72. Impossible mais désirable

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Sarah

Mon cerveau refuse de réaliser ce que vient de dire Liam. Ça tourne en boucle dans ma tête pendant un certain moment, et j’ai du mal à savoir si je reste silencieuse pendant quelques secondes ou plusieurs minutes. Tout comme j’ai du mal à comprendre comment Liam a pu passer du “j’ai envie de toi, viens on baise” au “je t’aime”. Je suis sûre que les deux tiers des nanas qu’il a eues dans son lit rêveraient d’entendre ces mots sortir de sa bouche à leur encontre, mais moi, je sens une boule d’angoisse se former dans mon estomac. J’ai peur qu’il joue un rôle, moi qui lui ai dit qu’il devenait romantique tout à l’heure. Peur qu’il se joue de moi et n’en pense pas un mot, mais cherche à satisfaire ce besoin que je lui ai avoué de vivre plus que juste du sexe avec lui. Mais, par-dessus tout, j’ai la trouille, parce que j’ai envie de lui dire que, moi aussi, je l’aime. Que je me suis attachée plus que de raison, que je ne m’imagine pas avec un autre homme, qu’il m’apaise et me rassérène chaque fois qu’il me prend dans ses bras, qu’il me comble bien au-delà du versant sexuel de notre relation. Je suis bien avec lui, et c’est agréable. Mais ces mots placent notre relation dans une case que, finalement, je ne veux pas ouvrir. Nos parents s’aiment, nous ne pouvons pas nous embarquer là-dedans, nous aussi.

— Tu t’es cogné la tête quelque part pendant tes balades nocturnes pour virer romantique à outrance ce soir ou quoi ? plaisanté-je en tentant de prendre un air détaché.

— A outrance ? Je te confie juste ce que je ressens, Sweetie. Rien d’autre. J’essayais de me mentir à moi-même, de ne pas admettre ces sentiments, mais je suis obligé de me soumettre à l’évidence, je suis amoureux de toi. Tu es si… Parfaite, c’est fou, tu vois.

J’ai l’impression d’être un monstre et je suis totalement perdue. Je me dégage gentiment de son étreinte et me tourne vers lui.

— Mais… Tu ne peux pas m’aimer, Liam ! Ce n’est que du sexe, entre nous, tu te souviens ? On ne peut pas… Enfin, c’est pas possible !

Il me regarde, visiblement aussi perdu que moi en raison de ma réaction, à laquelle il ne s’attendait sûrement pas.

— Ce n’est pas toi qui me disais que ce n’était pas que du sexe que tu voulais ? Parce que si, je peux t’aimer. Je t’assure que je ne suis pas en train de tout inventer, là. Si ce n’était vraiment que du sexe, tu peux m’expliquer pourquoi je m’apaise quand tu es dans mes bras ? Pourquoi je me sens bien quand tu souris ? Pourquoi j’ai envie que ces moments partagés avec toi durent à jamais ?

— Qu’est-ce que tu connais de l’amour ? Tu m’as l’air bien sûr de toi, mais… Jusqu’à moi, tu ne passais qu’une nuit avec les filles, c’est peut-être tout simplement de l’attachement. On vit ensemble, on se voit tous les jours, c’est normal, non ?

Je ne me trouve moi-même pas convaincante… J’ai beau ne jamais avoir été vraiment amoureuse jusqu’à aujourd’hui, je sais que ce que je ressens pour lui est plus fort que tout ce que j’ai pu éprouver jusqu’à présent. Il décrit exactement comment je me sens en sa présence, et savoir qu’il pourrait ressentir la même chose que moi me terrifie, parce que jusqu’alors, je n’avais aucun espoir sur un possible “nous”.

— Tu penses vraiment que ça ne pourrait être que de l’attachement ? Je…

Il s’arrête avant de terminer sa phrase et me regarde, sûrement pour essayer de me comprendre, de savoir ce que je pense réellement. J’essaie de rester la plus froide possible, tout en la jouant femme blasée qui sait bien que tout ceci n’est qu’une passade alors qu’au fond de moi, je bous intérieurement.

— Sarah, je suis désolé… Je croyais… Enfin, tu me semblais être toi aussi… Non, ce n’est rien, j’ai dû me tromper… Mais, me relance-t-il à nouveau après une hésitation, si ce n’était que du sexe, pourquoi est-ce que j’ai aussi envie de passer tout mon temps avec toi ? Pourquoi ai-je autant adoré notre petit repas au restaurant en tête à tête ? Tu ne peux pas être sérieuse quand tu dis que ce n’est pas de l’amour, tout ça !

— J’en sais rien, Liam, marmonné-je en me levant.

Je ne sais pas du tout comment désamorcer tout ça. Il a l’air très sûr de lui, mais il ne pense pas à tout le contexte dans lequel nous vivons. Il ne s’est évidemment pas trompé, il semble lire en moi comme dans un livre ouvert. Forcément que moi aussi, je suis amoureuse. Comment ne pas l’être ? Derrière son côté grande gueule sûre d’elle se cache un mec en or qu’on gagne à connaître.

— Peu importe ce que c’est, continué-je sans plus oser le regarder. Ça ne change rien, Liam. Tout ça, c’est impossible. Déjà, se voir pour du sexe était risqué, mais on ne peut pas y ajouter des sentiments.

— Pourquoi est-ce si impossible que ça ? me demande-t-il en se levant et en se dressant derrière moi.

— Oh, je ne sais pas, attends, je dirais : le mariage de ton père avec ma mère ? Ta sœur qui me prend pour sa sœur depuis qu’elle vit à la maison ? Nos parents qui vantent les mérites de notre belle famille recomposée ? Il t’en faut d’autres ou c’est suffisant ? m’agacé-je.

— Tu ne m’apprends rien, là, grogne-t-il en s’éloignant enfin un peu de moi, créant cette distance nécessaire pour que je ne perde pas la tête à mon tour et me jette sur lui pour lui avouer mes sentiments. Mais ce n’est pas nouveau, tout ça, si ? Au début, tu refusais le sexe, et maintenant, il me semble que tu aimes ça autant que moi, non ? Pourquoi ce ne serait pas pareil avec les sentiments ? Même si tu ne ressens rien pour moi maintenant, pourquoi est-ce que ça ne changerait pas avec le temps ?

— Mais là n’est pas la question, enfin ! Comment tu veux qu’on puisse envisager un avenir à deux dans ces conditions ? Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, quand on s’aime, non ? Donc tu veux qu’on fasse quoi, on adapte le deal ? On baise et on s’aime jusqu’au mariage de nos parents ? Et ensuite on se dit au revoir en tant que couple et bonjour petit frère ? Liam, enfin !

Ce weekend ne ressemble en rien à ce que j’avais imaginé. Comment est-ce que ça a pu partir autant en live, sérieusement ? Pourquoi est-ce qu’on se parle ? A chaque fois qu’on a des discussions sérieuses, on finit par s’engueuler, c’est fou.

— Un deal, c’est un deal. Ça ne se change pas, Sweetie. Et on ne peut pas éteindre ses sentiments juste parce qu’un papier est signé quelque part. Je suis désolé de m’être trompé sur ce que tu ressentais pour moi. J’ai l’air d’un con, maintenant. Et en plus, avec ce que j’ai dit et te connaissant, je suis sûr qu’on ne va même plus pouvoir profiter. Tu ne sais pas à quel point ça va me manquer… Même venir dans mes bras, tu vas refuser… Putain que je suis con… Tomber amoureux de la seule personne que je n’ai pas le droit d’aimer ! Tomber amoureux d’une femme qui ne partage même pas mes sentiments. Oublie cette conversation, Sarah, et faisons comme si je n’avais rien dit. De toute façon, je n’ai rien dit, c’était juste un rêve, un trop plein d’émotions déjà oubliées. J’ai vraiment dû me cogner la tête quelque part pendant qu’on baisait dans la cabine, t’inquiète pas, ça va me passer.

— C’est bon, tu as fini ta tirade du mec désespéré ? Tu n’as aucune idée de ce que je ressens pour toi et que je refoule depuis des semaines, bon sang. Je n’ai aucune envie d’arrêter quoi que ce soit avec toi, soupiré-je en resserrant les pans de ma veste, mais on n’a pas le choix, Liam. Et puis, sérieusement, toi qui changes de meuf comme de caleçon, tu te vois vraiment te poser avec une seule nana ? Tu imagines le truc, quand même ? Tu passes du coq à l’âne, là. Alors ouais, sur deux, trois mois, pourquoi pas, mais je ne doute pas que tu vas te lasser. Je n’ai rien d’exceptionnel… Et amoureux ou pas, je suis sûre que tu finiras par avoir besoin d’aller voir ailleurs. Et c’est pas du tout mon kif de partager, moi. Enfin, partager quoi ? On doit se cacher de tout le monde, où est-ce que tu penses qu’on peut aller, dans ces conditions ?

Je finis ma tirade à moitié essoufflée et grimace en me demandant comment Liam peut avoir compris quoi que ce soit dans ce brouillon que je viens de lui balancer.

— Tu refoules tes sentiments ? me demande-t-il, me donnant l’impression qu’il a zappé tout le reste de ce que j’ai pu exprimer.

— Bien sûr ! Tu crois quoi, que je suis un être sans cœur ? Bordel, Liam, ça fait plus de trois mois qu’on couche ensemble, on dort ensemble, on vit même sous le même toit. Et c’est toi, bon dieu ! Comment ne pas tomber amoureuse ? Faudrait être vraiment stupide pour ne pas développer des sentiments pour toi.

Je grimace en retournant m’asseoir. Si c’est comme ça que je compte éviter de me dévoiler, j’ai vraiment une stratégie bancale.

— Mais, si tu m’aimes aussi, pourquoi tu bloques ainsi sur le reste ? L’amour n’est pas censé être plus fort que tout ? Peut-être que l’on peut juste en parler à nos parents et qu’ils vont annuler leur mariage si c’est pour notre bonheur à nous ?

— Tu les as vus, tous les deux ? Chacun de leurs choix depuis qu’ils sont ensemble a été purement égoïste. Tu crois quoi, qu’ils vont tout annuler pour ce qu’ils vont qualifier d’amourette ? Et puis… Merde, je ne peux pas faire ça à ma mère, soupiré-je. La voir heureuse à nouveau… Elle est tellement enthousiaste à l’idée de se marier avec ton père…

— Oui, tu as raison, soupire-t-il. C’est fou ça, je devrais être le plus heureux du monde que tu partages mes sentiments, et nous voilà malheureux comme tout, coincés dans notre situation. On fait quoi, maintenant ? Tu as une idée ?

— On revient une heure en arrière et je te balance par-dessus bord pour éviter que cette conversation ait lieu ? ris-je en tentant de détendre l’atmosphère.

— C’est toi qui est censée être mouillée en ma présence, pas l’inverse, répond-il un peu sur le même ton. Non, mais sérieusement, ça te va si on continue comme maintenant ? Du sexe, du très bon sexe même, mais rien que du sexe. Le reste, c’est tabou, on n’en parle pas, on n’y pense pas, on fait tout pour l’éviter. Deal, Sweetie ?

— Deal, mais dans deux minutes. D’abord, j’ai bien envie de t’entendre encore me dire ce que tu ressens, souris-je en me levant pour l’enlacer.

— Je t’aime, Sarah. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, répète-t-il en me serrant contre lui. Et quoi que les autres peuvent penser, je m’en fous parce que je suis bien dans tes bras, parce que tu es à ta place dans les miens. Je t’aime, et puis c’est tout.

— Eh bien, le Liam romantique est… Terriblement excitant. Et… Je t’aime, Liam. Si seulement tout pouvait être plus simple, soufflé-je avant de l’embrasser tendrement. Allez, Deal, maintenant...

Nous mettons les sentiments de côté pour partager une nouvelle étreinte passionnée dans la cabine du petit bateau. En tous cas, nous n’exprimons rien de vive-voix, ce qui ne nous empêche pas de nous montrer ce que nous ne devons plus évoquer dans notre façon d’être, dans nos caresses, nos baisers. Comment va-t-on pouvoir mettre tout ça de côté ? Je ne suis pas sûre d’en être capable, ni d’en avoir envie. J’ai la chance d’être amoureuse d’un homme qui éprouve la même chose à mon égard, et il fallait forcément que ça tombe sur le fils du mec de ma mère. Je ne sais pas ce que j’ai fait au Karma, mais il doit avoir une dent contre moi.

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