21. La colère du motard

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Liam

Le vrombissement du moteur me fait du bien, comme d’habitude. Quand je suis sur ma moto, que je sens l’air filer le long de mon corps, j’arrive à oublier un peu le quotidien et à revenir dans le rêve américain, où tout est possible, où il suffit de prendre la route pour avoir un avenir meilleur. Je me prends alors pour un pionnier à la conquête du Grand Ouest même si je ne suis qu’en train de remonter l’avenue qui me ramène vers les quartiers plus populaires d’Evanston.

Je n’arrête pas de me repasser le fil de notre discussion avec Sarah. J’ai clairement abusé avec elle. Non seulement, je me suis imposé chez elle, j’ai profité de son hospitalité de toutes les façons possibles avec un plaisir non dissimulé, mais en plus, après, j’ai joué au gros connard. Je crois qu’elle a vraiment pensé que je ne voulais que la baiser, que je n’étais là que pour du sexe alors que clairement, jamais une femme ne m’a fait autant d’effet. Jamais je n’ai eu envie de laisser tomber mes barrières comme j’ai voulu le faire alors qu’on échangeait autour du petit déjeuner. Je me demande pourquoi je ne suis pas allé dans son sens, alors, et, si je suis honnête avec moi-même, je sais que c’est parce que j’ai eu la frousse. Ma règle d’or, que je n’ai jamais trahie pour l’instant, c’est de me contenter des plans culs car au moins, on prend du plaisir et on ne souffre pas. Et puis, j’ai aussi cette sensation que je ne suis pas le type qu’il lui faut. J’ai un peu l’impression de faire le bad boy qui va dévergonder la petite bourge. On n’est pas du même monde, elle et moi, on n’a pas d’avenir ensemble. Et il vaut mieux que je sois franc avec elle dès maintenant plutôt que de la laisser s’attacher et la faire souffrir encore plus une fois qu’elle se sera rendu compte de l’impossibilité d’envisager une vraie relation avec moi. Enfin, si tout ça est vrai, je me demande pourquoi je fais un tour du quartier supplémentaire. J’ai vraiment tant besoin de ce petit trajet en moto pour me calmer ?

Quand je me gare devant notre maison, la première chose que je me dis, c’est que c’est vraiment petit et délabré par rapport au château de Sarah. Le contraste est saisissant, avec les lézardes sur le mur, la peinture défraîchie, la fenêtre condamnée au deuxième étage. Clairement, le Mexicain abuse de demander autant pour cette maison presque en ruine, mais si nous râlons, il nous dira qu’on peut aller voir ailleurs. Après avoir payé nos dettes, bien évidemment. Et tout ça me ramène à la dispute que j’ai eue hier avec mon père. Comment a-t-il pu croire qu’il pouvait investir l’argent du loyer dans un truc bidon et qu’il allait s’en sortir ? Il nous met tous en danger en faisant ça. Rien que d’y repenser, je me retrouve à nouveau comme une boule de nerfs prête à exploser. J’enlève mon casque et descends de ma moto en respirant un grand coup.

J’entre dans le petit hall d’entrée et suis surpris de voir un petit manteau chic beige à l’entrée. Je me demande à qui il peut appartenir. Surtout à cette heure-ci. Il n’est même pas neuf heures. Qui a pu ainsi venir de bonne heure et laisser son manteau ? Un hussier ? Ce n’est pas le genre. Des amis, on n’en a pas qui ont des vêtements comme ça, à part peut-être Sarah, mais elle, c’est sûr, elle est chez elle. Intrigué, je regarde dans le salon qui est vide mais je note la présence de deux verres sales sur la table. Ayant constaté qu’il n’y a personne au rez-de-chaussée, je monte les escaliers sans faire de bruit et dépose mes affaires dans ma chambre. Alors que j’ouvre la porte de celle de Judith, j’entends celle de mon père qui grince et je me retourne.

— Mais, que faites-vous ici ? demandé-je, surpris, à la dame qui sort de chez Daddy.

Elle s’est arrêtée net et me regarde, toute aussi surprise que je le suis de se retrouver face à moi. Elle a une bonne quarantaine d’années, des cheveux bruns bouclés par une belle permanente, et je peux admirer les beaux restes qu’elle a car elle ne porte qu’une petite nuisette en dentelle noire qui s’arrête en haut de ses cuisses et dévoile un décolleté plus qu’avantageux. Elle est toute rouge et semble ne pas savoir quoi dire ou quoi faire. Je la relance.

— Vous faites quoi chez moi ? Mon père est là ?

— Bien sûr qu’il est là, bafouille-t-elle. Jim, je crois que ton fils est rentré, tu peux arrêter de t’inquiéter. Enfin… J’imagine que c’est ton fils.

— Bien sûr que je suis son fils ! J’habite ici, moi ! Et vous, vous êtes qui ?

— Je… Je suis… La petite amie, j’imagine ? dit-elle, mal à l’aise.

Je la regarde en haussant les sourcils. La petite amie ? C’est nouveau, ça ? Mon père a une copine et je ne suis pas au courant ?

— Je ne savais pas que mon père avait une petite amie, désolé. Vous alliez à la salle de bain, peut-être ? Allez-y, faites comme chez vous, indiqué-je un peu moins froidement, réalisant qu’elle n’est pour rien dans la situation actuelle.

— Heu… Oui, oui, merci, Liam, sourit-elle timidement en gagnant la porte.

Et en plus, elle connaît mon nom. Ça veut au moins dire que mon père lui a parlé de moi… Je tape à sa porte et sans attendre qu’il réponde, j’entre.

— Daddy, tu m’expliques ? Tu profites qu’on se dispute pour inviter ta meuf ici ?

— Bonjour, Fils. C’est fou, je pensais t’avoir appris la politesse, mais j’ai l’impression qu’à chaque fois que tu me parles, c’est en oubliant les bases. Je ne profite de rien, Vic m’a proposé de venir me voir quand je lui ai raconté ce qu’il s’était passé hier soir, dit-il en enfilant son tee-shirt.

— Et ça fait combien de temps que ça dure, cette histoire ? Tu comptais nous en parler un de ces jours ? Judith est au courant ? Elle va en penser quoi, que tu remplaces maman aussi facilement ?

Je sais que je suis injuste, que je le bombarde de questions, mais franchement, je suis hors de moi. A cause de lui, on va perdre notre maison, et lui, tout ce qu’il pense à faire, c’est jouer sur son téléphone et batifoler avec sa copine bourge. J’ai juste envie de tout casser autour de moi et je me contiens difficilement.

— On en parle quand Vic sera partie, ok ? Et… Jude a passé la soirée avec elle, elle l’adore. Ne t’inquiète pas pour ta sœur. La vraie question, c’est plutôt comment toi tu prends le fait que je refasse ma vie, au final, soupire-t-il en approchant. Je sais que j’ai merdé sur bien des points, Fils, mais ça va s’arranger, et très vite. Vic est… Elle va nous aider, on va pouvoir repartir sur de bonnes bases, maintenant.

— Ah oui, tu vas jouer au gigolo pour qu’elle paie tes dettes ? Joli programme. Je comprends que tu ne veuilles pas en parler devant elle. Tant mieux si Jude n’y voit pas de soucis. Me concernant, je pense que tu couches avec qui tu veux, mais je trouve qu’on a d’autres urgences, là, non ?

Encore une fois, après la nuit que j’ai passée, je ne sais pas comment je peux sortir de telles phrases. On dirait que depuis ce matin, je suis enfermé dans un rôle et que je n’arrive pas à en sortir. Je suis dur avec tout le monde et notamment avec moi parce que je sais que notre situation est critique, presque désespérée, et que j’ai l’impression que nous allons bientôt devoir nous confronter à d’énormes changements dans notre vie.

— Au gigolo ? Je te remercie, Liam. Ça me fait plaisir que tu me penses comme ça. Je suis amoureux, c’est si difficile à croire que ça ? Et Vic l’est aussi. Un vrai coup de foudre, tu vois. On ne se connaît que depuis quelques semaines, mais nous deux, c’est comme une évidence. Et elle a le cœur sur la main, elle veut nous donner une chance. On va déménager Liam. A la fin de la semaine, on se barre de ce quartier, on offre à ta sœur une vie décente. Et à toi aussi, tu as assez trimé pour la famille, Fils, tu vas pouvoir arrêter de bosser et te concentrer sur tes études et ta carrière.

— On déménage ? Chez une femme que tu ne connais que depuis quelques semaines ? Mais tu es complètement fou, non ? Et à la fin de la semaine, en plus ? Tu crois que c’est la solution de fuire le Mexicain comme ça ?

Mon père me lance un nouveau regard triste et résigné. J’ai l’impression qu’il s’attendait à ce que j’explose comme ça, et, malgré moi, je ne le déçois pas. Je n’arrive tout simplement pas à me contrôler, comme quand je jouais au basket, à mes débuts, où je n’arrivais pas à canaliser mon énergie et que je finissais tous les matchs, exclu, sur le banc. D’ailleurs, je repense à Coach Stevenson, lui qui a réussi à me comprendre et à me faire évoluer. J’applique donc le même mécanisme mental à la situation actuelle et tout de suite, je ressens un grand calme s’emparer de moi. Je peux ainsi reprendre plus calmement alors qu’il a terminé de s’habiller et me scrute, comme s’il lisait dans mon cerveau.

— Désolé, Daddy, je me suis emporté, m’excusé-je en baissant le ton. Mais il faut qu’on en rediscute. Tu ne peux pas m’imposer tout ça sans me consulter. Tu n’es pas tout seul dans la situation, et il faut qu’on en parle à deux, avec Jude aussi pour ce qu’elle peut comprendre, mais tu n’as pas le droit de tout décider dans ton coin et nous dire que c’est comme ça et puis c’est tout.

— Le Mexicain aura son argent ce soir, Liam. Et… Je suis déjà allé chez Vic, tu auras ton espace, ta chambre, la maison est grande. Judith va adorer sa chambre, tu sais. On sera bien là-bas, loin de ce quartier. On va pouvoir souffler. Je… Judith est d’accord, tu sais. Elle a besoin d’une figure maternelle, Liam, besoin d’une femme qui s’occupe d’elle et l’aide à grandir. On fait ce qu’on peut, mais ni toi, ni moi ne sommes une maman. Je ne veux pas dire que tu fais mal les choses, hein ? T’es génial avec ta sœur et je suis fier de toi. Tous les jours, même quand tu t’énerves. Et je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu as fait pour notre famille. Toi aussi, tu as besoin de souffler. Vic est géniale, tu verras, c’est une perle, termine-t-il en souriant niaisement.

— Daddy, j’ai pas le temps de parler de tout ça tout de suite, je dois aller en cours, prendre une douche si ta perle arrête d’essayer de s’enfiler dans la salle de bain, mais franchement, je trouve que tu aurais pu me parler de tout ça plus tôt, ne pas me mettre devant le fait accompli. Ça fait quoi de moi, tout ça ? Juste le bon gars qui ramène de quoi becter ? Je pensais que tu aurais plus confiance en moi et que tu m’aurais parlé de tout ça avant que ça ne devienne la prochaine étape de notre vie. Bref, tout a l’air décidé, tu m’expliqueras ce soir ce que je dois faire quand je rentrerai du café, et j’obéirai, en bon fils bien dressé.

— Tu voulais que j’arrange les choses, c’est fait, Liam. J’ai bien compris que je faisais tout de travers pour toi, mais réfléchis aussi à ton comportement. Tu n’as pas l’impression que, de toute façon, quoi que je fasse, ça ne te satisfait jamais ? Je fais ce que je peux, avec mes moyens, et toujours dans votre intérêt. Allez, file en cours. Et n’oublie pas que je t’aime, même si tu me reproches tous nos malheurs.

Vic, la Perle de Daddy, sort à ce moment-là de la salle de bain. Je pense que vu comment nous nous sommes disputés, elle n’a pas dû rater grand-chose de notre querelle et elle baisse la tête quand nous nous croisons. En entrant dans la salle de bain pour me préparer, je me dis que ça va être drôle avec Belle Maman dans la nouvelle maison. Le climat risque d’être tendu et froid vu toutes les méchancetés que j’ai sorties. Mais bon, si Daddy croit que je vais arrêter de bosser et devoir aller quémander auprès de Belle Maman le moindre centime pour mes dépenses, il se met le doigt dans l'œil. Jamais je ne vivrai aux crochets d’une femme, aussi belle et riche soit-elle ! J’ai ma fierté, et, même si elle est mal placée, c’est tout ce qu’il me reste.

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