79. Le match des affreux

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Liam

Comme avant chaque match, nous sommes réunis dans les vestiaires autour du Coach qui nous donne ses dernières instructions, aussi bien sur les joueurs qui débuteront que sur la stratégie qu’il envisage. C’est un moment important pour la concentration et la motivation, celui où nous nous retrouvons ensemble, où on se prend pour une armée qui a comme ordre de mission d’aller remporter la victoire et ne pas faire de quartier. J’essaie de me montrer attentif car, niveau stratégie, c’est à moi qu’il revient en tant que Capitaine de la faire appliquer sur le terrain. Je note que l’arrière de l’équipe du Dakota que nous rencontrons aujourd’hui est pour notre Coach le maillon faible et qu’il va nous falloir insister sur lui. Pour le reste, le Coach nous rappelle des règles simples : mettre des paniers, défendre agressivement mais proprement et surtout, gagner le match. A l’écouter, c’est facile, le basket.

Une fois ce temps passé, nous nous retrouvons sur le parquet pour nous échauffer. Je cherche du regard Sarah qui doit être arrivée et, effectivement, elle est bien là, accompagnée d’Evan qui, en bon petit ami, est venu la chercher et l’a amenée ici. J’ai du mal à le cerner, lui. Bon, il faut dire que débarquer chez lui au moment du repas de Thanksgiving, c’était pas l’idée la plus brillante que j’aie jamais eue. Mais il a vraiment l’air réglo et de vouloir nous aider. Je crois qu’il en pince un peu pour Sarah, mais que ça le motive à nous couvrir plutôt qu’à essayer de tenter sa chance avec elle. Je les salue et je remarque que Becca est aussi présente. Elle porte l’énorme maillot d’Abdul au-dessus d’un ensemble en cuir qui devrait être interdit en public. Quelle vision elle offre, et vu le regard concupiscent de tous mes coéquipiers, je ne suis pas le seul à apprécier la vue.

— Abdul, tu as vu la tenue de ta copine ? demandé-je en souriant. Elle n’a pas froid aux yeux, en tous cas ! Veinard !

— C’est la plus belle femme du stade ! J’adore quand elle joue la provocatrice comme ça ! répond-il, tout sourire.

Nous continuons à nous échauffer en enchaînant les courses et les étirements avant que le buzzer ne retentisse et nous amène tous au milieu du terrain où l’arbitre nous rappelle les règles de respect de l’adversaire et des décisions de l’arbitre. On se serre tous la main et nous ôtons les chasubles de remplaçant afin de prendre place sur le terrain. Les premières minutes sont tendues mais nous parvenons à rester au contact, aucune des deux équipes ne prend l’avantage. Lorsque Mike me fait une passe, je vois une ouverture et fais passer la balle entre les jambes d’un grand blond que je contourne pour aller marquer un superbe panier que je fête dignement avec mes camarades. Le grand blond s’approche de moi et me jette un regard méchant, vexé de s’être fait prendre comme ça.

— Ça te fait rire de manquer de respect comme ça à un de tes adversaires ? aboie-t-il sur moi.

Je hausse les épaules et l’ignore. Mauvais joueur, mauvais perdant, il n’a qu’à aller s’inscrire au baseball s’il n’a pas le niveau pour le basket. Sur l’attaque suivante, par contre, je me retrouve à nouveau face à lui et tente de le marquer de près. J’essaie de lui piquer le ballon mais il parvient à le tenir hors de ma portée. Ses yeux me lancent toujours des éclairs et j’anticipe son mouvement quand il se retourne pour essayer de me passer en dribblant, évitant ainsi de peu son coude qui est passé à deux doigts de mon visage. Je ne peux me retenir de le bousculer pour le remettre en place, provoquant un coup de sifflet de l’arbitre qui m’inflige une faute.

— Tu as quelque chose contre moi, l’Affreux ? le provoqué-je alors qu’il se prépare à tirer le lancer-franc qu’il a gagné grâce à ma bousculade.

— Saunders, tu devrais pas me provoquer, tu ne sais pas ce dont je suis capable, me lance-t-il avant de marquer son panier et de courir se replacer sur sa moitié de terrain.

Voilà un match qui est bien lancé, il s’est senti humilié et me voilà avec un adversaire qui va me donner du fil à retordre. Effectivement après quelques minutes, je me retrouve à nouveau face à lui et, alors que je cherche un coéquipier disponible, c’est à son tour de se jeter vers moi. Je l’évite de justesse et parviens à marquer le panier, mais son attitude relevait clairement de l’anti-jeu. L’arbitre l’a aussi compris car il siffle afin d’arrêter le jeu et nous convoque tous les deux, avec le capitaine adverse.

— Vous arrêtez votre combat de coq, tous les deux, ou je vous exclus du match, c’est clair ? Vous croyez quoi ? Que je n’ai pas vu ce que vous manigancez ? Calme et respect, je vous rappelle. Je peux compter sur vous ?

— Pas de souci pour moi, s’il ne me saute pas dessus, dis-je alors qu’il me lance un regard noir.

— Pas de problème, Monsieur l’arbitre, tout roule entre nous, lui répond le blond en me faisant un check de la main.

Brutal, le gars, j’ai l’impression qu’il a voulu me démonter le poignet, mais bon, je n’en rajoute pas et fais mine de rien avant de reprendre le match. Après cet incident, le coach me fait sortir quelques minutes pour que la pression retombe et que je puisse un peu me calmer.

— Ne réponds pas à ses provocations, Liam. Il te cherche et si tu craques, c’est toi qui vas prendre le rouge. J’ai besoin de toi sur le terrain, alors pas de bêtise, me dit-il alors que j’essuie la sueur qui coule de mon front.

— T’inquiète pas, Coach, je suis plus malin que cette brute, je ne m’énerverai pas contre lui. On a besoin de moi pour remporter le match, je sais quelles sont mes responsabilités.

Il a l’air satisfait de ma réponse et me renvoie sur le terrain jusqu’à ce que la mi-temps arrive. Nous retournons aux vestiaires pour débriefer un peu et surtout essayer de reprendre notre souffle dans ce match serré mais que nous dominons globalement.

— Liam, il y a quelqu’un à la porte pour toi, m’informe le kiné qui entre dans notre vestiaire.

— C’est important ? Sinon, je le verrai après le match, là, c’est la mi-temps et j’ai autre chose à faire que d’aller parler à un fan.

— Il a dit que c’était une question de vie ou de mort, oui, et il a l’air sérieux à ce propos, c’est pour ça que je me permets de t’informer. Tu y vas où je le lui dis d’attendre la fin du match ?

— Laisse, je vais y aller, soupiré-je en ouvrant la porte.

Le petit gars qui m’attend a une attitude qui ne me revient pas. Je ne sais pas si c’est son crâne tout dégarni ou ses muscles bien saillants, toujours est-il que je ne le sens pas. Il me fait signe de le suivre dans un petit couloir sur le côté et une fois que nous sommes un peu isolés des autres, il m’adresse un regard menaçant.

— Tu me veux quoi ? J’ai un match à jouer, là. Tu n’as pas l’air d’être un fan, toi, on dirait même que tu n’y connais rien au basket. Qui vient voir un joueur pendant la mi-temps, franchement ?

— Quelqu’un qui s’en balance de ton petit jeu avec la baballe, gamin. Je viens de la part du Boss. T’as pas payé les intérêts des deux derniers mois, il attend son argent.

Je le regarde sans comprendre au premier abord ce qu’il me dit. Je n’ai pas payé des intérêts ?

— J’ai réglé toutes mes dettes, je ne vois pas de quoi tu parles. C’est quoi cette histoire de devoir encore payer ?

— Le Mexicain considère qu’il a été très généreux avec ta famille, et que sa générosité mérite une certaine reconnaissance. Il sait que ton père s’est trouvé une poule aux œufs d’or et que vous avez les moyens de payer l’assurance qu’il ne vous arrivera rien, à toi, ta petite sœur et ton père… Et à la fameuse Vic, aussi, ou sa fille. Tu vois où je veux en venir ?

— Je vois très bien, oui. Il ne me laissera jamais tranquille ? Et il veut combien, là, pour son extrême générosité ?

— Même somme que la dernière fois, gamin, et un petit forfait à mille par mois, pour être certain que tout roule pour toi et ta jolie petite famille recomposée.

— Jamais de la vie. Tu es fou ? Mille dollars par mois ? S’il fait ça, je te jure que je vais le trouver et lui faire la peau. Tu diras au Mexicain que je vais trouver de quoi lui payer deux mille dollars et que ça soldera tous nos comptes. S’il n’est pas d’accord avec ça, il peut aller se la mettre où je pense. Capice ?

Je joue au fier mais au fond de moi, je n’en mène pas large. Je n’ai aucun moyen de pression sur le Mexicain et je suis bien dans la merde. Pourquoi est-ce que mon père nous a mis dans cette situation ?

— Je vais transmettre le message. Mais… Si tu veux un petit conseil, Gamin, me dit-il sur le ton de la confidence, tu devrais faire ce qu’il te dit. Ça m’ennuierait de devoir te péter un genou. T’es doué au basket, je suis sûr que tu pourrais faire carrière. Alors… Paie, ça vaut mieux.

Il se retourne sans un mot de plus et s’éloigne doucement, comme s’il était en simple balade et non en mission pour un criminel qui fait du racket et des délits en tous genres. J’ai la rage au fond de moi, mais je suis aussi déstabilisé par cette nouvelle demande à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Pour moi, cette période de ma vie était derrière moi, mais elle me rattrape. Je me demande si un jour je pourrai enfin tourner la page et ne plus avoir à me battre pour que chaque dollar gagné ne finisse pas dans les poches de ce mafieux.

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