Dr M.

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J’ai pas envie de rentrer, on est bien là, au milieu de nulle part. Je regarde mon Ben. Ses cheveux sont longs maintenant. On va devoir les attacher, il ressemble à une fille. Qu’est-ce qu’il est jeune, qu’est-ce qu’il est beau ! Finalement ça a valu le coup cette relation toxique avec Elya. J’aperçois mon reflet sur la vitre de la porte de la cabine. Mes cheveux ondulent. Je descends me regarder aux toilettes dans le miroir. Mes taches de rousseur ressortent. Je regarde mes bras, ils sont plus fins, et mon double menton a disparu. Je pose mes mains sur mes hanches. Je m’affine. Je suis une belle poupée maintenant. Je fais plus jeune, plus assortie à Ben. On arrive au port. Je respire un grand coup. Vivement qu’on reparte.

À l’Hôtel, l’ancêtre Goupil a tout géré en notre absence. Benjamin est soucieux, il a message, une convocation, du Père Supérieur :

  • Il veut me voir sur le chantier de l’E.C.
  • Sûrement en rapport avec ton Ordre. Je vais avec toi, j’en profiterai pour passer à la Clinique Centrale.

La formation a l’air plus intéressante là-bas. Plus humaine. À Russell on nous branche sur des machines comme des robots pour ingurgiter du savoir. Ça n’a pas de sens.

Mais avant je m’arrête à la Basilique. Je sais qu’elle est là, à son bureau, je vais lui faire la surprise :

  • Bonjour Mère Supérieure, je viens vous saluer
  • Martine ! Comment va Benjamin ?
  • Il s’épanouit, sur moi, vous voyez ce que je veux dire. J’y ai pris goût. C’est tellement… intense.
  • Vraiment ? J’aurais dû être plus patiente alors. Je suis passée à côte de quelque chose.

Et on se met à rire.

  • Scarlett, tu crois que tu pourrais… nous marier ?
  • - En dehors de l’Ordre ? Et bien, Clémence est bien-sûr prioritaire à l’E.C. mais après, pourquoi pas ? Si vous êtes toujours ensemble.
  • Oui, l’échéance paraît si loin. Il faut qu’on ralentisse. Bien je dois y aller, j’ai un entretien de stage à la Clinique.

Je me lève pour lui faire la bise. Ça la trouble un peu.

  • -Je t’enverrai la procédure en temps voulu, il y a des sacrements à faire, des vœux à prononcer etc.
  • Bien, on reste en contact alors.

Et en sortant je me retourne pour lui faire un clin d’œil. De complicité.

À la Clinique on me fait la faveur d’être reçue par Marielle et Phoebe. J’aurais préféré avoir à faire à une locale mais je ne suis pas en position de force, alors j’en fait abstraction. Marielle commence son baratin mais Phoebe l’arrête discrètement :

  • Nous pouvons te présenter à une consœur, si j’ose dire, locale.
  • Pourquoi ?
  • Ton médaillon autour du cou, l’Ordre de la Trinité, vous êtes plutôt indépendantistes.
  • C’est vrai mais le travail ne doit pas en être perturbé. C’est juste une obédience. Et cet Ordre a été créé par l’un des vôtres, le Pasteur Père Supérieur Patrice. Nous sommes cousins, pas ennemis.

Quel talent ! D’où je sors ça, moi ? Marielle reprend :

  • Donc, la neurologie est plus ton domaine.
  • Si on peut parler d’un domaine. Son enseignement est modeste et limité à l’Ouest, il reste très scolaire. Le fait qu’il y ait eu des dérives y est pour beaucoup. Tout ce qui en a découlé est interdit.
  • À l’Ouest, oui, mais ici nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes.

Phoebe regarde Marielle, étonnée. Quelque chose vient de m’être accordé. Elle confirme :

  • J’ai besoin d’une assistante pour le système de programmation neuronale qui a été utilisé en 2003. Nous envisageons un protocole thérapeutique avec, et je sens que tu es la bonne personne. Pas pour le subir, pour l’utiliser.

Et elle se met à rire. Phoebe, elle, me tend un document à signer, c’est une close de confidentialité, niveau 5.

  • Je ne suis pas habilité, il faut être médecin pour signer ça.
  • C’est un nouveau modèle qui inclut les assistants.

Elles ont l’air contentes. C’est moi qui devrait l’être. Mais je m’inquiète :

  • Si il y a un lien avec l’Invisible ou avec l’Octogone, entre autres, je ne peux pas signer.
  • Ce n’est que de la science civile expérimentale, le but est de la valider.
  • J’ai besoin de l’avis de mon avocat avant de m’engager.
  • C’est à dire qu’on aurait aimé que ça reste confidentiel.
  • Ça le restera. Même Benjamin ne sera pas au courant.

Phoebe se détend. C’est comme si j’avais juré sur mon Amour. Elles se lèvent et on se fait la bise en tant qu’accord tacite conditionnel. Il y a une étincelle dans les yeux de Phoebe. En fait, c’est elle la chef de l’entretien. Et elle lit en moi.

  • J’avais dit, pas d’Invisible.

Elles se figent.

  • Je plaisante.

Et on rigole. On se prend les mains même. Et on ferme les yeux. Et on respire. Elle m’aiment vraiment bien. Je leur montre que je ne suis pas une intégriste anti-Invisible. D’ailleurs, on en pratique peut-être un peu dans les cérémonies d’intronisation.

  • La neuroscience peut faire le tri dans tout ça. C’est pour ça que je suis là. À l’Ouest, ils n’ont pas le niveau.

En repartant, je longe le Jourdain pour retrouver Benjamin. Notre balade en bateau l’a transformé. Moi aussi. Une vraie cure de jouvence. Et lui est devenu plus beau et plus blond. L’océan est un monde à part. Il s’y passe des choses. Les jours sont bien plus longs que les nuits. Avant je trouvais ça bien mais sans plus. Mais le faire avec l’être aimé, ça change tout. Il faut qu’on y retourne, à chaque vacances. Rester sur le continent, c’est mourir un peu. Voguer sur l’océan, c’est revivre un peu. Il y en a qui vivent dans des péniches sur le Jourdain. Ils ont tout compris. La proximité de l’eau.

*

L’Hôtel est livré à lui-même. On y habite plus. Goupil le surveille, il est juste en face. Ben emménage dans ma maison rouge. Je l’ai à moi, chez moi, pour moi. Et j’en prends soin. Il visite et demande :

  • C’est quoi cet outil à manche à l’entrée ?
  • C’est un fusil de chasse. À pompe. Six coups. C’est pour Elya au cas où elle revienne. Je l’ai prévenue. Je pourrai la maintenir en vie et consciente jusqu’à l’arrivée des secours. Goupil m’a déjà préparé un dossier de légitime défense passionnelle pour ne pas être trop condamnée histoire de pouvoir disparaître tranquillement au cas où. Ce fusil a même un nom de code : le cazou. Je t’apprendrai à t’en servir.
  • Je vais devoir aller à l’Est de temps en temps, sur le chantier à Sylvania.
  • Moi aussi, j’ai décroché un stage de spécialisation à la Clinique. On vit à l’Ouest, on travaille à l’Est et on part en vacances au Sud. Qu’en penses-tu ?
  • Je vote pour. Loi adoptée.

Cette nuit on se repose. On dort. On récupère. Je me réveille en pleine nuit et je vais sur le réseau médical mettre mon profil à jour pour mon stage. Il y a une alarme. Mes modules ont été validés. Je suis officiellement médecin. J’avais déjà oublié ma formation générale depuis longtemps. Il y a une cérémonie officielle, je vais pouvoir y aller accompagnée. Et si j’invitais mes parents ?

*

Ils ne m’ont jamais vu en blouse blanche. Ils ne m’ont jamais vu avec un garçon. Ils ne m’ont jamais vu aussi mince et aussi belle, aussi femme, aussi épanouie.

  • Par contre, c’est qui ce gosse ?
  • Un repris de justesse, délinquance sexuelle. On a été jetés l’un sur l’autre dans une sexe party et on ne s’est plus jamais quittés. En plus il est de l’Est. Formation religieuse, sa mère est maire de Sylvania.
  • Martine, c’est quoi ce bordel ? Il fait quoi de sa vie ?
  • Rien, il est au lycée. Ah si, il a une confrérie, confessionnelle bien-sûr. On se regroupe entre dépravés et on fait des messes interdites.
  • Martine, c’est n’importe quoi.
  • Merci, moi je trouve que je m’en tire bien. Et c’est docteur Martine maintenant. Pas n’importe quel docteur, je vais faire mon internat avec des terriennes à l’Est.

Benjamin nous rejoint et je l’embrasse avant de faire les présentations. Ils restent polis. Et il m’enlève à eux. Très symbolique. Je les entends d’ici :

  • Il fallait qu’elle reprenne tout à zéro, c’est pour ça qu’elle a pris un enfant.
  • Quand même, il est beau. Androgyne avec ses cheveux longs.

Mais au fait ? Pourquoi je les entends ?

J’appelle Adé :

  • C’est rien, c’est juste un écho. Tu n’entends que les gens de ton sang. Ça va disparaître.
  • Comment voulez-vous qu’on fasse des études sérieuses qui vous suintez l’Invisible ? Ça va fausser tous les résultats.
  • Nous on va rien faire Martine. C’est toi. On va juste donner les outils.

Elle a pas l’air dans son état normal. Il manque des mots. Elle doit être occupée. À quoi ? Elle est peut-être en train de…

  • D’accord, merci, je ne vous dérange pas plus longtemps.
  • Martine ?
  • Oui ?
  • Félicitations, docteur.
  • Merci, professeur.

Et on m’appelle pour recevoir mon diplôme. Je prends le pompon de mon chapeau ridicule et je le place à droite. On fait la photo de famille. On se rend compte qu’on est à nouveau une famille. Que le fils manquant a été remplacé. Ensuite je rejoins ma promo et on jette nos chapeau dans l’oubliette du savoir et la majorette de promo allume son certificat de distinction pour le lancer à la suite et attendre quelques secondes avant de voir la fumée grise sortir du trou. Chacun a caché quelque chose de valeur dans son Mortar Board. Moi, c’est la lettre d’adieu que Florian m’a laissée avant de me laisser vivre ma propre vie maintenant. Si il m’avait demandé de l’accompagner, je l’aurais fait. Mais il a choisi un autre destin pour moi. Je dois le vivre pour lui aussi. Pas pour mes parents.

*

Et ce soir dans ma chambre rouge, en prédatrice je prépare ma proie, je remplace mon minibriz qui m’a stimulée toute la journée et je le remplace par le modèle adapté pour aller chercher les sensations entre les fesses de Benjamin. Il fait le mort, nu, sur le ventre dans notre couche et je le couvre de tout mon poids, il ne peut pas m’échapper quand je rentre doucement en lui en fermant les yeux de plaisir sous ses gémissements. Et quand la tornade s’éloigne de mon corps et de mon esprit, c’est à moi de passer sur le dos pour qu’il se vide en moi.

Le jour se lève. Quel jour on est ? Jeudi 6 février 2116. Ça ne me parle pas vraiment. Alors je reste au lit en serrant Benjamin dans mes bras. Mais on sonne. Flûte ! J’attrape un peignoir, trop chaud, j’enfile un pyjama. Toc toc toc. J’arrive à la porte, je ne vois personne. Je regarde par la fenêtre, c’est Goupil, il me voit et revient. J’ouvre la porte et j’écoute :

  • Vous êtes vivants.
  • Il y a un problème à l’Hôtel ?
  • Non, c’est juste que ça fait un moment qu’on ne vous a pas vus. Et vos monolithes sont éteints.
  • Ah oui. Mais tu sais je ne vais plus pouvoir passer, j’ai été contaminé par de l’Invisible, des terriennes, à l’Est. Maintenant j’entends discuter mes parents, même quand ils ne sont pas là.
  • Il y a eu contact rapproché ?
  • Pas tant que ça. Elles m’ont dit que ça allait passer. Mais là je les entends encore, ils sont en train de se disputer sur le menu du brunch. Il est si tard que ça ?
  • Non.
  • C’est peut-être dans un futur proche alors, ou c’est du passé, va savoir. Bref. Tu as besoin de Ben ?
  • Juste pour lui faire un rapport.
  • Il dort, je lui ai pompé toute son énergie, entre autres.
  • Pas grave, il l’a sur son mono si il l’allume.
  • Entre, je vais faire de l’alcaloïde et on a des gâteaux.

Je laisse la porte ouverte et je vais en cuisine préparer le petit-déjeuner. Il me suit et je m’amuse à le provoquer :

  • Quand on baigne dans l’amour et le sexe, on est très sensibles à l’Invisible. Toi, tu as l’air immunisé. J’ai remarqué toutes ces foldingues gothiques qui te tournent autour, elles ne te font pas beaucoup d’effet, les iel non plus. Tu es encore vivant ou bien ?
  • Je l’ai été, il y a longtemps. Mais on ne savait pas s’amuser aussi bien que vous.

J’ai comme un flash. Goupil le remarque parce j’ai arrêté tous mes mouvements d’un coup. Je me retourne vers lui et j’annonce :

  • Je suis désolé. Je sais. Merde, j’ai dû attiser l’Invisible cette nuit. Me voilà medium.
  • Ça va Martine, qu’est ce qui se passe ?
  • Ton nom de famille c’est Renard, Maître Renard au tribunal et ensuite indicatif Fox chez les agents, c’était avant que l’Octogone existe, ça remonte loin.
  • Oui, à l’époque c’était une grosse agence fédérale qui faisait plus dans l’action que dans l’enquête. Ton pouvoir serait très utile à mes ex-collègues.
  • Ils ne peuvent pas l’avoir sauf si ils l’accompagnent de beaucoup d’Amour physique et sentimental.
  • Tu as dit que tu étais désolée, de savoir quoi, d’autre ?

Je vais vérifier que Ben n’est pas réveillé. Je reviens doucement, je m’approche de Goupil, j’entre dans son cercle d’intimité et je lui chuchote à l’ oreille :

  • Tu as suivi des cours de stratégie politique. Ce n’était pas dans ton cursus mais l’assistante de la professeure était très jolie, une grande rousse. Il y a eu beaucoup d’amour et de sexe. Elle ne t’a jamais oublié. Elle a même emporté un souvenir. Tu n’habite pas en face de l’Hôtel par hasard. Tu surveilles ton fils. Je suis enceinte, je n’entends pas que mes parents, je sens aussi les ascendants de la lignée de mon Benjamin. J’ai un peu de toi en moi, Papy Goupil.

Il a l’air surpris. Je ressors de son cercle intime et je lance le filtrage de la poudre brune. On ne l’entend plus. Il s’assoit pour accuser le coup. Je le fais sursauter en criant :

  • Benjamin !

Je me mets à rire en voyant la tête paniquée du Goupil. Je me reprends et je continue :

  • Petit-déjeuner !

Je lui souris et je lui fais un clin d’œil. Avant qu’il n’arrive je lui dis :

  • Dis donc, elle a attendu longtemps avant le pondre. Elle te la dit ou bien ?
  • Non.
  • Comment tu l’as su alors ?
  • Je l’ai senti. Une sorte d’intuition.
  • Tu vois, sexe, amour et invisible. Je vais garder le secret et tu sais pourquoi ?
  • Non.
  • Parce que c’est à toi de lui dire.

Il débarque à moitié réveillé et il demande :

  • Me dire quoi ?

Alors Goupil se lance :

  • Benjamin, j’ai découvert l’identité de ton père. Confirmé par un test génétique.

Ben se décompose :

  • Mince, la tuile. Est-ce que ça compromet l’OTL ou ma relation avec Martine.
  • Alors comme ça je passe après l’OTL ?
  • C’est pas ce que je voulais dire, désolé ma chérie, je t’aime plus que tout. Goupil ?
  • Exactement, tu l’aimes plus que tout et en effet, c’est moi. Je suis ton père.

Et il se met à rire. Longuement. Mais en voyant nos têtes il se ravise, réfléchit et repart de plus belle. Une fois qu’il est calmé et qu’il voit qu’on continue de le regarder sérieusement, il inspire et il expire et il dit tout simplement :

  • OK.

*

L’O.T.L. est donc maintenant une affaire de famille. Et pour y rester je vais voir Adé à la Clinique Centrale de Sylvania. Elle me reçoit à son cabinet.

  • Tu veux encore me toucher ? Je crois que tu as assez fait de dégâts. Si ça persiste je ne peux plus aller à l’Hôtel, les Invisibles y sont bannis.
  • Une histoire de bannissement qui en entraîne une autre, Benjamin tourne en boucle et tu te retrouves éjectée, force centrifuge.
  • Belle image, visible. Alors, qu’est ce qu’on fait.
  • Mets-toi nue et à plat ventre devant moi, sur la table. Je vais voir.

Foutue pour foutue, je décide de lui faire confiance. Je me détends. Ses mains sont chaudes. Je ferme les yeux. Elle me parle de façon hypnotique :

  • Depuis que j’ai arrêté les prières, je contrôle mal mes pouvoirs. Tu es tendue, je commence par un massage. Avec l’Invisible, il ne faut pas lutter, on ne peut que subir. Ta silhouette s’est affinée, on voit mieux tes formes. Tu es particulièrement sensible à l’Invisible, arrêter le sexe peut le freiner mais il disparaîtra dès que tu n’auras plus d’amour en toi.

Et ses mains partent de mes fesses, remontent le long de ma colonne vertébrale et viennent s’arrêter sur ma nuque, je ne peux retenir un râle de bien-être. Je suis à sa merci. Elle peut tout me faire si elle veut. Je me retourne et elle me caresse les seins, sa main droite descend sur mon ventre et je sens un doigt entrer en moi. J’ai des frissons de plaisir partout, je ferme les yeux et je sens ses lèvres sur les miennes, sa langue qui entre aussi se mélanger à la mienne. Un acte médical d’une douceur extrême. Je descends à un niveau de conscience inférieur. Elle me soulève, me met en position assise devant elle, elle m’écarte les cuisses et s’avance pour me serrer dans ses bras, un gros câlin. Je sens sa bouche dans mon cou, elle remonte sur mon oreille où elle me dit quelque chose, on dirait du latin, elle m’embrassa la joue et un bref bisou sur la bouche me réveille. Je me rhabille pendant qu’elle retourne à son bureau préparer un dossier et enregistrer des données. Je me sens calme et détendue comme jamais.

  • Martine, tu veux qu’on déclenche la grossesse ?
  • Maintenant ? Je viens à peine de commencer ma spé et le papa est encore au lycée. C’est pas un peu tôt ? Et puis, c’est mon premier, il y en aura peut-être d’autres, je pourrai choisir, c’est la tradition dans sa famille. Rachel, elle l’a fait venir beaucoup plus tard. On vient de retrouver le père. Ou plutôt, c’est lui qui nous a trouvé. Il nous surveillait. Je l’ai repéré grâce à l’Invisible. C’était une question test ?
  • Oui, à demander à chaque consultation.

C’est fini mais je n’arrive pas à sortir du cabinet. C’est comme un blocage hypnotique. Alors je m’approche d’elle, elle se lève et je pose mon front contre le sien. Elle me prend doucement les mains. Elle est douée, dans son domaine. Elle fait du bien.

  • Au revoir ? Docteure. Mère supérieure ?
  • Professeure maintenant.

Et elle me fait un bisou pour me libérer de son emprise. C’était pas une consultation dans les normes. Elle m’aime bien. Il fallait qu’elle me goûte.

  • Merci Adé, c’était très agréable. J’ai senti ton amour me parcourir le corps et s’arrêter dans mon cœur.
  • La prochaine fois c’est à toi de me parcourir, le corps.

Ça fait partie de la formation ? Peu importe. Oui, sans doute. Je dois apprendre le corps, d’une terrienne.

*

Je lui rends son collier argenté :

  • Désolé Ben, je ne suis plus compatible. À la clinique, je baigne dans l’Invisible.

Alors il me prend la main gauche, gobe mon annulaire et quand mon doigt ressort de sa bouche il y a une bague avec une pierre bleue. Je le serre dans les bras, je l’embrasse. Je suis sa femme. Et c’est tout ce qui compte. Il m’a moi, il a son Hôtel et il a son père. Je l’ai lui au nord, mon bateau dans le sud, ma maison à l’ouest et ma formation à l’est. Comme un signe de croix. Et je lui raconte notre histoire :

  • Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, un vrai conte de fée mais je vais te gâcher tes années lycée où tu aurais pu faire de belle rencontres.
  • C’est aussi une légende. C’est à nous de décider ce qu’on en fait. Et j’ai déjà bien assez fait avant. Mais il n’y a plus grand-chose à faire ici et les perspectives pour la suite sont bien limitées pour choisir quoi faire de son éternité. Je me vois nulle part, je suis dans le rien avant le néant. Et on me définit, comme le fils de Rachel, comme le violeur de Scarlett, comme le gourou de l’Hôtel alors que je ne prétends qu’à une seule chose : être monsieur Martine. Être ton toi. Même si ça ne signifie rien pour les autres, c’est le plus important pour moi. Peu importe le temps que ça durera, je sais déjà que ça aura valu la peine. Et je vis dans le présent, en pleine conscience, mon bonheur avec toi. C’est à toi de voir, Martine, en toi ou dans l’Invisible, c’est toi qui a le pouvoir de faire mon bonheur ou pas parce que moi je ne te lâcherai jamais.

Je l’arrête :

  • Pas la peine de continuer, tu m’a convaincue à monsieur Martine. Embrasse ta madame Benjamin.

Et je ressens en lui son amour pour moi, unique, puissant, pur et éternel. C’est sans doute mieux ainsi, lui dans son occulte et moi dans mon Invisible pour se définir l’un par rapport à l’autre. Et je sens que je ne peux pas y échapper, ni à Benjamin, ni à l’Invisible qui se défend en moi pour ne pas être étudié, pour rester la magie qu’il est, pour ne pas être mis en courbe, pour que sa formule ne tombe pas en de mauvaises mains. Alors qu’est ce que je vais faire maintenant, qu’est ce que je vais être ? Et j’entends le docteur Phoebe Montaigne me répondre dans mon esprit :

  • Tu vas être neurologue, une science fictive qu’on ne peut pas comprendre, nous n’avons pas les capacités d’intégrer la façon dont notre propre cerveau fonctionne, c’est comme si tu essayais de faire prendre conscience à une chaise qu’elle est une chaise et pourquoi elle a quatre pieds et un dossier. On en est là. On n’a pas quatre pieds mais on a quatre autres outils avec nous. La Foi, l’Invisible, l’âme et le cœur. Fiac lux.

Mais elle disparaît de mon esprit quand mon Ben entre en moi, on se connecte en état second, je le sens venir en moi comme s’il était poursuivi, une ombre rousse plane au loin derrière lui. Une fille, pure, bienveillante. Elle a de beaux yeux verts. Le lendemain au petit déjeuner, je lui raconte :

  • Ben, avec l’Invisible, je vois des choses que je ne devrais pas voir. Comme cette fille, une rouquine au cheveux longs, c’est une nouvelle ?
  • Megan ? Je l’ai refusée, ascendance terrienne. Mais elle veut écrire sur nous. Faire un article. Elle est en section littéraire, elle cherche un sujet pour son admission à l’école des arts. Elle a du mal avec le français mais elle se débrouille bien. C’est une anglophone de Laguna Beach. Il n’y a pas plus à l’Ouest qu’elle. Mais le soleil ne lui réussit pas.
  • Elle a l’air intéressante. Je peux la rencontrer ?

On se voit au Café de la Mairie, une interview. Son accent lui va à ravir. Elle a l’air tellement gentille et ouverte. Alors je lui raconte.

  • Moi aussi j’ai été exclue, dès que j’ai été contaminée par l’Invisible. Mais je reste sa femme.

Je lui montre la bague.

  • L’Invisible ? Comment ça fait ? Quoi se passe ?
  • À mon niveau, pas grand-chose, je ne suis pas Énola ou Marielle et encore moins Greta. C’est une ancienne religieuse qui m’a refilé ça. Je suis juste un peu médium. Donnez-moi vos mains.

En fait, je lui prends, elle garde son stylo en main. Je vois…

  • Vous allez vers le levant, vers le froid et l’ombre, vous réfugier avec des livres. Il y aura toujours une Bible à écrire. Sylvania. La Cathédrale. Une bibliothèque. La Bible. Vous avez le profil d’une religieuse.

Cette ombre ne planait pas autour de Benjamin, elle m’était destinée. Je le vois dans son regard clair, direct. Elle était juste un message de l’Invisible qui me prévenait de son arrivée. Mais qu’est ce qu’elle va changer dans ma vie ? Je lâche ses mains comme si elles étaient brûlantes.

*

Avec Elya je me rends compte maintenant que c’était vraiment du grand n’importe quoi. Avec Adé ça reste médical. Mais là, à la sentir nue contre moi, debout et connectée, si douce, c’est comme une révélation. Ça ressemble à une conversation intime de nos corps, comme des murmures en silence, comme une cérémonie solennelle, une célébration mystique et magique. Tout n’est que caresses et effluves sucrées envoûtantes, elle me répand sa salive chaude sur le visage, je la sens couler dans mon cou, entre nos seins et dans mon dos jusqu’entre mes fesses tendues par le brisim qui vibre en nous et où ses ondes de plaisir me secouent par accoups. Elle a l’air aussi surprise que moi. Et on s’embrasse langoureusement, je la bois et elle m’aspire. Elle est comme un fruit juteux et frais après la soif. Et je me réveille étendue face à elle, on se regarde avec amour. Pas besoin de parler, je sais déjà tout. Mais je dois lui raconter :

  • Megan, tu fais maintenant partie de ma vie, je fais maintenant partie de la tienne, on va se voir souvent, on va s’aimer, on va jouir jusqu’à s’évanouir, encore et encore, en parallèle de nos existences, pour toujours et à jamais, dans l’éternité.

Elle ferme ses beaux yeux pour m’embrasser et mieux ressentir l’intensité de notre relation. Et on se tortille encore et encore dans la danse de l’extase qui revient par vague.

  • Alors comme ça tu es terrienne ? Ça ne se voit plus du tout. De qui descends-tu ?
  • De ma grand-mère Deborah, c’est la nièce de Hélène, la mère de Valentin, son cousin.
  • Deborah ? La compagne de Natacha, la mère de Gabriel ?
  • Celle-là, oui.
  • Donc, exclue de l’Hôtel. On va bientôt pouvoir fonder un contre Ordre des exclus de l’Hôtel. Le C.O.E.H. ça sonne bien. Et ton gémeau ?
  • Je ne suis pas de cette génération là. Et c’est plus un truc de vraie locale.
  • -C’est pas toujours une belle histoire.
  • Je sais.

Et elle pose sa main sur ma joue, elle me console. Je mets ma main sur la sienne et je ferme les yeux pour lui murmurer :

  • Il ne faut pas dire non à la vie. Il ne faut pas dire non à l’amour. Il ne faut pas dire non à l’Invisible. Il ne faut pas dire non au…

Et je suis interrompue par le frottement de ses seins sur les miens, de sa langue dans la mienne, de ses doigts dans mes fesses et du brisim qui fait vibrer de plaisir nos deux corps comme s’ils n’en faisaient plus qu’un. Et quand la vague est passée, je me retire d’elle en emportant sa connexion pour la laisser récupérer à plat ventre sur sa couche avant de la réveiller avec ma bouche en commençant par ses talons, ses mollets, ses cuisses et je monte encore pour préparer le terrain et lui montrer, brisim en place, comment recevoir encore plus ce partage des sens qui après mon extase me rend en retour cette découverte frénétique partie d’un malentendu et qu’on se transmet d’amant en maîtresse et entre joueuses aventureuses de nos consciences ébranlées par les secousses animales qui nous laissent interdites face à la puissance de se donner à l’autre jusqu’à la dévotion physique aux limites de la douleur comme un éveil dans le coma de la luxure qui nous domine.

Quand je me réveille je ne sais pas où je suis. Je sens juste la chaleur rassurante de la jolie rousse toute chiffonnée à côté de moi. Je l’embrasse sur le front avant de me lever et je marche entre les piles de livres pour atteindre la salle d’eau. Je dois vite m’asseoir sur le trône pour libérer toute la tension qui s’est accumulée autour de mon ventre. Et je me lève pour plonger mes mains dans l’eau froide et me gifler le visage pour reprendre pleine conscience. Je me vois belle et épanouie dans le miroir. Il y a plein de livres ici aussi. Plein de portes vers d’autres mondes. Je suis sans doute pour elle aussi un des ces livres, sauf qu’elle en est l’autrice. Et je vais l’accompagner dans sa quête, lui donner des pages et des chapitres et notre amour deviendra éternel comme tous ces livres qui témoignent à la place de leurs personnages qui les ont inspirés et qui se sont éteints dans le réel pour ensuite s’allumer à nouveau dans les esprits qui oseront plonger leurs yeux dans la lecture de leurs exploits. J’en prends un au hasard, je sens le poids du sens de son essence. Il est une balise d’une existence qui se noie dans l’éternité, il est un cliché photographique qui a ce pouvoir de figer l’instant dans l’infini. Il a juste un article et un mot pour titre, juste une image mystérieuse d’une dame assise dans l’ombre, elle invite à regarder derrière, elle est avenante par l’épaisseur modeste de son histoire comme un extrait d’humanité à partager.

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