126. Le lion était trop mignon

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Sarah

— Allez, Sarah, dépêche-toi un peu !

Je bougonne en me lavant les mains et sors des toilettes pour tomber nez à nez avec une Rebecca surexcitée.

— C’est parti, on y va !

Elle m’attrape par le bras et m’entraîne à l’extérieur du bâtiment sans ménagement. Le campus est plein d’étudiants qui profitent de ce temps plutôt clément pour une fin février, mais je ne vais pas avoir l’occasion d’en faire de même de mon côté. Je me retrouve rapidement dans sa voiture, en route pour le centre-ville en cette fin de journée.

Les parents sont partis en lune de miel et vivent leur meilleure vie depuis deux jours, Jude dit qu’elle a deux nouveaux parents et jubile de pouvoir dîner sur le canapé alors qu’en présence des parents, c’est proscrit, et Liam et moi savourons d’avoir un peu plus d’espace dans la maison où nous bécoter et profiter l’un de l’autre une fois sa sœur au lit.

— Alors, comment ça s’est passé dimanche ?

— Tranquillement, personne ne s’est battu après que tu es partie.

— C’est quand même fou, les vieilles générations, soupire-t-elle. Je n’arrive pas à comprendre le racisme. Moi, j’adore me taper Abdul, c’est trop le pied !

Je pouffe en vérifiant mon téléphone. Effectivement, j’appréhendais beaucoup le comportement de certains membres de ma famille, mais cela s’est relativement bien passé, si on omet les regards, les petits haussements de sourcils… Tout le monde est resté correct, et la soirée a été très festive. Nous avons dansé une partie de la nuit et j’ai apprécié la literie comme rarement, même si Liam et moi avons partagé la même chambre que Jude. Une vraie petite famille.

— Bon, on commence par qui. Bébé ou toi ?

— Hein ? Mais… Je croyais qu’on allait te trouver de nouveaux maillots de bain ?

— Tu plaisantes ! J’en peux plus de te voir avec tes gros pulls. Tu commences à avoir du ventre, il te faut des fringues, Bichette, et il va falloir que tu assumes. Et puis j’ai trop envie de gâter ce petit bébé !

Rebecca pose sa main libre sur mon ventre et je me contrôle pour ne pas la repousser. Elle a pris cette habitude stupide chaque fois qu’elle parle du Têtard, c’est insupportable.

— Je te signale que je porte ces pulls enceinte ou pas. Il fait froid, Bec.

— Ecoute, me dit-elle en se tournant vers moi une fois garée sur le parking du centre commercial. Tu sais ce que ça fait d’être enceinte ? Tu vas gonfler de partout, te sentir moche et énorme. Il te faut de jolis vêtements pour garder confiance en toi. Et puis, merde, Sarah, maman célibataire. Et les mecs, dans tout ça ?

Je sors de la voiture en levant les yeux au ciel. Crois-moi, je n’ai pas de problème en ce qui concerne les mecs, j’ai ce qu’il faut à la maison. Je me dis que je devrais être honnête avec ma meilleure amie, mais je la connais, j’ai peur que l’info fuite bien malgré elle. Je suis sûre qu’elle est capable de balancer à Abdul, qui en parlera à ses coéquipiers, et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf”, tout le monde sera au courant. Je me demande d’ailleurs comment elle a fait pour tenir sa langue au sujet de ma grossesse, jusqu’à présent.

— Je n’ai pas besoin de mec. Et je te remercie pour la description des mois à venir, ça fait envie, tout de suite. Dommage que ce soit trop tard pour l’avortement, tu serais capable de me faire changer d’avis, bougonné-je alors qu’elle glisse son bras sous le mien pour m’embarquer avec elle.

— Ah non, hein, ne change pas d’avis ! Je veux être tata, moi ! Et gâter ce petit monstre qui va t’empêcher de dormir !

— Parle pas de malheur. Y a des gosses qui font vite leurs nuits, t’as intérêt d’aller brûler un cierge pour moi. Wow, attends, non, non, pas ce magasin enfin ! Des fringues, ok, mais c’est un peu tôt pour le reste !

Becca ne m’écoute pas et m’entraîne dans le magasin, tout sourire. On dirait qu’elle est bien plus emballée que moi par cette grossesse. Pourtant, j’ai dépassé depuis un moment le stade de l’acceptation. Mais là, au beau milieu des poussettes, c’est un peu la panique dans ma tête. Cela rend les choses bien plus réelles.

— Bec, vas-y mollo, s’il te plaît, je suis pas prête pour tout ça, moi. J’ai même pas encore fait d’échographie, je… Enfin, j’ai encore du mal à réaliser, tu sais ?

— On va juste regarder, alors, et acheter un ou deux bodies et une petite peluche. Mais tu sais, il va falloir que tu réalises, le temps passe vite quand on est enceinte. Enfin, j’imagine, je ne suis pas une experte.

— Tu n’es pas une experte mais c’est toi qui m’embarques pour une ma première virée shopping pour bébé, sans me prévenir, d’ailleurs. T’es vraiment ingérable, heureusement que je t’adore, Bichette, parce que je pourrais t’en vouloir !

Surtout que j’aurais aimé faire ça avec ma mère, ou avec Liam. Je me vois mal tout choisir sans lui, même si je n’ai pas vraiment hâte qu’on parle de tout ça. Je sens que l’argent va encore être un problème déposé sur la table pour plomber l’ambiance.

Becca m’embarque dans un rayon de peluches et doudous, et je me demande comment je vais faire pour ne pas tout acheter. Tout est vraiment trop mignon et craquant. Je prends d’ailleurs discrètement une photo des doudous et l’envoie à Liam.

— Becca m’a tendu un piège, et j’ai envie d’acheter tout le rayon maintenant que j’y suis. Sauve-moi !

Il doit être en train de s’occuper de Jude, c’est lui qui gère ce soir puisqu’il n’a pas entraînement. Quand je vois comment est Becca, en mode toute excitée à me montrer chacune des peluches qu’elle a envie d’acheter pour le Têtard, ça me donne juste envie de rentrer à la maison, là où ce bébé est accepté mais pas non plus fêté à outrance. Parce que là, on est un peu dans l’extrême. Du Becca tout craché, quoi.

— Bec on a dit une peluche, regarde combien tu en as dans les bras, ris-je en reposant un rhinocéros un peu trop gros à mon goût.

— Oui, mais il faut que j’en achète aussi une à la place du papa, non ? Il n’a pas l’air d’être très présent… C’est qui, d’ailleurs ? Quelqu’un que je connais ?

Et c’est reparti pour une séance de mensonges… Ça me fait mal au cœur, d’autant plus que j’ai l’impression de dire du mal de Liam alors qu’il est là, présent pour moi. Bref, il va vraiment falloir qu’on aille au charbon.

— C’est compliqué… Disons que le Papa est dans l’ombre… On verra ce que l’avenir nous réserve, dis-je alors que je sens mon téléphone vibrer.

— Dans l’ombre ? Il est en prison, ou quoi ?

— Mais non ! Il n’est juste pas dans les parages en ce moment, si je puis dire… Il est mignon le petit lion, non ? lui demandé-je pour changer de sujet.

— Ah oui, trop chou ! Et ton bébé, s’il naît en août, ce sera un lion, non ? Il faut le prendre ! Tu lui diras que ça vient de Tata Beckie ! s’enthousiasme-t-elle.

Je souris en la voyant récupérer la bête. Heureusement que je lui ai montré la version miniature, parce qu’elle aurait été capable de prendre le plus gros que j’ai vu au coin du rayon. En attendant, elle continue à arpenter le rayon en s’attardant sur les doudous. J’en profite pour jeter un œil au message de Liam.

Tu es déjà en train d’acheter des doudous ? Tu ne perds pas de temps ! J’ai dit à Abdul de l’appeler et de lui demander de se dépêcher de rentrer parce qu’il a envie d’elle. J’espère que ça marchera parce que moi aussi, je t’attends.

— J’ai pas trop eu le choix, Capitaine. C’est elle qui m’a emmenée contre ma volonté. J’essaie de lui faire zapper le doudou, je préférerais qu’on le choisisse tous les deux. Souhaite-moi bonne chance ! Et n’oublie pas de préparer à manger !

— Bec, on avait parlé de bodies, non ? J’ai bien envie d’aller voir ce qu’ils font…

— Tu écris à qui comme ça ? Au papa ? Moi, j’ai Abdul qui vient de m’envoyer un message avec une photo… Mmmm ! Je ne sais pas si j’ai le temps d’aller choisir un body !

— J’écris à Liam qui doit préparer le repas ce soir. Et donc, une photo de son entrejambe et ta meilleure amie n’existe plus ? N’oublie pas que tu dois me déposer chez moi, hein ?

— Mais ce n’est pas une photo de son engin, voyons ! Regarde sa tablette de chocolat ! A croquer, non ? Et je lui ai dit d’attendre en se matant un porno, ça nous laisse du temps. Liam sait cuisiner ? Tu sais que ça en ferait le mari parfait ! Il va vraiment falloir que je parvienne à l’attirer dans mes filets ! Et tu as fait quoi du lion qu’on avait choisi ? enchaîne-t-elle en passant du coq à l’âne, presque dans un souffle.

— Il est sous ton bras, Bec, ris-je. Bon, on y va alors ? Un porno, c’est un coup à le faire partir un peu vite, non ?

J’ignore sciemment son envie toujours renouvelée de se taper Liam malgré le fait qu’elle semble vraiment attachée à Abdul et l’entraîne aux caisses pour qu’elle achète ce fichu petit lion tout mignon, quittant presque à regrets les doudous. Bec est toute excitée à l’idée de retrouver Abdul pour sa partie de jambes en l’air, mais cela ne l’empêche pas de vouloir entrer à la maison pour voir Liam. Elle est vraiment déroutante, parfois. Toujours est-il que je dois à nouveau mentir, prétextant que vu l’heure, mon basketteur doit être en train de doucher Judith. Jude qui se douche toute seule depuis un moment déjà.

— Je suis rentrée ! crié-je en fermant la porte derrière moi.

On dirait une vraie Mama qui rentre du boulot, c’est fou. Et flippant.

— Tu as acheté des doudous, alors ? me demande-t-il en m’embrassant devant la porte d’entrée.

— Non mais Bec vient d’offrir son premier cadeau au Têtard, souris-je en sortant le petit lion du paquet. C’est pas trop mignon ?

— Ah oui, trop beau ! Il faudra le montrer à Jude, elle va adorer.

— Tu m’as sauvée, mon héros, ris-je en m’agrippant à son cou. Bec avait hâte de retrouver son Abdul. J’aurais dû ressortir de la galerie avec une nouvelle garde robe et de quoi habiller ce bébé pour les dix ans à venir, et je reviens avec une peluche !

— Tu m’étonnes qu’elle avait hâte. Il lui a dit qu’il l’attendait attaché au lit et nu comme un ver. Et s’il n’y avait pas eu Jude, peut-être que j’aurais fait de même, qui sait ?

— Eh bien, vivement que Jude soit au lit alors.

Je l’embrasse amoureusement et profite de la chaleur de son corps jusqu’à ce que nous entendions sa sœur l’appeler depuis le salon. Franchement, les parents absents, ça a ses avantages. Je crois que c’est la première fois que nous nous embrassons dans l’entrée, comme nous avons inauguré le canapé pour la première fois hier soir. J’ai hâte de voir quelle sera la prochaine étape, mais avant cela, il faut gérer la jolie petite tornade qui déboule et s’extasie devant le petit lion. Une chose est sûre, la vie avec les Sanders, c’est quelque chose !

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