Chapitre 10

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Léana

Lorsqu’une infirmière débarque dans la salle d’attente en demandant la famille de Paul Green, je réclame la priorité coloc. Ses parents sont en voyage et ne rentreront pas avant demain et sa sœur vit à huit cents kilomètres d’ici alors nous sommes ce qui se rapproche le plus d’une famille pour lui pour le moment. Théo et Jeremy rient et me laissent la place alors que Matthew revendique le même traitement. Nous nous dirigeons donc vers la chambre de notre colocataire tous les deux.

J’entre et pose mon regard sur Paul. Les larmes contenues jusqu’à présent me montent aux yeux. C’est un mélange de soulagement et de bonheur, mais j’évacue aussi l’angoisse qui me tiraillait depuis la seconde où je l’ai vu sur mon brancard : celle de perdre mon ami. Lui qui paraît toujours si fort et plein de vie se montre sous un jour plus fragile, avec son bandage sur la tête, ses yeux cernés et ses écorchures sur le visage. J’ai besoin de le prendre dans mes bras, alors je me précipite à son chevet pour m’exécuter.

- Hé doucement la Guerrière, je suis un peu amoché, rit-il.

- Pardon, excuse-moi. J’ai eu tellement peur Paul, merde !

- Je vais bien. Enfin j’irai bien quand tu me relâcheras un peu parce que j’ai les côtes en feu ma belle.

Matt rit en m’attrapant le bras pour me faire reculer avant d’enlacer à son tour notre colocataire. Je m’assieds au bord du lit et prends la main de Paul.

- Mon pote, commence Matt, t’as plutôt intérêt à vite te remettre, tu es de corvée de courses la semaine prochaine et je refuse de devoir commander des pizzas à chaque repas jusqu’à ce que tu sois capable de bouger tes fesses sans qu’on te tienne la main.

- Frérot, si tu te charges des courses, promis, je ne te demanderai pas de jouer l’infirmière pour me laver le derrière, rit Paul avant de grimacer.

- Ok, je gère les courses, lui répond Matt avec une mine dégoûtée. Léa, je te laisse la toilette, tu as déjà bossé en maison de retraite, ça ne te changera pas beaucoup.

- Même pas en rêve, même si l’idée de voir ton derrière ne me dérange pas vraiment Paulo, ris-je.

- Ma jolie, il suffit de demander tu sais, je te montre mon derrière et tout ce que tu veux, s’esclaffe Paul.

Nous passons un petit moment ensemble avant de laisser la place aux collègues. Je soupire de soulagement en me laissant tomber sur une chaise dans le couloir. Je suis exténuée mais rassurée de retrouver mon colocataire sain et sauf, sa moue rieuse et ses yeux qui pétillent malgré la fatigue.

- Viens, je t’emmène quelque part, sourit Matt en me tendant la main.

- Dans mon lit ? soupiré-je avant de bailler.

- Non, pas encore. Mais promis, après, on rentre dormir.

- Très bien, dis-je en prenant sa main et en me levant. De toute façon je crois que je serais incapable de dormir.

- Ravi de voir que passer du temps avec moi te réjouit tant, me rétorque-t-il avec une moue adorable.

Je lui saute sur le dos en m’enroule autour de lui alors qu’il attrape mes cuisses pour me maintenir en riant. Mon dieu, malgré l’épaisseur de mon pantalon de service, je sens la chaleur de ses paumes sur ma peau et mon corps réagit instantanément. Je suis une cause perdue. Je fantasme sur mon colocataire, ami et collègue. Plus je réapprends à le connaître et plus je fonds. La ligne entre l’amitié et l’amour est mince, et j’ai peur de chuter du mauvais côté, alors je me raccroche aux branches en jouant la bonne copine pour éviter tout quiproquo. Mais parfois, lorsque je croise le regard de Matt posé sur moi, j’y vois autre chose que de l’affection amicale. Matthew maintient une certaine distance physique entre nous la plupart du temps, mais il se montre très tendre et tactile avec moi lorsqu’il lâche prise. Je l’ai observé avec Sophia, avec qui il est ami également, et il ne se montre pas du tout ainsi. C’est déstabilisant, plutôt déroutant et je m’interroge de plus en plus sur nos relations avant l’accident, même s’il m’a assuré que nous n’étions que des amis proches.

De mon côté, l’attirance physique est bien réelle, mais il ne s’agit pas seulement de cela. Matt est un homme adorable, sensible et attentionné avec tous ses amis, sous son air taquin et détaché. Sa personnalité me plaît autant que son physique d’Apollon, son attitude protectrice et tendre avec moi me fait totalement chavirer. Bref, je suis dans une merde noire !

Nous sortons et Matt hèle un taxi pour nous conduire à la caserne. Après une douche rapide, il me tend sa veste en cuir et mon casque. J’enfile le blouson en riant. Je nage complètement dedans mais son odeur flotte dans mes narines et c’est des plus agréables.

- Alors, on va où ?

- Surprise !

- Matt, allez dis-moi s’il te plait !

- Dans un endroit où tu aimais aller pour respirer et décompresser avant l’accident. Tu nous l’as fait découvrir alors qu’on vient tous d’ici, rit-il.

Après une vingtaine de minutes sur son bolide, mon corps pressé contre le sien, nous bifurquons sur un chemin de terre et nous enfonçons dans la forêt. Lorsque Matt arrête sa moto, je suis tout simplement émerveillée par le paysage. En plein cœur de la forêt, un petit ruisseau y trace sa route. Peu profond, le soleil éclaire sur les cailloux dans le cours d’eau et lui donne des reflets rouge-orangé. C’est absolument hypnotisant.

Matthew

Léana descend de la moto sans m’adresser un regard et tourne sur elle-même pour observer le paysage. Ce petit coin de paradis perdu au fin fond de la forêt était son refuge après une garde compliquée. Nous y avons également passé des après-midis avec les collègues, à tremper les pieds, faire des batailles d’eau et profiter de la vie. Cet endroit respire la paix, le calme et pousse à la réflexion et à l’apaisement.

Je descends de ma moto, enlève mon casque et me dirige vers Léa. Elle a relevé sa visière et son regard pétille d’émerveillement et de curiosité. Je détache son casque et le lui enlève pour découvrir son sourire illuminer son visage. Mon dieu qu’elle est belle. Cette vision occulte totalement le lieu dans lequel nous nous trouvons pour moi. Son visage aux traits fins bien que fatigué, ses lèvres roses et pleines, ses cheveux qui volettent au vent, son odeur mêlée à la mienne, tout en elle m’ensorcelle et me donne envie de l’embrasser à en perdre haleine, de retrouver la chaleur de son corps, de me perdre en elle à nouveau.

- C’est sublime, murmure-t-elle en tournant à nouveau sur elle.

- A qui le dis-tu, soupiré-je en la dévorant littéralement des yeux. Allez viens, on va se poser un peu plus loin.

Je passe mon bras autour de ses épaules, embrasse sa tempe et l’entraîne à une centaine de mètres, là où nous nous installons toujours. Il y a moins d’arbres par ici et le soleil perce davantage au travers des feuilles. Quelques gros rochers ont les pieds dans l’eau et de petites pierres plates forment un chemin qui traverse le cours d’eau. Le soleil est haut dans le ciel, si bien que l’eau n’est absolument pas d’une couleur ordinaire. C’est magnifique et paisible.

- C’est si calme, s’émerveille Léa.

- Oui, il y a rarement du monde ici. Du moins, on a croisé très peu de personnes à chaque fois que nous sommes venus.

- C’est parfait !

Alors que je m’assieds sur un rocher, Léa défait ses baskets et ses chaussettes. Après avoir lutté pour remonter les jambes de son jeans, elle choisit de le déboutonner et de l’enlever. Grand dieu, ce petit boxer en dentelle noir est divin. Sait-elle que nous sommes allés l’acheter, lui et quelques-uns de ses compagnons, pendant un week-end à la mer tous les deux ? Evidemment que non… Elle enlève ma veste et la dépose à mes côtés. J’ai envie de l’attraper et de l’asseoir sur mes genoux pour l’embrasser sauvagement et lui enlever le reste de ses vêtements. Au lieu de ça, je me contente de caresser ses jolies jambes du regard alors qu’elle fait je ne sais quoi sur son téléphone avant de le poser sur ma veste.

Léana me tourne le dos et se dirige vers le ruisseau. Elle trempe le bout de son pied puis se retourne vers moi et me sourit.

- Tu ne viens pas ?

- Si, je te rejoins dans deux minutes.

Elle acquiesce avant de s’enfoncer dans le ruisseau. C’est peu profond, elle n’a de l’eau que jusqu’aux genoux, mais un sourire jusqu’aux oreilles lorsqu’elle observe l’environnement alentour.

Après un moment à la contempler, je sors mon téléphone et fais la même chose que chaque fois que ma nostalgie prend le dessus sur le moment présent. J’ouvre la galerie d’images et fais défiler les photos de nous deux. Celles que j’ai prises et celles récupérées sur la carte mémoire de son téléphone qui a rendu l’âme lors de l’accident. Une vingtaine de clichés, nous n’étions pas amateurs de selfies, d’elle et moi enlacés, riant aux éclats, nus sous la couette ou encore calés dans le canapé. Mes petits trésors, les seules preuves que je ne suis pas complètement fou et qu’un nous a existé il fut un temps déjà bien trop lointain pour moi.

- Matt ? Tout va bien ?

- Oui oui. Désolé, j’étais perdu dans mes pensées…

Je me lève, enlève à mon tour chaussures, chaussettes et pantalon. Après avoir déposé mon pull sur le rocher, je rejoins Léana dans l’eau.

- Elle est fraîche !

- Ça fait du bien, répond-elle en m’éclaboussant.

- Hé ! bougonné-je en lui tournant le dos. Bordel, elle est vraiment froide arrête !

- Quelle petite nature tu fais, rit-elle en me sautant sur le dos, enroulant jambes et bras autour de mon corps.

- Moi une petite nature ? ris-je à mon tour. On va voir si tu fais la maligne quand tu auras les fesses dans l’eau.

- Tu n’oserais pas !

Je ris tout en l’attrapant par les fesses pour l’attirer contre mon torse. Léa maintient sa prise avec ses jambes autour de ma taille et ses bras autour de mon cou. Ses seins sont pressés contre moi, sa bouche à quelques centimètres de la mienne, et il me faut un contrôle surhumain pour ne pas capturer sa bouche. Je la chatouille sur les flancs tout en me penchant en avant. Lorsqu’elle lâche prise en riant, je la dépose les fesses dans l’eau. Son rire se transforme en un cri adorable alors qu’elle se relève et me gratifie de suffisamment d’éclaboussures pour que je finisse trempé.

****

Lorsque je sors de la douche, j’ai encore un sourire béat accroché aux lèvres. Bien que nous ne soyons restés que deux petites heures au ruisseau, ce petit moment hors du temps en tête à tête m’a fait du bien, et à Léa aussi je pense. Nous sommes repassés à l’hôpital, Paul dormait comme un bébé, veillé par sa sœur arrivée peu de temps après notre départ. C’est un grand gaillard, il va vite se remettre, et il aura tous les soins qu’il lui faut à la coloc avec notre ambulancière. Nous sommes donc rentrés à la maison tous les deux, avons mangé un morceau, puis Léa a profité d’un coup de fil de ma cousine pour aller se doucher.

J’enfile un bas de jogging et un tee-shirt et sors de la salle de bain pour enfin aller me coucher. Bien que ces moments à deux soient des plus agréables, après une garde et plusieurs heures aux urgences, la fatigue finit par prendre le dessus. Léana est installée dans le canapé, endormie devant F.R.I.E.N.D.S. J’hésite entre la couvrir et la laisser là ou la porter jusqu’à son lit. Dans un monde idéal, ou simplement il y a quelques mois, je l’aurais portée jusqu’à ma chambre où je lui aurais fait l’amour avant de m’endormir contre son corps chaud. Seulement, nous ne sommes ni dans un monde idéal, ni il y a quelques mois. Alors je la prends doucement dans mes bras et l’emmène dans sa chambre, où je la couche et couvre ses jolies jambes nues avec le drap. Je l’observe un instant alors qu’elle est dans un demi-sommeil, puis dépose un baiser sur son front.

- Matt ? marmonne-t-elle.

- Oui ?

- Tu veux bien dormir avec moi s’il te plait ?

Imaginez-vous la réaction d’un drogué en manque à qui on propose une dose et vous verrez que ma réponse ne peut pas être autre qu’un oui.

- Tout ce que tu veux Chouquette.

Léa ouvre un œil et sourit.

- Fais attention à ce que tu dis, je pourrais te prendre au mot.

Je ris en contournant le lit, me glisse sous la couette et me tourne vers elle alors qu’elle se cale contre moi, dépose un baiser sur ma joue et enfouit son visage dans mon cou. Peut-être suis-je finalement au paradis. J’enroule mes bras autour de son corps et le serre contre moi. Le sommeil me gagne doucement alors que sa respiration ralentit et qu’elle plonge rapidement dans un sommeil profond.

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