Chapitre 7.2

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En fin de journée, Lenaïs réussit enfin à trouver un moment pour aller voir le prisonnier. Pendant quelques instants, elle avait cru qu’une vraie fête allait être organisée pour son retour, mais Thanael rappela ses hommes à l’ordre. Cela faisait trois jours qu’ils étaient pourchassés par La Vengeresse Rouge, un navire ennemi. Guynn, le capitaine, était le rival de Thanael depuis des années déjà. L’Albatros avait réussi à le semer la veille, mais Thanael préférait mettre le plus de distance possible entre eux. Lenaïs sentit que ce n’était pas la seule raison.

Il y avait des antécédents d’affrontements très violents avec l’équipage de Guynn, mais Thanael était inquiet par rapport à l’invasion. Que comptait-il faire au juste ? Ce n’était pas son genre d’ignorer son rival. Il avait toujours aimé jouer au chat et à la souris avec son ennemi juré, d’autant plus que L’Albatros était légèrement plus rapide que La Vengeresse Rouge. Si le capitaine ne prenait plus de plaisir à narguer Guynn, il devait vraiment être très nerveux.

Son compagnon lui avait légèrement transmis son anxiété. Elle avait entendu de nombreux récits sur la Purge. Si les envahisseurs revenaient, aucun doute que la chasse recommencerait. Sans aucune aide pour progresser, sa magie ne serait d’aucune utilité contre une armée de colons. A présent, ses recherches n’étaient plus seulement pour sa mission, mais aussi pour sa protection.

Elle descendit dans la cale avec le ventre noué. La présence du prisonnier était omniprésente sur le navire, mais c’était pire en arrivant aux geôles. Elle avait du mal à décrire ce sentiment. Elle avait l’impression qu’un nuage entourait cette partie du bateau. Ce n’était pas visible à l’œil nu, et cela ne semblait pas affecter l’équipage. Seul Thanael l’avait ressenti, il pouvait s’avérer sensible à la magie.

Elle avait demandé qu’il l’accompagne. L’homme s’était moqué d’elle, mais la jeune femme avait insisté. Ce prisonnier ne lui inspirait pas confiance. L’aura qui se dégageait de lui était trop puissante. Elle avait un peu peur. Et s’il était lui aussi doté du don ? Et pire, s’il s’avérait être plus puissant qu’elle ? Pourtant, si tel avait été le cas, il leur aurait déjà faussé compagnie.

Derrière elle, Lenaïs entendit Thanael râler. Il y avait une petite arrivée d’eau dans la cale et ils pataugeaient dans quelques centimètres de flotte. Il maugréa contre la bande d’incapables qui lui servait d’équipage et qui n’était pas fichue de combler une fissure et d’écoper convenablement. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres.

Ils passèrent devant les réserves de boulets de canon et arrivèrent devant les deux geôles. Les grilles étaient rouillées et recouvertes de mousse. Lenaïs dut plisser les yeux et rapprocher la lanterne pour distinguer une masse informe, recroquevillée au fond d’une des cellules. Elle laissa échapper un ricanement. En effet, il n’y avait rien à craindre de lui. Le prisonnier avait ramené ses jambes contre son torse et enfoui son visage dans ses genoux. La partie supérieure de son étrange uniforme était retirée, dévoilant un maillot blanc sali. Elle fut étonnée de voir une peau si pâle, presque grisâtre.

La jeune femme s’accroupit devant la porte. Le détenu n’avait pas levé le visage. Il semblait assoupi. Ses sourcils se froncèrent en remarquant les cicatrices qui constellaient ses bras. Des étoiles. Elle lança un regard à Thanael, qui se contenta de hausser les épaules.

« Il ne parlait que de ça, de l’Île de l’Etoile. Il répétait ça en boucle, en nous montrant ses bras. Je ne sais pas où il a entendu ça. »

Elle sentit la colère poindre à travers sa voix. Lenaïs avait vaguement entendu parler de cette histoire. Seuls les Îliens connaissaient cette anecdote, c’était un secret jalousement gardé. Le vrai nom de la planète signifiait « étoile », dans l’ancien langage. Cela désignait la forme de l’Île et les traditions qui en découlaient. Les Îliens savaient reconnaître l’un des leurs grâce au vrai nom de leur terre natale. Les colons n’avaient jamais cherché à connaître son vrai nom, la nommant bêtement l’Île. Cependant, avec la Purge, le passé de l’Île avait presque totalement disparu, et la plupart ignorait d’où venait cet étrange nom.

Le prisonnier avait donc déjà entendu parler de cette légende, mais sans pour autant connaître le vrai nom. Thanael devait détester qu’un colon connaisse une partie de la vérité.

Lenaïs appela le captif, mais il ne réagit pas. Elle passa son bras à travers les barreaux et s’empara de l’écuelle en métal qu’on avait mis la veille – et à laquelle il n’avait pas touché – et vida le pain dur qui était dedans. Ensuite, elle cogna l’assiette contre les barreaux. Le bruit la fit grimacer, mais eut pour effet de le faire enfin sortir de son sommeil. Il avait le crâne rasé et le visage pâle, presque maladif. Ses yeux profondément enfoncés dans leur orbite ne se posèrent pas sur elle, mais dans le vide. La femme frissonna.

« Il me donne froid dans le dos », chuchota Thanael.

Elle savait que cette discrétion était inutile. Il ne semblait ni les entendre ni les voir.

« Est-ce que tu sens la chose qui l’entoure ? »

Elle avait parlé à voix basse elle aussi, sans vraiment savoir pourquoi. L’angoisse lui serrait encore le ventre, comme si à tout instant leur présence pouvait réveiller la créature qui sommeillait à l’intérieur de l’homme.

« Je sens qu’il y a quelque chose bizarre avec lui. »

Elle le voyait presque à présent, ce nuage qui entourait le prisonnier. Par moment, il avait presque les traits du visage brouillé par cette chose. Des centaines de questions lui brûlaient les lèvres ; d’où venait-il ? Qui était-il ? Quelle était cette brume qui l’auréolait ? Thanael avait permis que l’intrus reste à bord car lui aussi était intrigué par ce phénomène. Peut-être avait-il pensé que Lenaïs serait capable de faire quelque chose. Il surestimait ses capacités, même si elle n’aurait jamais avoué que l’inconnu lui faisait peur. Le pirate devait penser que ce colon ne représentait aucun danger pour le navire, mais elle n’en était pas si sûre.

Elle agita la main devant la cage, pour attirer l’attention du captif, sans aucune réaction de la part de celui-ci. A bout de patience, Thanael donna un violent coup de poing contre la cage. Le prisonnier sursauta et les dévisagea comme s’ils venaient de surgir devant lui. Il papillonna plusieurs fois des paupières, désorienté.

« Qui es-tu ? » questionna Lenaïs.

L’homme sembla reprendre petit à petit ses esprits. Il se redressa quelque peu et bredouilla :

« J-j-je m’appelle Eliah. Je suis… »

Il marqua une pause et baissa les yeux. Malgré la faible luminosité, la femme avait remarqué ses prunelles sombres, presque noires. Ce n’était pas un Ilien. Elle fut d’autant plus étonnée que Thanael ne l’ait pas déjà jeté à la mer. Cette histoire de vaisseau l’avait vraiment chamboulé.

« Oui, qui es-tu ? intervint le capitaine. Un Ilien, un envahisseur, un soi-disant prisonnier ? Ou tu vas nous trouver une nouvelle version aujourd’hui ? »

Eliah contracta la mâchoire et serra les poings. Il savait que sa situation était délicate, mais la haine de l’homme était palpable et le mettait mal à l’aise. Les Îliens avaient toutes les raisons du monde de détester Rianon et ses habitants. Mais lui n’avait rien à faire là-dedans. Cependant qui le croirait ? Il tenta malgré tout de s’expliquer.

« Je suis né sur l’Île, comme mes parents et leurs parents avant eux. Oui mes ancêtres ont envahi l’Île, mais je n’ai rien à voir avec ça. Je ne me suis jamais considéré comme un citoyen de Rianon, j’en avais à peine entendu parler avant de devoir y aller. »

Il prit à peine quelques secondes pour reprendre son souffle. Sa gorge était sèche et douloureuse, mais il ne voulait pas que le capitaine l’interrompe.

« Mon village a été attaqué une nuit. Tout le monde a été massacré. J’ai réussi à m’enfuir et à embarquer à bord d’un vaisseau en direction de Rianon. J’ai vécu quelques mois là-bas, dans cet enfer, cracha-t-il. Et j’ai rencontré un homme, Sevastian, qui m’a manipulé pour venir sur l’Île. C’est son vaisseau que vous avez bombardé. »

Il avait réussi à capter l’attention des deux pirates. Eliah en profita pour prendre une grande goulée d’air. Depuis qu’il avait été mis dans les geôles du bateau, la brume était revenue, plus forte que jamais. Il avait cru ne pas réussir à en sortir pour leur parler. A présent que l’adrénaline coulait dans ses veines, il se sentait à nouveau maître de lui-même.

Il avait passé la fin de la nuit à grelotter dans le cachot, l’arrivée d’eau et l’humidité ambiante n’avaient rien fait pour le réchauffer. Eliah n’avait pas réussi à dormir, il avait été trop balloté par le rythme du bateau. Cela l’avait presque déçu de lui-même, de ne plus être capable d’avoir le pied marin. Plus de dix ans s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’il avait fait un long trajet en bateau. L’air de la cale sentait le renfermé et l’eau croupie, ce qui avait renforcé sa nausée. Il ne rêvait que d’une chose : voir la lumière du soleil et la mer. Mais pour cela il fallait convaincre les deux pirates.

Eliah lança un coup d’œil furtif au capitaine. Le regard clair de l’homme était chargé de haine. Il restait en retrait, le visage renfrogné et les bras croisés sur la poitrine. Cela semblait peine perdue de le convaincre. Peut-être avait-il une chance avec la femme. Il avait d’ailleurs été étonné de la découvrir à bord.

De longs cheveux blond cendré qui encadraient son visage carré et halé. Il fut incapable d’articuler le moindre mot en voyant ses prunelles grises. Il n’avait jamais vu ça sur l’Île. Elle avait entouré ses yeux par un maquillage noir épais, qui faisait d’autant plus ressortir la teinte de ses iris. Eliah fut subjugué par sa beauté. Du fond de la cage, il pouvait sentir sa douce odeur florale, mélangée à celle de la sueur acre qui venait de lui-même.

La femme était accroupie devant lui, une main posée sur la cuisse. Son bras gauche semblait dissimulé par son grand manteau brun, jetée sur ses épaules. Pourtant, il avait l’impression que quelque chose clochait, sans arriver à mettre la main dessus. Il comprit soudain qu’elle n’avait pas de bras gauche. Leur regard se croisèrent et Eliah rougit. Il vit un éclair de colère passer dans les prunelles de la femme. Elle se releva et rabattit sa veste avec son bras valide, comme pour se protéger.

Eliah détourna la tête et passa une main sur son visage sale et fatigué. Il ferma les yeux quelques secondes pour trouver ses mots.

« Même si Sevastian est mort, quelques mois au plus passeront avant que d’autres vaisseaux arrivent. L’un de ses fils est toujours sur Rianon, il supervise le plan de là-bas. Leurs autorités doivent être au courant aussi. S’il arrive la moindre chose à Sevastian, ils viendront le chercher. C’est un homme important là-bas. »

Les pirates restèrent silencieux. Ils méditaient ses paroles.

« J’ai saboté la balise de détresse, nous avons gagné un mois, mais il faut absolument que l’Île organise sa défense, reprit Eliah. Il faut prévenir le Seigneur. »

Le capitaine tiqua à l’entente de ce mot et s’avança. Il dévisagea Eliah d’un air soupçonneux.

« Qui nous dit que tout ceci ne fait pas partie d’un plan pour éliminer le Seigneur ? Un faux Îlien, prétendu prisonnier par les envahisseurs mais qui arrive à s’échapper… Tu es un espion ? »

Le jeune homme resta sans mot. Il ne savait pas quoi rajouter de plus pour les convaincre. Thanael détestait tellement les colons qu’il aurait trouvé n’importe quoi pour ne pas le croire. Pour le faire passer pour un espion. Les yeux du capitaine se posèrent une nouvelle fois sur les bras scarifiés du prisonnier :

« Ils sont en courant pour l’étoile ?

̶ Non ! Je le jure, je n’ai jamais rien dit. Ils n’ont rien vu. Je le jure, je le jure ! »

Lenaïs lança un regard mauvais à son compagnon. Pour elle, tout ceci n’avait pas d’importance. Thanael lui avait parlé de la crise d’hystérie du prisonnier, lorsqu’il était arrivé sur le navire. Elle ne voulait pas qu’il recommence. Ce sujet avait l’air de déclencher sa folie. Elle le rassura et il se calma un peu.

« J-je les déteste tout autant que vous, tenta-t-il une nouvelle fois. Leur planète est un véritable cauchemar. J’ai haï chaque seconde que j’ai passé là-bas. Et pas un jour ne passe sans que je regrette d’avoir été manipulé par cet homme. L’Île est ma véritable maison. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la sauver.

̶ Ta maison ? ricana l’homme.

̶ J’ai vécu toute ma vie sur l’Île. J’ai assisté aux fêtes de l’Etoile, je comprends l’importance de cette tradition. Je… moi aussi je suis un Îlien. »

Si les barreaux n’avaient pas séparé les deux hommes, le capitaine se serait jeté sur lui pour le frapper. Il avait le visage rouge et ses poings crispés tremblaient sous l’effet de la colère. La femme posa une main apaisante sur l’épaule de son compagnon. Eliah déglutit avec difficulté. Il ne connaissait pas le vrai nom de l’Île, c’était un privilège réservé à ceux qui avaient réussi la cérémonie de passage à l’âge adulte. Les colons n’avaient jamais pu y prétendre.

« On a assez d’informations comme ça, on peut se débarrasser de lui. »

Eliah pâlit. Il réfléchit à toute vitesse à un moyen de rester en vie.

« J-j-je sais quel est le point faible des envahisseurs, débita-t-il à toute vitesse. Je ne le dirai qu’au Seigneur de l’Île. »

Le capitaine pesta et donna à nouveau un violent coup dans les barreaux, ce qui fit reculer le captif jusqu’au fond de la cage. Il avait joué sa dernière carte. Allaient-ils le croire ? C’était le seul moyen pour rester en vie jusqu’à la capitale. Encore fallait-il qu’ils ne le torturent pas. Mais les pirates allaient-ils prendre au sérieux cette histoire d’invasion ? Thanael était gêné par cette révélation. Il pensa pendant quelques secondes que le prisonnier bluffait, mais son regard déterminé lui indiquait le contraire. Le capitaine ne pouvait pas prendre le risque de perdre une telle information…

L’homme avait déjà pris sa décision d’aller à Neuf Soleils, la capitale de l’Île. Même si le prisonnier mentait et que l’Île n’était pas attaquée, le vaisseau écrasé représentait un élément inquiétant. Personne n’avait dû remarquer l’événement puisqu’ils étaient à l’autre bout de la planète. Le mieux était de prévenir le Seigneur de l’Île.

Même si Thanael n’appréciait pas ce genre de méthode, il allait devoir faire parler le captif. L’avenir de l’Île était en jeu, il ne pouvait pas se permettre de perdre la moindre information. Peut-être même pourrait-il prendre du plaisir à voir souffrir ce colon, qui se prétendait être un des leurs.

« Garde le en vie, intervint Lenaïs. Je voudrais étudier un peu cet étrange phénomène que j’ai ressenti tout à l’heure. Peut-être que ça pourra m’aider dans mes recherches ?

̶ De quoi parlez-vous ? » demanda Eliah en se rapprochant

Ils l’ignorèrent tous les deux. Thanael passa une main sur son visage et poussa un long soupir. Il semblait épuisé soudain. Le capitaine échangea un long regard avec Lenaïs. Peut-être que si la torture ne fonctionnait pas sur le colon… La femme avait un potentiel insoupçonné, cela lui ferait un bon exercice. Il pouvait lire l’avidité dans son regard, elle semblait avoir trouvé un nouveau jouet et l’impatience se lisait dans ses gestes.

« Comme tu voudras », se contenta-t-il de dire.

Un grand sourire illumina le regard de sa compagne, ce qui diminua la colère du capitaine. Eliah aurait aimé ne pas assister à ce moment intime, mais son animosité pour Thanael diminua. Il comprenait les raisons du capitaine. Comme la plupart des Îliens, la colonisation avait dû lui causer du tort. N’importe quel citoyen de Rianon était, pour le pirate, un ennemi à tuer. Pourtant, Eliah aurait aimé le convaincre.

Le capitaine quitta la cale sans un mot de plus. Lenaïs se tourna vers le prisonnier.

« Qu’est-ce que c’était, tout à l’heure, le truc qui t’entourait ? »

Le jeune homme ne comprit tout d’abord pas de quoi elle parlait. Soudain son cœur s’emballa.

« Tu peux sentir la brume ? s’exclama-t-il. C’est la première fois que quelqu’un peut la voir ! »

Il était fou de joie. Ainsi, ce n’était pas seulement un sentiment étrange, une anomalie dans son corps. Cette chose était bien réelle.

« C’est ainsi que tu l’appelles ? Qu’est-ce que c’est ? »

La femme avança une caisse et s’assit dessus. Eliah s’accrocha aux barreaux mousseux. Il était à genoux dans l’eau croupie, chaque parcelle de son corps le faisait souffrir, mais il ignora la douleur aussi bien que la fatigue. Et il se sentait plus en confiance sans la présence de l’autre homme.

« Je ne sais pas vraiment, avoua-t-il. Ça fait des années que la brume est présente. Ça m’empêche de réfléchir, comme si j’avais toujours la tête dans la lune. Par moment, j’ai l’impression d’assister à la vie d’une autre personne, comme si ce n’était plus mon corps. »

Il se mordilla la lèvre en réfléchissant. Il ne savait pas comment l’expliquer. C’était la première fois qu’on le questionnait à ce sujet. La femme semblait tout aussi pensive.

« Ça n’a pas l’air de venir de toi… Est-ce que quelqu’un t’a maudit ? »

Eliah écarquilla les yeux et fit non de la tête. Il n’avait jamais rencontré personne capable de faire de la magie. Depuis la Purge, les magiciens étaient rares, presque disparus. Il comprit alors que cette femme avait le don. Il la regarda autrement, avec respect. Sur l’Île, les mages étaient les martyrs morts pendant la Purge, en essayant de défendre la planète. Il en restait si peu que leur don était élevé au rang de miracle à présent.

Pourtant, il ressentit comme un malaise l’envahir. Le jeune homme n’avait jamais soupçonné un seul instant que la brume ait une cause magique. Mais qui avait pu lui lancer une malédiction ? Et pour quelles raisons aurait-on voulu lui faire ça ? Il songea tout d’abord que la brume n’avait rien d’une damnation, mais à peine eût-il cette pensée, il sut que c’était un mensonge. La brume était handicapante. Ce fardeau l’empêchait, depuis des années, de profiter de l’instant présent. Il se rappelait à peine son enfance, du visage de sa propre sœur.

« Si tu es une mage, tu peux me l’enlever ? demanda-t-il, plein d’espoir.

̶ Je suis une Eire, corrigea-t-elle.

̶ Quoi ?

̶ Sur Rianon, ils nous appellent druides ou mages, mais ici nous sommes appelés les Eires. »

Il acquiesça vaguement. Il n’avait jamais su cette information, mais pour l’instant il voulait avant tout savoir si cette femme avait la capacité de lui retirer la brume.

« Tu peux ? », répéta-t-il.

Lenaïs plissa les yeux et tendit sa main valide devant elle. Ses doigts se crispèrent quelques instants et elle secoua la tête.

« Non, je suis désolée. Cette chose est collée à toi, profondément ancrée. Je ne maitrise pas encore très bien le don. Je cherche quelqu’un qui pourrait m’enseigner, ou bien des livres, mais la Purge a tout fait disparaître. »

Eliah baissa la tête, abattue. Il avait cru pendant quelques secondes que c’était la fin de ce calvaire. Un élan de désespoir l’envahi. Il avait réussi à échapper à Rianon, à Sevastian, mais pour quoi faire ? Personne ne croyait à l’invasion. Les colons étaient trop détestés ici pour qu’on lui fasse confiance. Le jeune homme savait que l’avis des insulaires ne changerait pas en quelques jours, cependant une pique s’enfonça dans son cœur. Pouvait-il se prétendre Îlien alors qu’il avait trahi sa planète. Il avait trouvé l’excuse parfaite, d’avoir été manipulé par Sevastian, pour échapper à la responsabilité de l’attaque. Il méritait la méfiance et le rejet des pirates. Cependant, c’était de son devoir d’alerter le Seigneur, alors il ferait tout pour y parvenir.

Au fond de lui, il se demanda, avec honnêteté s’il était capable de se sacrifier pour l’Île ?

« Ils vont me tuer, n’est-ce pas ? »

La femme fut sortie de ses pensées. Elle était encore absorbée par cette histoire de brume.

« Ils vont me torturer pour que j’avoue le point faible des colons ? Et toi, quand tu auras fini d’étudier la brume, ils vont me tuer ? »

Une boule d’amertume enserra sa gorge. Cela faisait trop longtemps qu’il gardait cette rage enfouie en lui. Et cette pirate qui l’écoutait… Il avait l’étrange impression qu’elle était différente des Îliens.

« J’ai toujours voulu faire partie des leurs. J’ai rêvé de l’Île des mois durant, sur Rianon. Je ne pourrais jamais vivre ailleurs, je le sais. Mais même lorsque j’essaye de protéger ma patrie, on me renie. Je ne sais plus quoi faire. »

Un sourire triste se dessina sur les lèvres de Lenaïs. Elle ressentit de la pitié pour le captif. Il était son exact opposé. Combien de temps avait-elle lutté pour être différente ? Elle avait toujours détesté sa famille et les traditions de son pays. Elle avait lutté pendant son adolescence pour s’enfuir, pour échapper à cette triste existence. Mais Lenaïs avait bien fini par comprendre que la seule façon de partir, c’était d’accomplir sa destinée, en un sens. Cependant, elle ne l’avait pas fait pour leur gloire, mais bien pour en finir avec ces stupides traditions.

La femme ne répondit pas. Elle n’avait que faire des états d’esprit du prisonnier. Thanael lui avait promis qu’il resterait en vie tant qu’elle en avait besoin, cela lui suffisait.

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