Chapitre 6.1

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La sueur coula sur le front du jeune homme. Il déglutit péniblement tant sa gorge était sèche. Il avait marché très rapidement pour venir jusqu’ici. Le temps lui était compté.

Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’excès de colère d’Eliah, et ils n’en avaient pas reparlé. Sevastian ne semblait au courant de rien. Pourtant, dès que le jeune homme croisait son aîné, il sentait des sueurs froides dans son dos. Jamais le père d’Asbel ne lui fit la moindre remarque à ce sujet. Ils le voyaient peu globalement. L’homme était souvent au poste de commandement pour prévoir toutes les éventualités une fois sur l’Île.

Il sembla à Eliah qu’Asbel se sentait délaissé par Sevastian. Ils avaient, avec Dimitri, élaboré ce plan ensemble. Son frère n’avait pu venir, à cause de sa maladie. Le jeune homme pensait donc que ce serait enfin l’occasion pour lui de se rapprocher de son père. Cependant, celui-ci l’évitait constamment ou repoussait leur conversation à plus tard.

Les deux garçons passaient le plus clair de leur temps ensemble. Les mercenaires étaient peu bavards, parfois presque hostiles à l’encontre de l’Îlien. Et Eliah essayait tant bien que mal de rester avec Asbel pour lui soutirer des informations et lui paraître amical. Les rôles étaient inversés, songeait-il parfois avec amertume. Pourtant, il avait peur que ses menaces aient altéré la confiance que lui portait son ancien ami. Depuis, son comportement était irréprochable.

Eliah prétendait donc s’intéresser à la mission. Asbel devait se douter qu’il cherchait un moyen de s’enfuir, mais le citoyen de Rianon ne devait pas s’attendre à ce que l’Îlien veuille saboter l’invasion, quitte à risquer sa vie. Le jeune homme commença par une inspection du vaisseau, il demanda à son ancien ami de lui faire visiter. Et peut-être même trouverait-il un moyen de détériorer du matériel ?

Asbel avait bien vu la façon dont son ami était perdu dans les innombrables couloirs, il lui expliqua donc une façon claire de se repérer. Ils commencèrent par la salle des commandes, qu’ils connaissaient très bien ; ils avaient assisté au décollage ici, devant l’immense baie vitrée qui offrait une vue exceptionnelle sur l’espace. Des dizaines d’hommes calculaient en permanence la trajectoire à suivre selon des opérations mathématiques complexes. Les ordinateurs surpuissants affichaient des suites de chiffres incompréhensibles aux yeux d’Eliah. Le vaisseau s’articulait tout autour de cette salle et s’étendait telle une toile d’araignée.

Les étages se décomposaient de manière ordonnée et claire une fois que l’on avait compris l’organisation. Ils laissèrent de côté l’aile réservée aux mercenaires – qui ne les auraient de toute façon pas laisser passer. Les entrepôts avec les armes et la nourriture, qui se situaient aux niveaux inférieurs, lui avaient été épargnés – sûrement pour ne pas raviver sa colère.

Enfin vint le plus intéressant aux yeux d’Eliah : la salle des machines. Il n’y avait que quelques ingénieurs à bord, Sevastian avait voulu s’encombrer le moins possible de personnes inutiles dans la lutte à venir. La technologie utilisée sur le vaisseau était suffisamment moderne et efficace pour ne nécessiter que peu de techniciens. D’après Asbel, leur intervention serait vraiment utile lors du passage des portails, et à l’atterrissage sur l’Île. Les mécaniciens se sentaient seuls au milieu des mercenaires et se firent un plaisir de présenter la salle aux deux jeunes hommes. Leurs explications étaient parfois trop compliquées pour Asbel et Eliah, mais celui-ci les bombarda de questions. Les ingénieurs furent heureux d’y répondre et de voir quelqu’un aussi intéressé. Ainsi, lorsqu’ils montrèrent la balise de détresse, les questions de l’Îlien semblèrent moins suspectes.

« S’il nous arrive quoi que ce soit sur l’Île, expliqua l’un d’eux, la balise sera immédiatement envoyée. Elle peut fonctionner sans énergie. Elle a été conçue spécialement pour cette expédition. On peut aussi transmettre un message. Cependant, elle est beaucoup moins rapide qu’un vaisseau donc le message mettra plus de temps à arriver jusqu’à Rianon. »

La balise ressemblait à une fusée miniature. Elle était assez sommaire, faite de métal et une vitre en verre laissait accès à un écran pour activer l’appareil, écrire le message, faire des réglages. Asbel s’empressa d’ajouter, heureux d’apporter son savoir :

« Nous n’avons qu’une balise à bord, elle ne doit être utilisée qu’en cas d’extrême nécessité. Mon père a déniché une metelite, il ne faut donc pas la gaspiller. »

Eliah se souvint avoir déjà entendu le nom de cette pierre. Elle était utilisée sur l’Île, puisque la technologie ne fonctionnait pas. Asbel expliqua que s’ils rencontraient le moindre problème, la balise serait bien entendu utilisée, sinon elle ne servirait qu’à prévenir de leur victoire à Neuf Soleils. Puisque les communications étaient impossibles sur la planète Sanctuaire, Dimitri – leur contact à Rianon – n’attendait pas de leur nouvelle avant un mois et demi. Ce délai représentait la traversée de l’océan pour rejoindre la capitale, avec quelques jours en plus pour mener l’attaque.

Avec ces informations, un nouveau poids tomba sur les épaules d’Eliah. Dès leur arrivée sur l’Île, il aurait donc un mois pour s’enfuir et prévenir le Seigneur de l’Île. Après ça, Dimitri préviendrait le gouvernement de Rianon de la disparition de son père, et une offensive serait lancée. Eliah devait à tout prix saboter le plus d’équipement à bord afin de les ralentir, ou le plan se Sevastian aurait fonctionné. Sa gorge se noua d’angoisse et il essaya d’absorber le maximum d’informations. Son plan était dangereux

L’appréhension monta de jour en jour. Il essayait de ne pas être obstrué par la brume et de garder les idées claires. Il visualisait dans son esprit le trajet à faire, qu’il avait appris par cœur, et les gestes à accomplir.

Quelques jours avant leur arrivée au premier portail, Eliah commença à se plaindre de maux de ventre. Cependant, il minimisait toujours pour ne pas aller à l’infirmerie. Il prétendait que c’était dû au trajet – comme le mal de mer mais dans l’espace. Asbel semblait avoir gobé ce mensonge.

Tout le vaisseau ne parlait plus que du portail, aux repas, dans la salle de commandement, dans les couloirs. La plupart n’avait jamais emprunté de portail clandestin et beaucoup se posaient des questions. Ce fut donc un spectacle très attendu quand le vaisseau arriva enfin en vue du premier accès. Ils se regroupèrent tous devant les hublots ou devant les vitres de la salle de contrôle.

Le portail ressemblait à un anneau géant qui flottait dans l’espace. De nombreux vaisseaux, plus petits que le leur, entouraient la structure. C’était sûrement les autres mercenaires, engagés par Sevastian, qui sécurisaient la zone. De loin, on ne pouvait distinguer les méandres des fils et de mécanismes qui se mélangeaient au sein de l’anneau.

L’excitation montait peu à peu dans le public. La salle de contrôle était en proie à une agitation qui angoissa Eliah. En effet, tout son plan reposait là-dessus, il espérait qu’aucun problème ne surviendrait. Asbel voulut échanger quelques mots avec son père, mais celui-ci le renvoya avec humeur. Il n’avait pas une seconde à accorder à son fils.

Eliah se tourna vers Asbel. L’Îlien avait le teint pâle et des grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Il n’arrivait en réalité pas à cacher son angoisse, qui était telle qu’un terrible mal de ventre l’avait saisi. Son mensonge fut encore plus crédible :

« Je me sens pas très bien, je vais aller aux toilettes je crois…

̶ Tu veux que je t’accompagne ? s’enquit Asbel.

̶ Non, je vais pas te faire louper ça », répondit Eliah en désignant le portail.

Son ami haussa les épaules et reporta son attention sur son père, continuellement captée par un nouveau problème. Eliah savait à quel point Asbel se sentait délaissé par Sevastian, la façon dont il aurait aimé le rejoindre et aider l’équipage. L’Îlien détourna le regard, franchit la foule et rejoignit le couloir avec difficulté. Personne ne lui prêta attention. Il se retint de courir pour ne pas attirer l’attention sur les caméras de surveillance. Si tout se passait comme prévu, tout le monde serait trop absorbé par le portail pour le remarquer.

Il fila vers la salle des machines, suivant le chemin qu’il avait rejoué dans son esprit pendant les trois derniers jours. Son cœur battait la chamade et son souffle saccadé résonnait à ses oreilles. Il vérifia rapidement qu’aucun technicien ne fut dans les parages, mais ceux-ci étaient trop absorbés par leur travail, qui se compliquait avec la traversé du portail.

La balise de détresse se trouvait juste à côté de la trappe de secours. Il vérifia une fois de plus que personne ne l’avait remarqué et s’agenouilla devant la petite fusée. Il entreprit tout d’abord d’allumer l’écran et de modifier la destination. Il s’apprêta à se redresser lorsqu’un terrible doute le saisit. Cela suffirait-il ? Si la capsule décollait, même si elle n’arrivait pas à Rianon, elle serait peut-être détectée… Non, il fallait retirer la metelite.

Il essuya la sueur qui coulait sur son front et observa la balise. Les fils et le cœur de l’engin étaient inaccessibles à première vue. Il passa sa main moite sur la coque en métal, et ses doigts rencontrèrent le contact rugueux des vis. Avait-il vraiment le temps d’ouvrir le compartiment ? Le jeune homme se redressa à moitié et lança un regard paniqué autour de lui. Il ne vit aucun outil susceptible de l’aider. Une nouvelle fois, il faillit abandonner et rejoindre sa cabine, lorsqu’il remarqua une boite à outil, à quelques dizaines de mètres.

Des éclats de voix lui parvinrent et il se figea sur place. Une bouffée de chaleur l’envahit et il sentit sa combinaison lui coller à la peau. Le passage de l’anneau ne se passait visiblement pas comme prévu. Il avait encore le temps.

Eliah s’accroupit et avança lentement jusqu’à la caisse à outils. Il vérifia de toutes parts qu’on ne le remarque pas. Les techniciens étaient tous penchés sur la même machine, qui produisait d’étranges sons. Il se saisit de la boite, les yeux rivés sur les hommes. Son souffle était court et sa poitrine se soulevait à toute vitesse, tandis que de grosses gouttes de sueur coulaient le long de son visage pâle.

Il retourna devant la balise et chercha un outil adapté pour dévisser les boulons. Le plus difficile fut de ne produire aucun bruit en remuant les tournevis et autres instruments qui se trouvaient dans la boîte. Le premier outil était trop gros, il le reposa avec des gestes peu assurés. Enfin, après une éternité, il dénicha la bonne tête et dévissa les vis avec rapidité. Il tomba sur un assemblage complexe de fils, mais aucune trace de la pierre. L’angoisse monta encore d’un cran et une boule se forma dans sa gorge. Combien de temps lui restait-il ?

La sueur coulait devant ses yeux, il l’essuya rapidement, puis se servit du tournevis pour écarter les câbles et plongea carrément sa main dans la fusée. Il trouva une sorte de boite, dont il dévissa le capuchon. Enfin, ses doigts rencontrèrent une matière froide et rugueuse. Il en sortit la metelite.

C’était une petite pierre, d’à peine cinq centimètres. Sa couleur violette possédait de magnifiques reflets rosées. Il ne la contempla pas plus longtemps et la fourra dans sa poche. Alors qu’il refermait la coque, une voix résonna plus proche de lui :

« Où est passée ma boite à outils ? »

Eliah se figea et son cœur manqua un battement. Il ne pouvait pas laisser la balise dans cet état. Les techniciens comprendraient qu’elle avait été modifiée. A toute vitesse, il replaça la plaque en métal et remis les boulons. Cependant, la dernière vis lui échappa et il jura à voix basse. Il reposa le tournevis avec précaution dans la boite et la fit glisser quelques mètres plus loin. L’Îlien eut tout juste le temps de se glisser derrière une grosse machine avant que le mécanicien trouve sa caisse.

Son cœur était sur le point d’exploser. Il n’avait pas eu le temps de remettre la dernière vis, qu’il avait mis dans sa poche, avec la pierre. Si quelqu’un inspectait la balise, il remarquerait le problème. Il avait surestimé ses capacités et le temps lui avait manqué. Il n’osait imaginer les conséquences si l’un des techniciens l’avait vu.

Une secousse le fit sortir de ses pensées et Eliah faillit tomber par terre. Le vaisseau devait avoir franchi le portail. Il se dépêcha de rejoindre la cabine. Cependant, le stress ne diminua pas immédiatement ; la metelite semblait peser une tonne dans sa poche. Qu’allait-il en faire ? Il avait peur que les toilettes ne l’aspirent pas, et il ne pouvait tout simplement pas la jeter. Que se passerait-il si quelqu’un la découvrait ? Eliah décida donc de la cacher son sous matelas, au niveau de l’oreiller.

Il se sentit enfin un peu plus léger et se passa de l’eau sur le visage. Le liquide rafraichit ses joues rougies par la peur et la sueur. Dans le miroir, il fut presque surpris de voir un sourire naître sur ses lèvres. Ce sabotage ne signifiait peut-être pas grand-chose, mais si cela permettait de leur faire perdre quelques heures, c’était des précieuses minutes gagnées pour lui et l’Île.

Il pria pour ne pas avoir été repéré, et surtout pour que personne ne s’aperçoive de la vis manquante. Il était allongé depuis quelques minutes à peine lorsqu’Asbel arriva.

« Tu te sens mieux ?

̶ Un peu », mentit Eliah.

Pourtant, ses joues rouges et l’odeur de sueur qui se dégageait de sa combinaison agrémentèrent parfaitement son mensonge.

« C’était comment de traverser le portail ?

̶ Tu pourras le constater par toi-même. On rejoint le deuxième dans quelques jours, donc tu pourras y assister. »

Eliah hocha la tête.

Il mit longtemps à calmer les battements de son cœur. Il pria pour que personne n’ait remarqué son attitude, et surtout, pour qu’aucune vérification n’ait lieu sur la balise. Il fit semblant de dormir tandis qu’Asbel lisait un livre sur son lit. Pourtant, Eliah fut incapable de fermer l’œil. Il ne cessait de penser à l’arrivée sur l’Île. Il cherchait un moyen de faire échouer l’opération sans pour autant parvenir à une quelconque solution. Il passait en revue des dizaines de scénarios possibles qui finissaient inéluctablement par une guerre terrible, où s’ensuivait la colonisation de l’Île par Rianon.

Deux jours plus tard, Eliah fut doucement secoué par Asbel. Le jeune homme se réveilla en sursaut. Pendant quelques secondes, il crut que la metelite sous son oreiller avait été découverte. Son ancien ami lui annonça seulement que le deuxième portail allait bientôt être franchi et que c’était l’occasion pour lui d’assister au spectacle.

Ils regagnèrent la salle de commandement, qui était plus vide que la première fois. Un second portail, de la même taille que le précédent, se trouvait devant eux. Le cœur d’Eliah s’emballa. Il n’avait guère eu l’occasion d’y songer quelques jours auparavant, tant son esprit était occupé par la balise. Mais cet anneau géant était impressionnant et quelque peu inquiétant. Plus le vaisseau se rapprochait, et plus il apercevait l’amoncellement de fils, de tuyaux et de systèmes électroniques connectés les uns aux autres. L’appareil ne semblait pas être en parfait état ; les jointures étaient jaunies et l’assemblage paraissait brouillon. Il essaya de se rassurer en se rappelant que la première traversée s’était bien déroulée. Sevastian avait employé des moyens colossaux dans ce périple ; il devait donc avoir choisi les meilleurs composants possibles et surtout les meilleurs techniciens pour lui assurer une traversée sans danger. L’homme n’aurait jamais entrepris lui-même le voyage s’il n’avait pas été certain d’arriver en un seul morceau.

Pourtant, cela ne suffit pas à rassurer entièrement Eliah. Etre dans l’espace créait en lui un malaise constant. Il sentait que ce n’était pas comme vivre à Rianon. Sur la planète, le jeune homme avait fini par comprendre et s’habituer aux coutumes et à la technologie. Dans le vaisseau, il n’y arrivait pas. Il craignait toujours qu’un problème survienne. Cette coquille de métal semblait être un bien maigre refuge face au vide de l’espace.

Il sortit de ses pensées lorsqu’une sorte de pellicule transparente recouvrit le centre du portail. On pouvait voir à travers et apercevoir très clairement les étoiles qui se situaient de l’autre côté, sans soupçonner un seul instant que cette chose pouvait faire de tels miracles. A vrai dire, Eliah ne savait pas vraiment comment fonctionnait cette machine. Seraient-ils téléportés à l’autre bout de la galaxie, où leur vitesse était-elle augmentée ? Alors qu’il allait poser la question à son compagnon, les vitres devant eux devinrent soudain plus opaques.

« La lumière risquerait de nous brûler les yeux », expliqua simplement Asbel.

Eliah reporta son attention sur le portail. Le vaisseau était tellement proche à présent de la fine pellicule qu’il ne voyait même plus les bordures de l’anneau géant. A l’instant même où la pointe du vaisseau entra en contact avec la bordure transparente, une puissante lumière les aveugla. Eliah porta la main à ses yeux et perdit soudain l’équilibre. Asbel le retint de justesse, l’air habitué à cette situation.

Ce fut fini en quelques secondes. Il se retrouvèrent soudain de l’autre côté du portail, mais l’espace devant eux semblait avoir changé. Les étoiles n’étaient plus situées aux mêmes endroits. Il n’y avait aucune planète à proximité, comme lui avait expliqué Asbel. Ces portails étant clandestins, ils ne voulaient être repérés par personne. Eliah se frotta les yeux tandis que la vitre devant lui reprenait sa couleur d’origine.

« C’est tout ? », demanda-t-il, presque déçu.

Asbel laissa échapper un petit rire. Il avait croisé les mains dans le dos et regardait le vide avec des yeux brillants. Pendant quelques secondes, il ressembla tellement à son père qu’Eliah en eut un frisson glacé. Il n’aimait pas la lueur qui étincelait dans les yeux de son ancien ami. Il pouvait sentir la cupidité et la soif de découverte. Le cœur d’Eliah se serra ; Asbel était tout autant un danger pour l’Île que Sevastian.

« Oui c’est tout. Tu sais, notre technologie est assez avancée pour qu’on utilise des portails sans être tous renversés dans le vaisseau. Ça secoue un peu plus qu’un portail officiel, mais c’est une chose à voir au moins une fois. »

Eliah fit la moue.

« On a plus qu’à attendre patiemment l’arrivée sur l’Île maintenant ? » demanda-t-il.

Son compagnon acquiesça. Il y avait encore un autre à franchir mais ce n’était plus qu’une banalité à présent. Ils regagnèrent la cabine tout en discutant des portails. Asbel vantait les capacités du commandant et de son équipe à gérer la trajectoire et la traversée des anneaux. Pourtant, Eliah ne put s’empêcher de noter une barre d’inquiétude qui marquait le front de son interlocuteur. Il lui fit remarquer :

« Même si mon père ne cesse de répéter que le commandant est doué, qu’il a je ne sais combien d’années d’expérience, il n’est jamais allé sur l’Île. Personne sur ce vaisseau n’y est jamais allé. A part toi. »

Eliah haussa les sourcils, étonné. Il se gratta la tête tout en réfléchissant. Puisque Sevastian était un revendeur d’eau, c’était étrange qu’il ne soit pas entouré de plus de spécialistes de l’Île ou de personnes ayant déjà fait le trajet. L’homme n’avait-il pas une compagnie pour se charger de ses préparations ? Le jeune homme en fit la remarque à Asbel.

« Mon père n’a jamais vendu directement l’eau de l’Île. Rianon exploite d’autres planètes depuis des décennies, mais il n’y a que là-bas que les ressources en eau sont aussi abondantes. A la découverte de l’Île, il y a eu quelques vagues de colonisation, mais globalement, ça a été un échec. Rianon a rapidement créé un sanctuaire autour de l’Île, pour que seule elle en profite. Le gouvernement a créé et formé des équipes spécialement pour aller sur l’Île. Personne n’a le droit de communiquer la moindre information sur cette planète. Et cela fait des années que Rianon limite les vaisseaux en direction de l’Île. Et puis tu as vu de tes propres yeux la dernière vague de rébellion des Îliens. »

L’Îlien sentit une boule se former dans sa gorge. Oui, il voulait à tout prix protéger l’Île, qu’il avait trahi, mais il ne pouvait oublier ce qui était arrivé aux habitants de son village, aux militaires et aux marchands qui n’avaient pu fuir. Jusqu’à présent, il n’avait jamais vraiment saisi à quel point l’Île semblait mystérieuse et attrayante pour les citoyens de Rianon. Pour eux, cette planète regorgeait de ressources et le gouvernement en interdisait l’accès. Cela devait leur sembler bien injuste, d’autant plus que certains avaient pu partir pour l’Île, au début de la colonisation.

Eliah se demandait parfois ce qui avait conduit ses ancêtres, citoyens de Rianon, à quitter leur planète pour venir sur l’Île. La colonisation avait globalement échoué, avant tout à cause du manque de technologie sur la planète verdoyante. Aucune machine ne fonctionnait là-bas et pour les habitants de Rianon, cela revenait à revivre la préhistoire. Puis l’hostilité constante des Îliens et les attaques des mages avaient constitué pendant longtemps un frein à l’installation des étrangers.

« Mon père sentait déjà depuis une décennie que les choses allaient mal tourner sur l’Île. Il a trouvé un poste au ministère de la guerre, pour avoir des contacts prêts à l’accompagner sur cette planète. Il n’avait plus qu’à attendre le moment opportun pour partir. »

Eliah retint un frémissement. Le plan de Sevastian était mûrement réfléchi. L’homme convoitait l’eau de l’Île depuis déjà bien longtemps. Et l’arrivée d’un Îlien n’avait fait qu’arranger ses plans. Il se contenta de rester silencieux, l’air sombre.

Sur un ton plus joyeux, Asbel reprit :

« Bref, ce sera une expérience pour nous tous ! Je suis certain que ça va bien se passer. Mon père a raison, il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Nous avons un vaisseau bien équipé et moderne, un équipage compétent. Tout va bien se passer », répéta-t-il.

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