Convocation et permission

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Les deux agents arrivèrent au niveau des bureaux des officiers, où il régnait un calme plat. L’ensemble des gradés étaient réunis dans l’amphithéâtre principal de l’étage. À leur plus grande surprise, c’était dans cette salle qu’ils devaient se rendre.

— Non, mais c’est une blague ? s’exclama Spiros. On est convoqué devant tous les officiers supérieurs !

— Il semblerait en effet, constata Julius, calme comme à son habitude.

Spiros sentit la tension monter à son paroxysme : lui, passer devant tout l’état-major ?

La porte s’ouvrit avant qu’ils n’aient frappé. C’était le sergent Bœler, chargé principalement des entrainements sportifs des cadets à l’académie.

— Agents Derry et Merig ! Nous vous attendions. Entrez, je vous prie.

Il était étonnant pour les deux agents de le voir les traiter avec autant de respect. Lors de leur formation à l’académie de police, le sergent Bœler s’était montré rudement strict pendant les exercices physiques, afin de "muscler" leur mental en même temps que leur corps.

La pièce était circulaire avec un podium dans le fond surmonté d’un pupitre, devant des gradins surélevés où étaient assis un bon nombre d’agents et d’officiers. Le pupitre était tourné face à un bureau où siégeaient le général Septimus, le colonel Pietrezs, les amiraux Bekker et Quotor, chacun en charge des vaisseaux Destiny et Odysséas, et de trois capitaines, dont Ferne.

Spiros ne connaissait pas les deux autres. L’un était jeune, entre trente et quarante ans, brun et rasé de près. Le second était plus âgé, une moustache et une barbe en forme d’ancre et des cheveux grisonnants en brosse. Chacun d’eux avait un écran devant soi et écoutait le rapport d’intervention de Niki, debout derrière le pupitre.

Le sergent Bœler invita Spiros et Julius à s’asseoir sur un banc au premier rang puis il alla vers l’un des capitaines, sans doute pour lui murmurer l’arrivée des deux agents. L’officier le remercia d’un hochement de tête puis reporta son attention sur le sergent Pellia. Lorsqu’elle eut fini, le général lui demanda de se rasseoir dans les gradins. Les officiers parlèrent entre eux à voix basse avant d’appeler Julius. Celui-ci se leva et se plaça devant le pupitre puis salua ses supérieurs.

— Repos, agent Derry, lui dit le colonel Pietrezs. Vous êtes convoqué ce jour afin de nous reporter les faits qui se sont déroulés lors de la mission du vaisseau amiral Odysséas. Cette mission avait pour objectif d’escorter un vaisseau-cargo M:Tronic jusqu’au spatioport de Centralville. Votre poste sur le bâtiment était "aide stratégique" sous les ordres du capitaine Ferne et du lieutenant Perguet. Est-ce bien cela ?

— Oui, mon colonel, acquiesça Julius, le plus sérieux du monde.

— Nous vous écoutons alors.

— Le vaisseau amiral Odysséas est parti de la base de Neyria le 23 octobre en direction de la planète Képhas. Après notre arrivée en vitesse lumière, ce même jour, la seconde escadrille, menée par le sergent Pellia, est descendue jusqu’au spatioport du site minier principal de M:Tronic. Son objectif était d’escorter un important vaisseau-cargo chargé de minerais et de matières premières transformées vers le vaisseau amiral, puis de faire route en direction de Terre Nouvelle. Durant les quatre jours de battement en orbite de la planète pour en assurer la sécurité, j’ai reçu l’ordre du lieutenant Perguet de réaliser une surveillance cartographique en temps réel de la zone autour de Képhas, ceci afin de prévenir une éventuelle intrusion ennemie et d’envisager différents scénarios possibles en conséquence.

— Est-ce à ce moment-là que vous avez relevé une anomalie dans la région ? demanda l’amiral Quotor.

— C’est exact, répondit Julius.

— Décrivez-nous, avec précision, cette anomalie, s’il vous plaît.

— Lors d’une mise à jour de la carte stellaire, j’ai constaté l’approche de l’astéroïde Orphos, un satellite naturel de Képhas. Orphos était autrefois connu comme étant le premier site d’extraction de M:Tronic. Ce dernier avait été abandonné depuis plusieurs décennies à la suite d’importantes instabilités du sol, en laissant toutes les infrastructures et matériels installés. Des informations reçues concernant une hausse d’activité Black-Tron dans la zone m’ont permis de faire le rapprochement entre Orphos et la présence des Black-Trons.

— Quelles sont exactement ces informations ? demanda l’amiral Bekker.

— J’ai réalisé plusieurs recherches dans les rapports d’interventions, en particulier ceux où il est mentionné que l’ennemi avait pris la fuite. La direction utilisée par ces derniers coïncide à chaque fois à la position du site d’Orphos. Les possibilités quant à l’usage qu’ils en font sont nombreuses : zone de stockage, avant-poste militaire ou simplement pillage du site en lui-même… probablement tout ça à la fois.

— Vous dites qu’ils se sont installés dans un ancien site minier qui a été abandonné il y a trente ans à cause d’instabilité de la structure de l’astéroïde ? s’étonna l’amiral Bekker. C’est absurde ! Pourquoi dans un endroit qui menace de s’effondrer à tout moment ?

— J’en conviens, amiral. Je ne peux affirmer cette hypothèse, faute de preuve matérielle, pourtant c’est le résultat des recherches que j’ai effectuées.

— J’ai vérifié personnellement ces recherches, défendit le capitaine Ferne. Les Black-Trons ont investi le site d’Orphos, j’en suis convaincue. Nous avons suffisamment d’éléments en notre possession pour y mener une enquête.

— Merci agent Derry, remercia le colonel. Parlez-nous maintenant des stratégies ennemies que vous avez analysées…

Pendant que le comité continuait d’écouter le rapport de Julius, Spiros préparait le sien mentalement, se forçant à se rappeler les événements et à les remettre dans l’ordre. Grâce à sa mémoire infaillible, Julius décrivait les actions avec précision, relatant chaque détail de manière claire et concise. Or, Spiros était bien incapable d’en faire autant.

Au bout de plusieurs longues minutes, le comité invita Julius à se rasseoir et appela Spiros à venir à sa place. Ce dernier se leva, prit une inspiration et se dirigea vers le pupitre. Du coin de l’œil, il vit Niki l’observer depuis les gradins. Face à la table des officiers supérieurs, il les salua.

— Agent Merig, dit le colonel après s’être raclé la gorge. Selon l’amiral Bekker, vous avez quitté votre poste depuis la station Alpha-3 pour vous rendre dans l’espace de la colonie, en prenant le soin de passer à proximité du Lunar Centaury, la base principale ennemie. De ce fait, vous avez attiré l’attention des agents Black-Trons à proximité, engageant une poursuite aux abords de la ceinture d’astéroïdes. Cet acte a engendré le risque de dévoiler la position exacte du centre de commandement de la Police Spatiale, puis la dégradation du chasseur spatial PR-21 qui était sous votre responsabilité en tentant d’échapper à l’escadrille ennemie. Il est nécessaire de préciser que cet acte est passible de sanctions graves à votre état. Cependant, vous étiez porteur d’un message de la plus haute importance concernant la première flotte dirigée par le capitaine Ferne. À ce sujet, nous vous écoutons.

Spiros reprit une seconde inspiration. Ainsi, on lui reprochait bien d’avoir abandonné la station Alpha-3 et dégradé son Protector. C’était une plaidoirie qu’il aurait dû préparer, et non un rapport…

— J’ai quitté la station Alpha-3 le 30 octobre en direction de Neyria, à bord d’un chasseur de type Protector modifié, sur ordre du caporal Abell. Précédemment, nos radars avaient détecté trois flottes ennemies dans la zone où se trouvait celle de l’Odysséas, vers Képhas. Selon les indications que nous avions, la première avait été mise en déroute par nos troupes et la seconde venait d’engager le combat. Quant à la troisième, tout suggérait qu’elle s’apprêtait à prendre le vaisseau amiral à revers.

— De combien de vaisseaux était composée cette troisième flotte Black-Tron ? demanda Ferne.

— Je n’ai pas de chiffres exacts, répondit Spiros. Toujours d’après le radar, elle était bien supérieure en nombre que les deux précédentes. C’est en voyant l’armada de l’Odysséas en difficulté que le caporal Abell m’a ordonné de prévenir le centre de commandement en prenant le risque de laisser la station Alpha-3 sans surveillance. Afin de me permettre d’atteindre une position assez proche de Neyria, l’astromécanicien Pierrik Deschamps a apporté des modifications sur mon Protector, lui donnant ainsi la possibilité de passer en vitesse semiluminique.

— Il y a quelque chose qui ne va pas dans votre récit, dit alors l’amiral Bekker. À aucun moment, nous n’avons détecté de troisième flotte ennemie, ni depuis Neyria ni depuis Képhas. Les appareils étant exactement les mêmes sur Jéricho, je doute que vous ayez pu les repérer en ayant une distance quinze fois supérieure…

— Eh bien… n’ayant pas été affecté à la surveillance radar, je ne peux affirmer la méthode utilisée par le caporal Abell et l’agent Godrik qui a permis l’identification.

— Il me semble que la station Alpha-3 est équipée de senseurs thermiques, dit le plus vieux des trois capitaines. Il est tout à fait possible de détecter, même à cette distance, une flotte quelconque ou un seul appareil tel un croiseur de combat Black-Tron.

— Nous demanderons des détails à ce sujet au retour de l’équipe d’Alpha-3, ajouta le colonel. J’ai cependant une autre question : est-ce que le chasseur Striker de l’adjudant Bannoc a été vu sur vos instruments ?

— Le caporal Abell ne m’a pas donné la moindre information là-dessus, monsieur, répondit Spiros.

Le colonel regarda le général Septimus et le capitaine Ferne comme s’ils avaient espéré une autre réponse.

— Parlez-nous du trajet que vous avez effectué depuis Jéricho jusqu’à la ceinture d’astéroïdes, enchaîna alors l’amiral Bekker.

— Les modifications apportées sur le chasseur m’ont obligé à procéder par étapes, les passages en vitesse semiluminique ne pouvaient pas dépasser vingt minutes sans risquer une surchauffe des moteurs. Je ne pouvais repartir ensuite qu’après trois minutes de refroidissement du système de propulsion.

— Dites-nous par où vous êtes passé, insista Bekker.

— Jéricho et Terre Nouvelle étant en alignement, le trajet s’est fait quasiment en ligne droite, de la révolution de Philippos, Yaakov, Yohanan et Képhas. La bordure extérieure de la ceinture d’astéroïdes fut la dernière étape où j’ai pu contacter le centre de commandant et avertit l’amiral Bekker de la situation.

— Vous voulez dire que, lors de votre trajet, vous avez été à côté du Lunar Centaury ? demanda le colonel Pietrezs, dont le regard semblait envoyer des éclairs.

— A… Affirmatif, mon colonel.

Ce dernier s’affala dans son siège en se frottant le visage.

— Lors de votre appel, vous avez signalé que vous étiez poursuivi, fit remarquer Bekker. Qui étaient vos poursuivants ?

Spiros ne comprit pas la question. Bekker savait parfaitement qui ils étaient puisqu’il l’avait lui-même informé de la situation à son arrivée sur la bordure extérieure.

— C’était une escouade Black-Tron, répondit-il finalement.

— D’où venait-elle et quand est-elle apparue ? insista Bekker.

Spiros était de plus en plus mal à l’aise face aux questions de l’amiral. Il avait l’impression de subir un interrogatoire pour un crime qu’il aurait commis. Bekker cherchait à mettre en avant les erreurs qu’il avait faites comme s’il voulait le décrédibiliser.

— Les senseurs de mon Protector l’ont détecté lors de la quatrième étape, au moment de passer en vitesse semiluminique. Je n’ai pas regardé son point d’origine, mais de toute évidence, elle venait du Lunar Centaury.

— Vous vous êtes fait repérer lors de votre passage près de la Lune noire, en somme, fit remarquer le colonel.

— C’est… probable, en effet. J’ai cependant…

— Vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait ? s’emporta Pietrezs en lui coupant la parole.

Le capitaine Ferne tourna la tête vers lui, étonnée de sa réaction. Le commandant fit de même, l’air pensif.

— Vous avez amené les troupes ennemies à nos portes ! Si votre message envoyé vers Neyria a été intercepté, ils peuvent remonter jusqu’au centre de commandement. Vous leur avez indiqué notre position, agent Merig.

Spiros ne savait plus où se mettre. Oui, passer par le Lunar Centaury avait été très risqué. Mais ce n’était pas la première fois que les chasseurs Intruders s’étaient approchés aussi près de l’espace de la colonie. De plus, ce n’avait été qu’une petite escouade comparée aux flottes lourdes qui s’étaient avancées vers Terre Nouvelle il y a quelques mois. Elle avait été facilement mise en déroute par les renforts envoyés pour l’assister dans la ceinture d’astéroïdes, il y avait peu de chance pour qu’ils aient pu détecter la moindre base de la Police Spatiale.

— Mon colonel, osa Spiros après avoir repris une certaine contenance, je reconnais que j’ai pris de gros risques en faisant ce parcours pour transmettre le message d’alerte. Cependant, cela a été l’occasion pour moi de prendre des photos de la Lune noire à une distance que personne n’avait encore jamais atteinte. Les appareils du PR-21 contiennent non seulement des images du Lunar Centaury de très près, mais également de ce qui semble être une balise ennemie implantée dans un astéroïde aux abords de la ceinture extérieure.

— Qu’est-ce que vous dites ? demanda l’amiral Quotor. Une balise implantée dans la ceinture ?

— Les preuves sont dans l’ordinateur de bord du chasseur PR-21, précisa Spiros.

Le capitaine Ferne pianota rapidement sur son clavier afin de vérifier si les données contenues dans la boite noire de l’appareil de Spiros avaient été extraites. Le protocole exigeait qu’après chaque retour de mission, ce genre d’informations soit enregistré dans une base de données avant d’être analysé et traité par un service spécifique. Lorsqu’elle trouva ce qu’elle cherchait, elle envoya l’image sur plusieurs grands écrans autour de la salle afin que tout le monde puisse voir. C’était les photos que Spiros avait pu prendre quand il s’était retrouvé en dessous du Lunar Centaury.

Les clichés montraient le sol métallique de l’immense station. En zoomant, ils virent des installations comme des tours radar et des pistes d’atterrissage. Le dernier était celui de la fameuse balise.

— Les images ont-elles été analysées ? demanda l’amiral Quotor.

— Pas encore, répondit Ferne. Nous n’avons aucune indication quant à la nature de ce que nous avons vu sur ces photos. Il est évident qu’il s’agit bien de la Lune noire, mais les images de cette balise restent intrigantes.

— Aucune structure ni appareil de ce genre n’a été envoyé par la colonie en soixante-quinze ans, dit alors le général Septimus. Cela ne vient pas de chez nous.

— Les Black-Trons auraient donc truffé la ceinture d’astéroïdes de ces balises ? s’étonna le colonel. Pourquoi faire ?

— C’est ce qu’une enquête approfondie devra nous dire, répondit le général. En attendant, je pense que nous en avons terminé pour aujourd’hui. L’équipage de l’Odysséas a urgemment besoin de repos après toutes ces épreuves, nous reprendrons les détails ultérieurement.

— Que faisons-nous du cas de l’agent Merig ? lança l’amiral Bekker.

Il m’en veut ou quoi ? se demanda Spiros en serrant les poings.

Septimus répondit d’un air nonchalant :

— Qu’il prenne une permission également. Une semaine de repos pour le remercier d’avoir récupéré toutes ces précieuses informations. Mais tâchez à l’avenir, agent Merig, de garder votre équipement intact. Nous n’avons pas de ressources suffisantes pour construire et réparer nos chasseurs indéfiniment.

— Bien, mon commandant.

Toute l’assistance se leva pour sortir de l’auditorium, y compris les chefs d’état-major.

— Avez-vous quelque chose à ajouter, agent Merig ? demanda Ferne en le voyant rester à sa place.

— Heu… j’aimerais savoir ce qu’il va en être de la station Alpha-3. J’ai dû laisser l’équipe là-bas sans moyens d’évacuation.

— Nous allons envoyer une équipe supplémentaire pour vous remplacer, dit-elle avec un sourire qui se voulait rassurant. Ne vous inquiétez pas à ce sujet, partez en permission l’esprit tranquille.

— Merci, capitaine.

***

Spiros rejoignit Julius parmi la foule qui sortait de la salle.

— J’ai bien cru qu’ils allaient me renvoyer, dit-il en soufflant.

— C’est, en effet, l’impression qu’ils donnaient. Sans les informations que tu as rapportées, tu aurais pu avoir de graves ennuis.

— Je n’ai fait que suivre les ordres du caporal Abell, se défendit Spiros. Ne me dis pas que toi aussi tu es d’accord avec l’amiral Bekker ? Il avait l’air de chercher à m’enfoncer jusqu’au bout, celui-là. Il a une dent contre moi ou quoi ?

— Il semble vouloir appliquer un protocole strict au sujet du règlement, répondit simplement Julius. Non, je pense que tu as bien agi en obéissant à l’ordre d’un supérieur, même si c’était risqué. C’est quand même grâce à toi que l’équipage de l’Odysséas s’en est sorti indemne.

— Enfin de la reconnaissance ! Et heureusement que le capitaine Ferne était là aussi pour me défendre. En tout cas, je suis bien content d’avoir une pause. Presque un mois passé sur cette lune éloignée… J’ai besoin d’air, du vrai air d’une vraie atmosphère !

— A ce propos, puisque nous sommes en permission en même temps, voudrais-tu venir manger chez mes parents ? Ils seraient ravis de t’accueillir.

— Ah ? Eh bien, d’accord, pourquoi pas ? Si ça ne les dérange pas…

— Bien sûr que non. Tu peux même rester dormir si tu veux.

— Merci, mais j’irais chez ma sœur Emy après. Elle me harcèle de messages pour me dire de venir la voir dès que je descends sur Terre Nouvelle. Et j’ai toujours ma chambre là-bas.

— D’accord. Je vais au poste de communication pour appeler mes parents et les prévenir de ta venue.

— Je vais préparer mes affaires. A tout à l’heure.

Julius se rendit du côté de l’accueil, où se trouvait une salle dédiée aux communications vers Terre Nouvelle afin que chaque agent de la Police Spatiale puisse contacter leurs proches.

Spiros, quant à lui, retourna au dortoir et s’allongea sur son lit, soulagé que l’épreuve du rapport soit terminée et surtout de pouvoir prendre quelques jours de repos. Bien que l’entrainement subi durant sa formation visât à supporter la vie dans l’espace, il était agréable de retrouver une vraie atmosphère.

Certes, les bâtiments construits sur Neyria ou Jéricho possédaient des créateurs de pesanteur, permettant de se mouvoir sur le sol sans avoir à prendre appui constamment pour aller dans une direction en flottant, mais il y avait quelque chose de différent par rapport à Terre Nouvelle.

Spiros n’était pas rentré à Centralville depuis son entrée à l’académie. Toutes ses permissions, il les avait passées dans sa chambre de cadets durant l’année dernière, n’ayant aucun désir de revoir la moindre personne de son entourage, pas même sa sœur Emy. Il n’en avait pas eu la nécessité jusqu’à présent, mais depuis son entrée en tant qu’agent de la Police Spatiale, l’envie de revenir sur Terre Nouvelle s’était fait ressentir comme un besoin essentiel. Peut-être était-ce ces trois semaines sur Jéricho, loin de sa terre natale, de Neyria, de ses amis, de Nadeige, de Niki…

Il se releva subitement. Pourquoi la pensée de Niki lui venait-elle ainsi ? Il n’avait pas songé à elle depuis des jours, voire des semaines. Après avoir appris que Nadeige sortait avec cet imbécile de Jude Bayler, il n’avait pensé qu’à ça, chassant Niki et l’adjudant Smiss loin de sa tête. Et pourtant, savoir qu’elle était si près il y a quelques minutes à peine lui donnait une impression étrange, à la fois réjouissante et triste. Pourquoi ?

Il se posa un instant en tailleur sur son lit et enfouit sa tête dans ses mains pour essayer de se vider l’esprit. D’abord, il songea à Niki, à tous ces moments vécus avec elle, les bons comme les mauvais. Puis ses pensées s’enchaînaient à grande vitesse vers Nadeige, à ces échanges passés avec elle à parler de tout et de rien et à tout ce qu’il avait raté en ne lui avouant pas à temps ses sentiments…

Il se devait de faire attention : autant de réflexions qui revenaient sans cesse dans sa tête lui faisaient perdre sa concentration et cela jouait dans son devoir d’astropolicier. Il se rendit compte qu’il avait vraiment besoin de repos et cette permission était la bienvenue. Il prépara fébrilement son sac d’affaires et sortit pour se rendre au sas du monorail qui rejoignait le spatioport.

Sur le chemin, au milieu du couloir voûté et aux parois vitrées, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’on l’appela au loin :

— Ohé ! Spiros !

C’était Nadeige. Elle courut doucement vers lui, un léger sourire aux lèvres. Le cœur de Spiros s’emballa à sa vue. Elle était toujours aussi belle, ses cheveux cramoisis étaient détachés et des créoles pendaient gracieusement à ses oreilles. Décidément, où qu’il aille, le destin était résolu de perturber son esprit.

— Bonjour, dit-elle en reprenant son souffle.

— Bonjour, Nadeige, répondit-il.

— Je… je voulais m’excuser de ma maladresse de tout à l’heure, dit-elle timidement. Je me suis retrouvée par hasard au service de communication et j’ai un peu paniqué…

Elle était vraiment adorable. Venir s’excuser pour si peu…

— Ne t’inquiète pas pour ça, rassura Spiros. Je n’ai pas bien compris ce qui s’est passé sur le coup, mais au vu de la situation dans laquelle je me trouvais, c’était agréable de t’avoir entendu dans le communicateur…

Il se rendit compte de ce qu’il venait de dire. C’était comme essayer de lui avouer ses sentiments à son égard. Nadeige sembla rougir légèrement, tout comme lui.

— Ah… ah oui ? gloussa-t-elle, gênée. Eh bien… j’en… j’en suis ravie…

Il avait créé une situation embarrassante. Ils restèrent là, face à face en s’évitant le regard, puis Nadeige prit enfin la parole.

— Tu… tu as fait ton sac ?

— Oui, je vais en permission.

— Oh ! Tu as de la chance ! Moi je ne descends pas avant deux semaines sur Terre Nouvelle.

— Je n’y suis pas retourné depuis plus d’un an, fit remarquer Spiros.

— Un an ? s’exclama Nadeige, étonnée que l’on puisse rester autant de temps sur Neyria. Mais comment tu as fait ?

— Je ne sais pas… j’avoue que ça me manque un peu depuis tout ce temps. En plus, je viens de passer trois semaines sur Jéricho avec des nuits plus longues que les jours.

— Mais tu n’es pas allé voir ta famille depuis ? Tu dois leur manquer…

— Pour tout te dire, il n’y a que ma sœur à Centralville.

— Tu… n’as pas d’autres parents ?

Il fit non de la tête.

— Oh ! Je suis désolée si j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas…

— Ce n’est rien, t’inquiète.

— Mais… ta sœur ne te manque pas ?

— Ben… disons qu’on a eu une relation plutôt compliquée, elle et moi, quand on était plus jeune. On a dû se débrouiller tout seul, mais elle a eu du mal à gérer un garnement comme moi. Enfin, je te passe les détails…

— D’accord.

— Mais je vais quand même lui rendre visite, je n’ai pas de logement personnel.

— Ah bon ? Tu n’as jamais cherché à avoir ton propre logement ?

— Ben… j’ai déjà eu un appartement, mais je l’ai rendu quand je suis parti pour la Police Spatiale.

Ce n’était pas tout à fait la vérité. En réalité, c’était un logement qu’il avait occupé avec Niki pendant plusieurs mois, mais après leur rupture, Spiros avait logé un moment chez des amis, puis était retourné chez Emy. Il n’avait fait aucune demande d’appartement par la suite, passant la majorité du temps, à l’époque, sur Képhas pour M:Tronic. Il ne rentrait que toutes les deux semaines et ne restait que trois ou quatre jours avant de repartir dans l’espace. Niki avait gardé l’habitation, mais l’avait probablement rendue depuis. Il se souvint être passé une fois devant et avait constaté qu’il n’y avait personne.

— Moi j’ai mon petit appartement à côté de chez mes parents, dit Nadeige, ravie d’avoir trouvé un autre sujet de conversation. Ça m’a permis d’avoir un peu plus d’espace tout en restant proche d’eux. Je ne pouvais pas laisser ma mère seule avec mon père qui est malade.

— Oui, c’est vrai. Comment va-t-il, d’ailleurs ?

— Il a fini un traitement médical, mais il est toujours fatigué. J’essaye de ne pas y penser, mais… je suis inquiète pour lui. Ma mère m’a assuré que tout allait bien, mais j’ai l’impression qu’elle ne veut pas tout me dire. Je la connais…

— Je comprends. À l’occasion, je prierai pour lui.

Spiros s’aperçut à quel point cela lui paraissait bizarre de dire : "je prierai". Lui qui n’avait plus prié depuis des années… bien des choses avaient changé depuis cet instant où il avait senti que Dieu lui avait parlé durant son coma, même s’il savait bien qu’il n’était pas "au même niveau" que Julius.

— C’est très gentil de ta part, lui dit-elle avec un sourire. Merci pour ton soutien.

— Je t’en prie.

Sans s’en rendre compte, ils se retrouvèrent dans un moment intense. Le regard de Spiros était plongé dans celui de Nadeige et pour une raison qui leur était inconnue, ils ne pouvaient se détacher des yeux. L’attraction était à son paroxysme, comme deux aimants s’attirant l’un à l’autre, mais en même temps retenus par des forces invisibles. La peau de Spiros se recouvrit de frissons, comme si un courant électrique parcourait son corps. L’envie de la tenir dans ses bras était d’une puissance incroyable, plus forte que l’accélération d’un chasseur en hypervitesse. Il aurait tout donné pour l’enlacer contre lui et poser ses lèvres sur les siennes…

Un grondement sourd les fit sortir de leur rêverie. Nadeige eut un léger sursaut et détourna aussitôt le regard, enclin de nouveau à un rougissement du visage.

Derrière eux, à travers la grande baie vitrée, une navette avait amorcé son décollage. Le grondement venait de la vibration de la piste qui se répercutait jusque dans les bâtiments.

— Je… je vais te… te laisser, balbutia-t-elle.

— Oui…

Ils étaient de nouveau gênés l’un comme l’autre.

— Passe un bon séjour à Centralville surtout, et repose-toi bien.

— Merci. À bientôt alors.

— Au revoir.

Elle s’en alla d’un pas pressé dans le couloir, comme si elle voulait mettre de la distance entre eux. C’était ce que Spiros avait cherché à faire depuis le jour de la cérémonie d’adoubement. A l’autre bout du corridor, Jude attendait Nadeige en fixant Spiros d’un regard qui en disait long. Lorsqu’elle fut à son niveau, il s’adressa à elle d’un air très contrarié tout en désignant Spiros de la tête. Les avaient-ils vus ?

Si tel était le cas, rien ne faisait plus plaisir à Spiros d’avoir pu le mettre en rogne, en espérant que cette brute stupide ne s’en prenne pas à Nadeige en retour. Cette dernière répondit à Jude en secouant la tête, mais Spiros était trop loin pour les entendre et préféra tourner les talons pour aller prendre le monorail.

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