Liam

C’est la folie, ce matin. Enfin, c’est la folie depuis quelques jours et l’annonce de notre déménagement. J’ai dû poser des congés aussi bien au café qu’au supermarché pour tout préparer et ce seront des journées non payées. Encore un événement qui ne va pas améliorer notre compte en banque. Mais difficile de faire marche arrière maintenant que tout est enclenché. Et Judith a l’air vraiment contente de déménager. Je n’avais jamais réalisé à quel point elle détestait cette maison et ce quartier.

— Jude, tu sais qu’on ne va pas pouvoir tout prendre aujourd’hui ? Il faut juste qu’on prenne ce qu’il va nous falloir pour les prochains jours, on reviendra la semaine prochaine pour terminer.

— Je sais, mais je veux tous mes jouets, moi !

— On ne sait même pas quelle taille ont nos chambres. Il faut être raisonnable, Jude. Si tu veux, on peut mettre un peu de tes jouets dans mes sacs.

— Vic elle a dit que je pouvais tout prendre, Liam. C’est trop bien !

Ah oui, Vic a dit… Je commence à en avoir assez de cette phrase et on n’est même pas encore partis chez elle. Je n’aime vraiment pas comment ma sœur n’a que cette idée en tête alors qu’elle n’a vu la fameuse Vic qu’une fois. Si seulement j’avais les moyens de nous faire rester dans cette maison… Mais maintenant que je sais que Judith n’a qu’une envie, c’est d’en partir, difficile de m’opposer à ce projet. Et puis, quand je vois mon père heureux comme jamais, c’est compliqué aussi de jouer le rabat-joie. Mes potes basketteurs ne vont pas tarder à arriver pour le déménagement, il faut qu’on s’active.

— Allez, petite chipie, dépêche toi de finir de faire tes sacs, on va être en retard sinon. Le camion va arriver !

— J’essaie, Liam. T’es pas drôle, t’as pas de jouets à ranger, toi, forcément ça va plus vite, dit-elle en récupérant ses Barbies par terre.

— Ça va aller, Jude, tout ce que tu ne peux pas prendre dans ton sac, tu le mets dans le mien, d’accord ? Moi, je me débrouillerai. Deal ?

Tout de suite, ce petit mot me rappelle mes échanges avec Sarah. Hier, elle a cherché à me joindre, mais je n’ai pas répondu, trop occupé par tous les préparatifs. Elle m’a alors envoyé un petit message pour me demander si elle pouvait me rejoindre. J’ai dû lui dire que c’était hyper tendu à la maison et que ce n’était vraiment pas le bon moment, mais que je la retrouverai ce dimanche soir. Elle m’a juste répondu par un petit : “je t’embrasse.” Encore une fois, je crois que je l’ai déçue, mais comment faire autrement ? Et puis, la retrouver, c’est bien, mais qui sait si Belle Maman va me laisser recevoir une copine à la maison ? J’ai vraiment l’impression de quitter mon chez-moi non pas pour aller vivre dans une autre maison, mais pour aller m’incruster chez quelqu’un. C’est horrible.

Quand mes coéquipiers arrivent avec le camion payé par Belle Maman, j’ai l’impression que c’est la fin du monde. Il y a du bruit partout, des mouvements dans tous les coins, des meubles qui bougent, des cartons qui s’empilent. Mon père est à la baguette et je suis surpris par sa capacité à gérer cette entreprise sans se faire dépasser. J’ai l’impression qu’il sait où mettre tout pour optimiser au maximum l’espace du camion. Jude participe aussi à son niveau. Elle est parfois dans le chemin, mais tout le monde la traite avec bienveillance. Il y a toujours un basketteur à ses côtés, quelqu’un qui a un peu besoin de se reposer, de reprendre son souffle et elle les charme tous, un à un, par ses sourires, sa gentillesse, ses propos enfantins.

Quand enfin, Jude dépose son petit sac rempli de jouets sur la banquette arrière de la voiture de Ryan, mon père claque la porte arrière du camion, un sourire satisfait aux lèvres. C’est le signal pour que Megan sorte de chez elle, deux de ses gamins accrochés à ses jambes.

— Eh bien, vous avez été efficaces ! J’espère que vous comptiez nous dire au revoir, quand même !

— Bien sûr, Megan, dit mon Père. Après tous les services que tu nous as rendus, on ne pouvait pas partir sans un dernier hug. Et puis, on ne va pas si loin que ça, tu sais, on pourra se revoir.

— J’espère bien, tiens ! rit-elle en me prenant dans ses bras. Tu reviendras me voir, hein, mon Lapin ?

— Bien sûr, Megan. C’est peut-être moi qui vais avoir besoin de babysitting si Belle Maman se retrouve trop envahissante. Tu m’accueilleras chez toi, si c’est le cas, hein ?

— Bien sûr, mon Mignon ! Qui refuserait de t’ouvrir sa porte, franchement ? Certainement pas moi, continue-t-elle en me pinçant la fesse avant de soulever Judith dans ses bras. A bientôt, ma Chérie.

— A demain, Megan ! dit Judith qui n’a pas compris qu’on n’allait pas revenir de si tôt.

— Non, Jude, demain, tu ne verras pas Megan, on sera chez Vic. Enfin, toi, tu n’y seras pas. Moi, je risque de venir ici dès ce soir, dis-je en souriant à notre voisine qui essuie une larme. Comment te laisser nous pleurer comme ça ? Tu ne rends pas les départs faciles, tu sais !

— C’est jamais facile un départ, mon Lapin, même quand on quitte ce vieux quartier. Mais bon, vous allez mener la belle vie, d’après ce que m’a dit ton père. Profitez-en bien, vous le méritez, tous les trois.

— Allez, Fils, tu auras le temps de saluer Megan quand tu viendras chercher ta bécane. Monte dans le camion, on file, si on veut avoir le temps de tout vider avant ce soir !

Je soupire et serre une nouvelle fois Megan dans mes bras avant de monter dans le camion de déménagement, à côté de mon père et de Jo qui s’est mis au volant. Jude s’est assise sur mes genoux. Ce n’est pas très prudent, mais nous n’avons pas beaucoup d’espace et on va faire attention.

— Vous pouvez me redonner l’adresse ? demande mon ami à mon père.

— C’est derrière le stade de football, énonce mon père calmement alors que je blanchis un peu à cette nouvelle.

— Vraiment ? On va aller dans ce quartier de bourge ?

— Je t’avais dit que tu allais aimer la solution que j’ai trouvée, Liam. On quitte les bas-fonds pour nous retrouver plus près du Bon Dieu.

J’hallucine, là. C’est le quartier où vit Sarah et si on emménage dans une maison comme la sienne, ou ne serait-ce qu’une maison deux fois plus petite que la sienne, ça va nous changer.

— Il faut espérer qu’en nous approchant du sommet, on ne va pas perdre toute notre liberté et toute notre hauteur, maugrée-je.

— Tss… Tu vas adorer vivre plus près du campus et de la salle de basket. Tu vas vite t’habituer, tu verras.

Je préfère ne pas commenter et regarde la route défiler par les fenêtres de notre camion. Le chemin est familier, je l’ai encore fait il y a pas si longtemps sur ma moto en rentrant de chez la fille que je baisais. Ou alors ma copine, parce qu’on s’était un peu promis l’exclusivité quand même ? En tous cas, tout me ramène à elle. Même le quartier où je vais habiter. Mon père guide Jo en lui donnant les indications au fur et à mesure. Et quand on tourne dans la rue où habite Sarah, je me redresse dans mon fauteuil.

— C’est quoi l’adresse exacte, Daddy ?

Quand il énonce comme si de rien n’était le numéro, je pense qu’il doit y avoir une erreur. Mais quand Jo s’arrête devant le château de ma Princesse, je m’affole.

— Tu rigoles, Daddy. Ce n’est pas là, quand même ?

— Est-ce que j’ai une tête à plaisanter ? Elle n’est pas belle, cette maison ? Regarde, Jude, on dirait un château !

— Oui, je vais devenir une princesse ! Vic a dit que je pourrais m’installer sur les banquettes de la chambre de Sarah pour jouer, comme Raiponce, à sa fenêtre !

Sarah. C’est vraiment elle. Mais comment ça se fait que jamais son prénom n’ait été prononcé devant moi ? Et comment je vais me comporter devant elle ? Mon père est vraiment tombé amoureux de la mère de la fille avec qui je suis depuis quelques semaines ? C’est quoi ce bordel ?

— Allez les jeunes, fini de rêver, allons prévenir que nous sommes arrivés !

— Je crois qu’ils nous attendent et qu’ils ont vu le camion, grommelé-je sans bouger de ma place.

Mais Jude est toute excitée et ouvre la portière du camion pour se précipiter vers la maison. Mon père sourit devant cette excitation alors que j’hésite encore à descendre.

— Tu penses vraiment qu’on va être heureux dans cette maison, Daddy ?

— J’en suis persuadé, Fils. Je sais que c’est… Rapide, brusque et que tu ne vas pas te sentir à l’aise au début. Mais, je te garantis que Victoria est géniale, et qu’on va former une jolie famille. Jude a l’air heureuse en tous cas, t’imagines, la voilà avec une sœur en plus de toi, sourit-il. Fais un effort, d’accord ?

— Tu ne sais pas ce que tu me demandes, Daddy, mais oui, je vais faire un effort. Je n’ai pas le choix de toute façon.

Quand mes pieds touchent le sol, j’ai l’impression d’être dans une mauvaise série B. Je ne sais pas quelle crasse va encore m’arriver, mais je sais que ça va être compliqué de retrouver Sarah dans ces conditions. Franchement, il y avait une chance sur un million pour que ça arrive, cette coïncidence. La question, désormais, c’est comment Sarah et moi allons gérer.

Je m’approche lentement de l’entrée, j’ai l’impression que mes pieds pèsent des tonnes, que je dois faire un marathon pour parcourir ces quelques mètres qui me séparent de la maison. J’ai aussi le sentiment d’être observé depuis la fenêtre de cette tourelle qui me nargue. Je sais que tout ça, c’est dans ma tête, mais je suis trop retourné par la situation pour me sortir de cet état dans lequel me plonge notre déménagement. Peut-être que je vais bientôt sortir de ce cauchemar et me réveiller ? Si c’est le cas, promis, j’appelle Sarah et je lui raconte cette mauvaise blague afin de détendre l’atmosphère et de nous rabibocher. Parce que là, il faut vraiment avoir un cerveau torturé pour imaginer un tel scénario !