La forêt des esprits

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  Aucun guerrier ne pénétrait dans cette immense futaie perchée loin au-dessus des terres des hommes, car ils craignaient d'y tuer par mégarde l'animal totem d'un des leurs. Seuls les chamans, qui disposaient d'un esprit assez fort pour vaincre les ruses des esprits finasseurs, étaient autorisés à y entrer. Yuma, lui, se sentait pourtant bien assez fort pour leur tenir tête. Il lui suffisait de trouver et de tuer un kuruk matchitehew. Un esprit mauvais. Sans doute parmi les plus puissants et les plus dangereux. Il plissa les yeux, nullement affecté par l'idée d'affronter l'interdit, et reprit sa marche qui devint bientôt une course. Une course qui s'annonçait longue, et qu'il devrait mener à la manière d'un loup traquant un élan s'il voulait avoir suffisamment de forces lorsqu'il ferait face au longues-griffes. Son cœur brûlant de passion et la vigueur de sa jeunesse le revêtirent des ailes de l'aigle, rendant son pas rapide et léger. Elles le transportèrent si haut que la vallée disparut sous un masque de brume immaculée et qu'il fut bientôt entouré des pins et des arbrisseaux où se brisait la frontière entre le monde des hommes et des esprits.

  Les grands arbres aux troncs sombres, aux hautes branches et aux aiguilles noires laissaient filtrer un crachin glacial et la lumière d'un ciel délavé. Leur base et le sol, dépourvu d'herbe, étaient envahis par la mousse et des fougères d'un vert éclatant qui dansaient au gré du vent. Des écorces en décomposition, des arbres éventrés et des squelettes de pinacées jonchaient le sol accidenté et en masquaient les pierres d'achoppement. Tout avait l'air d'un piège dans cette forêt qui poussait Yuma à faire preuve d'une extrême prudence. Il leva les yeux au ciel et huma l'air chargé des fragrances que soulevait l'humidité. Le ciel pleurerait fort cette nuit, et la chasse serait rude. Il choisit soigneusement quatre branches droites, longues de six pieds et larges de trois pouces environ, et s'installa sous une cavité rocheuse. Il dégaina son couteau, éplucha les branches et en affuta longuement l'extrémité qu'il durcit au feu. Il examina ensuite ses quatre lances et, satisfait de son ouvrage, partit cueillir des baies et s'approvisionner en eau de source. Un repas frugal n'endormirait pas ses sens et lui permettrait d'être en alerte lorsqu'il pisterait sa cible. Sa maigre pitance consommée, il regagna son abri, s'assit en tailleur, ferma les yeux et attendit patiemment la tombée de la nuit. Le jeune Aketcheta s'était entraîné dix-sept printemps pour devenir le meilleur des guerriers. Tous avaient réussi leur Tchinyé. Lui, ne pouvait échouer.

  Quand son feu de camp ne fut plus que les points rougeoyants de braises perçant les ténèbres nocturnes, Yuma ouvrit les yeux, adressa une prière au Grand-Esprit, et se mit en chasse.

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