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Eliah ne possédait plus rien. Il avait fui le village dans la précipitation, sans emporter quoi que ce fût. Il ne lui restait plus que son nom, son identité, et il comptait s’en servir à son arrivée sur Rianon.

Il voulait contacter la descendance de sa famille. De nombreuses fois, il avait entendu l’histoire de sa lignée, des commerçants prospères, qui avaient décidé s’enrichir sur l’Île, avec la première vague de colonisation. La chance ne leur avait cependant pas souri en raison de la situation économique et des tensions entre les peuples. Ils avaient trop investi dans cette entreprise fragile. Dépossédé de leurs biens, ils s’étaient rabattus sur une vie plus simple de pêcheur, qui n’avait jamais déplu à Eliah.

À présent, il souhaitait découvrir s’il lui restait des liens ici. Des descendants du frère de son arrière-grand-père, resté sur Rianon. Une filiation, n’importe quoi, pour l’aider dans cette ville inconnue. Cette possibilité, aussi infime fût-elle, lui donnait un objectif pour ne pas sombrer.

Oris lui remit vite les idées en place. Il lui fit comprendre que les clandestins dans son genre finissaient en prison ou étaient renvoyés chez eux. En faisant profil bas, il pouvait espérer échapper aux agents de l’ordre. Afin de retrouver des proches, il devait se rendre au Service des familles et présenter ses papiers d’identité. Inexistants donc. Il n’était même pas en mesure de prouver qu’il venait de l’Île, puisqu’il avait voyagé de façon anonyme et dissimulée.

L’abattement le gagna alors qu’il n’avait pas encore mis pied à terre. Des centaines de questions se bousculaient dans son esprit tandis que le véhicule spatial approchait de sa destination. Pendant le trajet d’une semaine, il n’avait cessé d’imaginer Rianon et sa capitale, leur destination.

Mais rien n’aurait pu le préparer à ça.

L’atterrissage fut beaucoup plus doux que leur départ de l’Île. A peine quelques secousses. Comme promis, il aida les autres à décharger l’astronef, empilant les cageots sur d’étranges machines. Elles tendaient deux bras métalliques devant elles pour récupérer la marchandise. Un ouvrier les conduisait avec agilité.

Pendant des heures, il n’aperçut pas l’extérieur, effectuant seulement des allers-retours entre la soute et le bâtiment, reliés par un couloir rétractable. L’impatience le rongeait, mais il attendit patiemment. Lorsqu’il eut les muscles douloureux et la tête sur le point d’exploser à cause du bruit environnant, le travail prit fin.

Accompagné de centaines d’hommes, il sortit enfin de l’entrepôt.

Eliah s’arrêta sur le seuil et se protégea les yeux, ébloui. Il mit de longues secondes à s’habituer à la luminosité agressive.

On le bouscula, des grognements lui reprochèrent son immobilité, mais il ne parvenait pas à esquisser le moindre mouvement, trop abasourdi. Il comprit pourquoi les citoyens de Rianon avaient fui leur planète pour rejoindre l’Île, son antithèse. Des bâtiments de taule s’étendaient tout autour de lui. Un soleil aux rayons ardents inondait la plaine désertique d’une chaleur accablante. Son visage se recouvrit d’une pellicule de sueur.

Balloté par les ouvriers, il avança doucement dans la marée humaine qui se déversait à l’extérieur des grilles, entourant l’aire d’atterrissage. Des vaisseaux, plus petits que celui emprunté sur l’Île, se posaient et décollaient avec un fracas épouvantable. Aucune ville à l’horizon. Cette zone industrielle se situait à plusieurs kilomètres de la capitale. Les travailleurs se dirigèrent vers une route longeant le complexe, où trois abris s’alignaient.

Le sol, ocre et jaunâtre, agressait ses prunelles. Il essuya son front et déboutonna les premiers crans de sa combinaison. La plupart des hommes à ses côtés avaient carrément noué la tenue autour de leur taille pour rester en maillot de corps.

Soudain, il remarqua la présence d’Oris à ses côtés. Durant le voyage, le contremaître avait supervisé le contrôle du chargement en soute, le laissant souvent seul dans la cabine. Leurs rares discussions avaient abordé la vie sur Rianon, mais son aîné répondait à la plupart des questions par « tu verras ». A présent, il se délectait du désespoir de l’Îlien.

« Toute la planète est ainsi ? souffla ce dernier.

- Quasiment, oui.

- C’est un cauchemar. »

Il avait quitté l’Île, sa belle planète verdoyante et luxuriante, pour ça ? Cette terre stérile et aride. Des larmes de regret envahirent ses yeux. Il se laissa glisser le long du grillage, s’assit dans la poussière et se prit la tête entre les mains. Naïvement, il avait pensé que Rianon serait un meilleur endroit, plus accueillant, puisqu’il était l’un des leurs.

Seules ses prunelles brunes lui rappelaient ses origines communes avec ce peuple. Oris lui avait bien rappelé qu’il n’était qu’un vagabond, un fugitif. Il ne pouvait pas se présenter aux forces de l’ordre ou demander de l’aide ailleurs. Et si on le livrait aux Îliens ou sur un autre monde, pire que celui-ci ? Pourtant, quelqu’un devait bien être en mesure de l’aider dans cet horrible pays ! La présence de l’ouvrier lui créait une angoisse supplémentaire. L’homme avait une idée derrière la tête depuis le début. Pendant la traversée, il avait fait en sorte d’isoler le Novichki des autres passagers, de le nourrir d’informations étranges sur leur destination. Comment démêler le vrai du faux ?

Un vrombissement retentit, attirant l’attention d’Eliah. Une structure métallique roulait dans leur direction.

« C’est un bus, informa Oris. Pour nous conduire à La Bulle.

- La Bulle ?

- C’est le nom qu’on donne maintenant à la capitale. »

Les travailleurs se précipitèrent vers les transports, se pressant et criant pour être les premiers. Le jeune homme commença à se redresser, mais son compagnon n’esquissa pas un geste.

« Tu viens pas ?

- Y aura d’autres bus, dans un moment. »

L’Îlien ressentit une vague de soulagement et attendit lui aussi. La foule s’entassa tant bien que mal dans l’habitacle. A travers les fenêtres, ils pouvaient voir les ouvriers s’empiler sur les sièges, certains rester debout. Aucune bagarre n’éclata, malgré les tensions. Une dizaine d’hommes ne put monter à bord.

« Pff, ils sont cons. Ils ont tellement hâte de rentrer chez eux, y sont prêts à se cogner, alors qu’y aura un autre bus dans dix minutes. »

Il se dégageait du contremaître une confiance en soi anormale. Essayait-il de montrer à son interlocuteur sa maîtrise et son aise dans cet environnement ?

« Et… et une fois dans La Bulle ? demanda le clandestin d’une petite voix.

- Chacun de son côté, et on se reverra peut-être ! »

Une lame glacée s’enfonça dans ses entrailles. Il déglutit avec difficulté. Oris prenait du plaisir devant son mal-être. Il balançait ses bras le long de son corps et souriait de toutes ses dents, dévoilant quelques chicots noircis. Il n’attendait qu’une chose : qu’Eliah le supplie.

Celui-ci se releva avec difficulté, les muscles douloureux. Les mots furent compliqués à prononcer, mais il n’avait pas le choix.

« Est-ce que… Est-ce que tu pourrais m’aider ?

- Oh, bien-sûr ! »

Le sourire de son guide se fit plus large encore. Carnassier.

« Mais tu sais… rien n’est gratuit sur Rianon. »

Ça, Eliah l’avait compris depuis son départ de l’Île. Un arrière-goût amer envahit sa bouche. Le surveillant avait-il prévu cette magouille dès l’instant où le Novichki avait embarqué sur le vaisseau marchand ?

« Je te propose un marché. Je t’aide à te dégoter un job ici, à l’entrepôt, et un appart’. Mais faudra qu’on reste ensemble. La police arrête tous les vagabonds. J’ai même entendu des gars dirent qu’on les envoie au front.

- Le front ?

- Oui, c’est la guerre, gamin ! Pourquoi tu crois que l’Île s’est révoltée ? Parce que Rianon a d’autres chats à fouetter ! »

Les Îliens avaient donc profité de cet évènement pour reprendre leur planète.

« En échange… Tu me donneras un petit pourcentage de ton salaire. »

L’étranger ignorait tout de l’argent utilisé ici, ou même de sa valeur. Son esprit lui hurlait de ne pas placer sa confiance en cet individu douteux. Pourtant, il n’avait pas d’autres choix pour survivre à cet environnement hostile. Il craignait de se faire arrêter par la police. Il devrait se débarrasser de l’ouvrier plus tard. Impossible de se fier à lui.

« Je pourrais même t’obtenir des papiers, si tu fais un petit travail en plus, pour moi ».

Il ne put contenir sa curiosité. Ce plan ne lui plaisait guère, mais l’appât du gain le poussa à écouter.

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