Nouvelle. Leur technologie actuelle ne leur permettait pas de traverser la ceinture d’astéroïdes riche en métaux ferreux. Un plan de relais de transmission était à l’étude chez Futur-On, mais, tant que les Black-Trons seraient en activité, le risque de perdre ces relais ou de les pirater était trop grand. Seule l’antenne prévue pour le futur avant-poste était capable d’envoyer un signal suffisamment fort pour transmettre des messages sous forme codée jusqu’à Neyria.

Spiros sentit soudainement des vibrations anormales qui ébranlèrent légèrement le chasseur. Il constata avec frayeur qu’il se trouvait trop près de Képhas et commençait à se faire happer par l’attraction de la planète. Il dévia sur l’opposé en accélérant de vingt pour cent afin de sortir de la force attractive avant d’être pris dans la thermosphère. Sa manœuvre fit chauffer ses réacteurs thermiques et, de ce fait, tout le système de propulsion, l’obligeant à attendre plus longtemps pour repartir en vitesse luminique.

Encore du temps perdu ! Je dois être moins distrait.

Une fois le circuit refroidit, il sélectionna rapidement la prochaine destination qui l’amènera suffisamment proche de la lune de Terre Nouvelle, lui permettant d’envoyer un message au centre de commandement. Lorsqu’il appuya sur le bouton pour enclencher le processus luminique, son radar l’avertit de plusieurs appareils en approche vers sa position. Mais, avant qu’il ait pu voir ce dont il s’agissait, son Protector parti en vitesse semiluminique, ne laissant que des traînés de lumière autour de lui.

— Qu’est-ce que ça pouvait être ? marmonna-t-il pour lui-même. Il n’y a pas de faction en poste par ici mise à part Damass et Képhas…

Une peur soudaine s’empara alors de son esprit. Il ne pouvait s’agir que des Black-Trons qui l’avaient sûrement repéré lors de son passage près du Lunar Centaury. Il se maudit d’avoir été si long pour l’analyse. S’ils se contentaient de le poursuivre, cela irait encore, mais s’ils découvraient l’origine de son point de départ ils remonteraient directement à la station Alpha-3. Il fallait donc agir très vite.

S’il était bien attaqué, ils débarqueraient aussitôt après lui. Et pour leur échapper, il lui faudra entrer dans la ceinture d’astéroïdes, mais en conséquence, il ne pourra contacter le centre de commandement tant qu’il s’y trouverait. À moins d’avoir le temps de le faire avant…

Il sortit du tunnel de vitesse luminique aux abords de la ceinture. Il y était même très proche, ce qui pouvait être un avantage s’il était vraiment poursuivi. Spiros enclencha immédiatement les réacteurs à gaz et alla se positionner au-dessus des corps rocheux afin d’optimiser le signal radio.

— Ici Spiros Merig, matricule B24-DCFSP, à bord du chasseur PR-21. J’appelle le centre de commandement, répondez.

Pas de réponse à part quelques grésillements. Il renouvela son appel plusieurs fois jusqu’à ce qu’une voix réagisse enfin :

— Spiros ?

— Ici Spiros Merig, matricule B24-DCFSP, à bord du chasseur PR-21, réitéra-t-il encore une fois. J’ai des informations urgentes à transmettre à l’amiral Bekker. À vous.

— Spiros ? répéta la voix à l’autre bout. C’est toi ?

— Qui est-ce ? demanda le pilote.

— C’est Nadeige.

— Nadeige ? Tu es opératrice de communication maintenant ?

— Non, c’est ma collègue, elle est dans le vestiaire, elle ramasse ses affaires qu’elle a fait tomber de son sac et la relève n’est pas encore là.

Ramasser les affaires de son sac ? C’est bien le moment !

— Nadeige, il faut que tu transmettes un message urgent à l’amiral Bekker. La flotte de l’Odysséas se fait attaquer dans la ceinture d’astéroïdes.

— Mais je ne sais pas comment faire ! A… Attends je reviens…

— Fais vite !

Nadeige se leva de son siège en hâte et alla rejoindre Elody qui sortait du vestiaire.

— Elo ! Il y a Spiros qui demande à parler à l’amiral je-sais-plus-qui à cause d’une attaque et je ne sais pas comment faire et…

— Calme-toi, ma grande. Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ?

— Mais je l’ai fait, tu étais dans le vestiaire et tu ne m’entendais pas. Et j’ai entendu la voix de Spiros alors j’ai répondu.

Elody décrocha son casque.

— Ici le centre de commandement, répondit-elle. Qu’est-ce que je peux faire pour vous, Spiros ?

— Il faut transmettre un message à l’amiral Bekker, répondit celui-ci. Les Black-Trons attaquent en ce moment même la flotte du vaisseau Odysséas dans le secteur V5-A. Une seconde armada ennemie est actuellement en route pour les prendre à revers par V4-E.

— Bien reçu agent Merig. Je transmets immédiatement à l’amiral Bekker.

Elle manipula quelques touches de son clavier.

— Amiral Bekker ? demanda-t-elle. Un appel de l’agent Merig. La flotte du vaisseau amiral Odysséas a engagé le combat avec l’ennemi dans le secteur V5-A. Une seconde flotte de Black-Tron est actuellement en route afin de prendre nos troupes à revers et semble venir d’une autre base que le Lunar Centaury.

— Merci de l’information agent Piers, remercia l’amiral. Mettez-moi en ligne avec l’agent Merig.

Un signal indiqua le transfert d’appel en attente.

— Que le Destiny se prépare au départ ! ordonna-t-il dans un autre intercom. Point de destination : le secteur V5-A. Que les chasseurs à bord s’apprêtent au combat et soient prêts à décoller dès leur arrivée. Agent Merig ?

— Je vous écoute, amiral.

— Est-ce que vous me confirmez l’information relayée par l’agent Piers ?

— Oui, amiral. Nous avons repéré la bataille depuis la station Alpha-3 sur Jéricho. Les images radars avaient un temps de deux heures lorsque nous les avons reçues.

— Vous avez laissé la station Alpha-3 sans protection ? s’étonna l’amiral. Et par quel chemin êtes-vous passé pour venir jusqu’ici ?

— Nous étions en alignement avec Terre Nouvelle, monsieur. Nous avons tracé un itinéraire en ligne droite afin d’optimiser le temps de trajet et le caporal Abell m’a alors chargé de donner l’alerte.

— Et vous avez effectué le trajet avec un simple Protector ?

— Nous… l’avons modifié, monsieur. Afin de permettre au chasseur de réaliser le parcours, l’agent de service Duran a installé des batteries EP de plus grosse capacité ainsi que des réacteurs semiluminiques.

— Je vois. Nous reparlerons de tout ça lors de votre retour. Avez-vous de quoi rentrer sur Neyria ou faut-il vous envoyer un remorqueur ?

— J’ai de quoi tenir jusqu’au centre, monsieur. Cependant, je demande la permission de repartir pour Alpha-3 après le ravitaillement de mon appareil.

— Pour quelle raison ?

— Il est possible que les Black-Trons aient repéré la signature thermique de mon appareil lors de mon trajet jusqu’ici. Si tel est le cas, ils auront probablement estimé mon point de départ de Jéricho.

— Vous êtes en train de me dire que vous êtes passé par le Lunar Centaury ?

— Affirmatif, monsieur. Je pense d’ailleurs être poursuivi par un escadron de chasseurs Black-Tron. J’ai cependant…

— Qu’est-ce qui vous a pris de prendre cet itinéraire, agent Merig ? s’emporta Bekker sans le laisser finir. Cette action va amener l’ennemi jusqu’au centre de commandement ! Interdiction formelle de revenir seul sur Neyria, j’envoie une escadrille vous porter assistance ! Quand tout sera terminé, vous me ferez directement un rapport !

— Heu… bien, amiral…

La radio se tut. Spiros sentait qu’à son retour sa place au sein de la Police Spatiale serait remise en question. Mais avait-il eu le choix au vu de la conjoncture ? Et était-il vraiment en cause ? C’était Abell, le seul gradé de l’équipe d’Alpha-3, qui avait pris la décision de l’envoyer prévenir Neyria de la situation de l’Odysséas. Et il n’y avait pas d’itinéraires plus rapides. De plus, il avait pu analyser la surface de la Lune noire dont les résultats pourront probablement aider à en apprendre plus sur eux.

Tandis qu’il préparait mentalement sa défense au cas où il serait jugé pour ses actes, le radar indiqua l’arrivée des vaisseaux détectés quelques minutes plus tôt. Il s’agissait bien de chasseurs Black-Tron Intruders. Pas d’autre type d’appareil, ce qui était une chance, il n’aurait pas fait le poids contre un Deserter.

Spiros piqua en avant afin d’entrer dans la ceinture d’astéroïdes et profiter d’une maigre protection, les corps rocheux étant beaucoup plus épars dans cette zone.

Si je peux arriver à les semer, je pourrais gagner du temps jusqu’à l’arrivée des renforts.

Malgré sa situation, Spiros avait le cœur un peu plus léger : même si cela avait été bref, il avait entendu la douce voix de Nadeige.

***

Bientôt à court de carburant, les chasseurs de l’Odysséas bataillaient tant bien que mal autour de leur vaisseau amiral. Bien qu’ayant stoppé un bon nombre d’Intruders, l’escadron de la Police Spatiale était submergé par la flotte adverse. Les deux Deserters étaient restés en retrait jusqu’à présent, mais, s’ils se mettaient à avancer, la situation deviendrait critique.

Ils avaient gagné un temps important avec l’idée de Julius en envoyant des obus sur les astéroïdes, ralentissant de ce fait l’armada ennemie. Mais cette dernière était parvenue à se glisser à travers la mosaïque de roche et à atteindre celle de l’Odysséas.

Après plus de deux heures de combat, les pilotes de la Police Spatiale devenaient de moins en moins concentrés sur leurs actions. Aucune perte n’était à déplorer pour l’instant, mais le risque grandissait à chaque instant. Pour l’heure, le cargo était à l’abri aux côtés de l’Odysséas et de l’escadrille du sergent Desrives et l’ennemi n’avait pas réussi à percer la défense de la seconde escadrille.

Niki était en nage sous son casque. Après avoir pourchassé et neutralisé deux Intruders à travers le dédale rocheux, elle revenait sur le champ de bataille où ses équipiers étaient désormais en mauvaise posture.

— Escadrille deux ! appela-t-elle. On se rassemble à tribord, formation delta ! Première escadrille, en couverture !

— Bien reçu ! répondirent plusieurs membres.

Les chasseurs de l’équipe de Niki se regroupèrent à la droite du vaisseau amiral et formèrent une pointe de flèche avec le sergent au centre. Son idée était de disperser les appareils ennemis afin d’éviter qu’ils ne se rassemblent également et ne constituent une plus grande puissance de tir.

Toujours pas de nouvelles des renforts, pensa-t-elle. Nous n’allons pas tenir une heure de plus. L’adjudant Bannoc a dû arriver sur Neyria à l’heure qu’il est, ce n’est plus qu’une question de temps.

La charge donnée par l’escadrille eut le résultat escompté. Non seulement les Intruders s’éparpillèrent dans tous les sens, mais une partie tomba également sous les coups des IEM de la première escadrille. Cependant, ils se coordonnèrent très rapidement et étaient de nouveau en phase d’attaque. Niki avait saisi depuis longtemps qu’ils étaient face à des appareils pilotés cette fois-ci par de vrais pilotes et non un ordinateur, rendant leur tâche encore plus compliquée.

Ont-ils finalement compris que leurs drones n’étaient pas à la hauteur ?

— Chasseur PR-10 et 11 ! appela-t-elle. Formation en "piste" avec moi ! PR-12, 13 et 14, position en "échelle" ! Tâchez de rester concentrés !

— Oui sergent !

Les Intruders furent plus rapides : ils bloquèrent la mise en place des formations ordonnées par Niki en se positionnant entre les chasseurs de la police tout en ripostant sous une rafale de tirs laser.

— Esquive ! lança le sergent à son équipe.

Chacun vira d’un côté pour échapper à la salve. Bien que les astéroïdes environnants fussent bien distants entre eux, les pilotes se sentaient confinés dans un espace restreint.

Ils ont imité notre précédente tactique, remarqua Niki. Ils sont bien plus forts qu’avant.

— On se regroupe en essaim ! ordonna-t-elle alors. Formation légère, ne leur donnons pas non plus une cible facile.

— À vos ordres, sergent.

C’est alors que PR-12 accrocha un Intruder qui avait été neutralisé un peu plus tôt en le percutant à l’aile gauche. Le pilote perdit le contrôle de son appareil qui partit comme une toupie sans pouvoir se stabiliser de nouveau. Ses camarades entendirent sa voix résonner dans leur intercom.

— Bon sang ! s’exclama Niki. Coupe tes réacteurs Alrik ! Tu vas finir par percuter un astéroïde !

Ce dernier, étourdi par les roulis latéraux de son Protector endommagé, tendit la main pour attraper la manette des gaz. Après plusieurs efforts, il réussit à la tirer vers lui, arrêtant ses réacteurs. Cependant, sous l’effet d’inertie, l’appareil continua de tourner.

— Relance tes moteurs par à-coups maintenant, lui dit Niki. Et tire sur ton manche dans la direction opposée.

— Je… je vais essayer, sergent.

Il redémarra ses moteurs doucement tout en tirant sur sa commande puis coupa de nouveau les gaz. Il répéta l’opération trois fois avant de retrouver sa stabilité. Mais son appareil était fortement endommagé et ne suivait plus les trajectoires de façon linéaire.

— Je crois que je suis hors course sergent, annonça Alrik. Mon chasseur ne réagit plus correctement.

— Ton aile est détruite, répondit Niki en regardant le Protector d’Alrik à travers sa verrière. Mais comment as-tu pu percuter ce chasseur ennemi sans le voir ?

— Désolé sergent… Je n’ai pas suffisamment fait attention.

Ils sont épuisés, se dit-elle. Un autre accident peut se produire.

— PR-12 ! Rentre immédiatement sur l’Odysséas ! ordonna-t-elle. On se charge du reste.

Tandis que ses coéquipiers continuaient de mener la défense, Alrik rentra tant bien que mal jusqu’au hangar du vaisseau amiral. Deux Intruders tentèrent alors de le prendre en chasse telle une proie en difficulté, mais l’escadrille du sergent Desrives, resté près de l’Odysséas pour assurer sa protection, leur barra la route.

Sur le pont de commandement, tout l’équipage était en alerte de combat et la tension montait d’un cran chaque minute.

— Des nouvelles des renforts ? demanda le capitaine Ferne à la vigie.

— Non, capitaine. J’ai balayé toute la zone et aucun signe du Destiny ; mais notre portée est limitée par la densité des astéroïdes.

— Et l’adjudant Bannoc ?

— Nous avons perdu son signal trente-trois minutes après son départ il y a un quart d’heure, capitaine.

— Il a dû rejoindre une zone hors de portée, conclut-elle.

Elle se rendait compte qu’elle disait cela pour se rassurer elle-même comme pour s’en convaincre. Leur survie dépendait entièrement de la réussite de la mission de l’adjudant. Sans cela, les Black-Trons auront raison d’eux d’ici peu de temps.

— Cela fait presque une heure que l’adjudant est parti, fit remarquer Julius. Nous avons attendu plus que nécessaire, il faut repartir immédiatement sinon l’ennemi va nous immobiliser dans la ceinture.

— Je crains qu’il ne soit déjà trop tard, ajouta le lieutenant Perguet. La seule porte de sortie pour un vaisseau comme le nôtre est bloquée par les deux Deserters.

Julius vérifia les données. Effectivement, alors que les chasseurs menaient l’affrontement, les deux croiseurs de combat Black-Tron s’étaient lentement avancés dans la ceinture et étaient maintenant presque à portée de tir.

Julius avait commis une erreur dans ses estimations. Il avait espéré que les deux croiseurs ennemis resteraient en dehors du champ d’astéroïdes, mais ce dernier s’étant dégagé après les tirs d’obus de l’Odysséas, les deux vaisseaux s’y étaient engagés. Il était clair qu’ils allaient maintenant entrer en action.

— Les chasseurs de l’escadrille du sergent Pellia n’ont plus que pour vingt minutes de carburant, annonça l’un des opérateurs. Ils doivent impérativement se réapprovisionner sans quoi ils resteront bloqués dans le vide spatial !

— Comment est le niveau de l’escadrille du sergent Desrives ? demanda le capitaine.

— Ils peuvent tenir une heure de plus.

— Très bien. Envoyez la troisième prendre la place de la seconde. Que ces derniers aillent directement au hangar se ravitailler. Faites-en sorte que les techniciens soient prêts dès leur arrivée.

Elle se tourna vers l’équipe d’artillerie :

— Préparez les canons laser. Nous allons désormais assurer notre propre défense. Ne tirez que lorsque l’ennemi sera à portée et par pièce individuelle, n’utilisez pas les batteries entières. Descendez la puissance pour n’avoir qu’à épuiser leurs boucliers d’énergie.

— Bien capitaine !

— Lieutenant Perguet et agent Derry, appela-t-elle en se tournant vers eux. Vos solutions ont été efficaces jusqu’à présent alors si vous avez la moindre idée pour nous sortir de là, je suis preneuse.

— Nous y travaillons capitaine, répondit le lieutenant. Nous essayons de voir comment créer une autre porte de sortie. Il y a bien des alternatives, mais…

— Mais… ?

— Nous pensions faire dévier ces corps rocheux à proximité grâce aux canons balistiques, expliqua Julius. En tirant à des points précis, nous changerions leur trajectoire pour les envoyer devant les Deserters, faisant ainsi à la fois office d’écran de protection et une sortie pour nous.

— Nous passerions très près des croiseurs Black-Tron, fit remarquer Ferne. C’est très risqué.

— D’autant plus qu’il nous faudra rappeler nos escadrilles afin d’éviter de les toucher, ajouta Perguet, ce qui nous laissera un temps sans défense extérieur.

— La fenêtre de réussite pour cette tentative est de quinze pour cent, renchérit Julius. Mais pour le moment, c’est encore la meilleure solution. Si nous tirons sur bâbord, à l’opposé donc des croiseurs Deserters, nous allons créer une instabilité dans le champ d’astéroïdes qui nous sera défavorable. Nous serions incapables de maîtriser les déviations des corps célestes.

— Je vois… il n’y a vraiment pas d’autres solutions ?

— Rien qui ne soit à plus de cinq pour cent de réussite… et nous devons agir tout de suite si nous voulons espérer avoir une chance !

— Dans ce cas, appliquons votre idée première, décida le capitaine.

— Et pour nos chasseurs ? demanda Perguet.

— L’escadrille du sergent Pellia est en cours de réapprovisionnement. Celle du sergent Desrives devra rester en vol à proximité de l’Odysséas et nous suivre de très près afin de pouvoir continuer à nous défendre. Ils devront rentrer dans les hangars dès que nous serons hors de portée. Dites-leur de dégager la zone de tir quand nous serons prêts.

— Bien capitaine.

— Et que Dieu nous vienne en aide…

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