Premier intermède

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« Je déteste ce gosse », marmonna Bailey en faisant un signe de la main.

Les deux gardes autour du feu observèrent le jeune homme qui passa devant eux sans répondre à leurs salutations. Il dormait peu et sortait souvent se promener à la tombée de la nuit, malgré les avertissements des autres. Jams se racla la gorge et cracha. Il ne l’appréciait pas assez pour le retenir ou lui faire le moral.

Bailey et Jams étaient des survivants du village de colons, qui avait été attaqué quelques mois plus tôt. Le Seigneur de l’Île avait déclaré qu’il ne restait aucun survivant, mais ils avaient réussi à se réfugier sur l’île surnommée « Le bout du monde ». Le trajet avait été long et épuisant, ponctué par les tempêtes et la fatigue. Nombres d’entre eux n’avaient pas survécu à la traversée, notamment les anciens, qui détenaient le savoir pour naviguer. Ils avaient réussi à arriver ici par miracle, seulement une quinzaine de survivants, sur ce gros caillou aride. L’ilot se composait principalement de carrières abandonnées et de mines désaffectées. Le sol, sec et argileux, ne permettait pas de faire pousser quoi que ce soit. L’exploitation n’intéressait plus personne depuis des décennies, les colons se savaient en sécurité ici. Pourtant, quelques semaines plus tôt, ils avaient aperçu des canots de sauvetage au loin.

Les hommes s’étaient préparés à affronter des Îliens, même si aucun navire n’était en vue. Ils avaient rencontré une bande de survivants, effrayés et perdus. La confusion avait régné pendant un moment, chacun essayant de comprendre d’où venait les autres et, plus important, s’ils étaient des ennemis.

Quelle n’avait pas été la surprise des colons d’apprendre que ces naufragés venaient de Rianon ! Ils étaient en mission pour les secourir, mais leur vaisseau avait été attaqué par des pirates. Jams avait eu un rire sarcastique. Leurs sauveurs avaient besoin d’être sauvés aussi à présent. Les survivants s’étaient donc installés avec eux. Ils avaient quelques réserves de nourriture, inclue dans les canots de sauvetage.

Les premiers jours avaient été difficiles pour s’organiser. Le petit village avait déjà son fonctionnement et la plupart des survivants étaient des mercenaires sans expérience de cette vie simple. Ils durent apprendre à pêcher et à s’aventurer dans les mines pour trouver de l’eau potable. Cependant, les soldats étaient robustes et forts, contrairement aux colons qui vivaient tant bien que mal sur ce morceau d’île.

Jams avait découvert avec stupéfaction qu’ils apportaient avec eux une balise de détresse. Cependant, sa joie fut de courte durée lorsqu’il apprit qu’elle ne fonctionnait pas. Il ne restait qu’un survivant parmi les techniciens et il avait déclaré qu’il lui faudrait du temps pour la réparer. Personne ne comprenait qui avait pu la saboter. De plus, même s’il y parvenait, il faudrait trouver un moyen de l’envoyer jusque dans l’espace, puisque la metelite qui devait servir à la faire décoller avait été dérobée. La plupart des mercenaires s’étaient mis en quête de trouver le cristal spécial. L’île était composée d’anciennes mines, mais pourraient-ils trouver d’aussi précieux matériaux ? Jusqu’à présent, ce minerai n’était trouvable qu’à l’autre bout de la galaxie. L’Île n’en avait jamais eu sur son sol. Pourtant, c’était le seul espoir qu’il restait aux survivants, alors ils s’accrochèrent à cette faible probabilité, bien que les mines aient été exploitées pendant des siècles.

« Miroslav m’a raconté le but de leur mission, déclara soudain Jams.

̶ Tu veux dire, de venir nous sauver ? Bah oui, je sais et c’est loupé », répliqua Bailey.

Miroslav était un des mercenaires qui avait survécu. Jams aurait pu le considérer comme son ami s’il n’avait pas entendu l’histoire qu’il s’apprêtait à raconter. Au début, il avait apprécié le soldat pour sa franchise et son énergie. Ils faisaient des concours de pêche pour animer un peu leur journée. Parfois, ils descendaient dans les grottes pour se lancer des défis stupides. Miroslav avait failli finir coincer pour de bon dans un boyau rocheux.

« Ils ne sont pas du tout venus pour ça. Apparemment sur Rianon, on est tous déclarés morts. Un certain Sevastian aurait organisé cette mission pour prendre le pouvoir de l’Île et rapporter de l’eau. »

Bailey arrêta de frotter ses mains devant le feu et écouta son ami avec attention. Il fronça les sourcils. Ce n’était que pure chance que les rescapés du vaisseau soient arrivés sur leur île. Les colons auraient pu rester seuls ici jusqu’à la fin de leurs jours.

Certains voyaient là une chance de retourner sur Rianon et d’échapper à cet exil. Mais quelles étaient les probabilités pour que la balise fonctionne à nouveau ? Et pire encore, pour que le gouvernement de Rianon se décide à les sauver ? Ils n’avaient rien fait lorsque leur village avait été massacré. Pas de représailles, pas de dédommagement.

« Miroslav m’a dit que ce Sevastian avait réussi à dénicher un colon qui lui indiquait le chemin jusqu’à l’Île. Et tu devineras jamais qui c’était…

Il marqua une pause pour faire planer le suspense.

« … Eliah ! »

L’autre resta bouche bée.

« Le fou est en vie ? Il a réussi à atterrir à Rianon ? » demanda Bailey.

Il aimait raconter des histoires à Bailey, il était bon public et posait toujours les questions qu’il fallait. Jams acquiesça, et ne fit aucune remarque sur le surnom peu agréable que certains villageois avaient attribué à son ami. Ils avaient tous donné des surnoms à Eliah, à cause de son étrange attitude. Cela lui avait fait un choc d’entendre que le jeune homme avait survécu. L’attaque de leur village avait été tellement chaotique, il pensait que son ami était mort.

Hord, le père de Jams, avait recueilli Eliah à la mort des parents de celui-ci. Il ne l’avait jamais considéré comme un frère, mais Jams avait apprécié Eliah, même s’il avait toujours la tête ailleurs. Il avait ressenti une joie débordante en apprenant que le jeune homme avait réussi à atteindre Rianon. Pourtant, Miroslav avait rapidement mis fin à son soulagement. Le vaisseau avait coulé, et Eliah ne figurait pas parmi les survivants.

Il avait été si surpris d’apprendre que son ami avait accepté de donner des informations sur l’Île. De nombreuses fois ils s’étaient disputés ; Jams détestait les Îliens et la façon dont on les avait chassés. Sa haine n’avait fait que s’accroître depuis le massacre au village. Quant à Eliah, il avait toujours défendu les Îliens, qui eux aussi avaient subi la Purge et l’invasion de Rianon pendant des années. Jamais il n’avait perdu espoir d’être accepté par les insulaires. Cependant, la mort de tous les villageois avait dû le faire changer d’avis. Peut-être avait-il voulu venger ses compagnons morts en provoquant la chute du Seigneur de l’Île ?

« Sur Rianon, personne n’est vraiment au courant de cette mission, reprit-il. Sevastian espérait soit conquérir l’Île, soit implorer pour que le gouvernement vienne le secourir.

̶ S’ils sont pas au courant, comment qu’ils vont venir ? »

Jams haussa les épaules. Miroslav n’était pas au courant de tous les détails, il s’était contenté d’écouter les rumeurs qui circulaient à bord du vaisseau. Le millionnaire devait avoir un plan de secours, même si personne ne semblait au courant.

« Bref, leur atterrissage a été une catastrophe. Plus rien qui fonctionne, les soutes inondées et en plus, ils se font attaquer par des pirates. Vraiment cette mission est maudite. »

L’homme souffla sur ses mains pour les réchauffer et les rapprocha du feu. Ils montaient la garde assez souvent, même s’ils savaient que l’île était déserte. L’attaque de leur village était encore fraîche dans leur mémoire pour qu’ils laissent le campement sans surveillance.

« Et ça s’arrange pas. Miroslav me raconte qu’après la baie vitrée de la salle de commandement a explosé. Ils ont failli tous se noyer, heureusement y’a un gars qui a fermé le sas en moulinant la manivelle comme un forcené.

« Après y’a la moitié du vaisseau qui s’écroule sur eux à cause des boulets de canon. Et ils peuvent même pas répliquer puisqu’à plus rien qui fonctionne sur le vaisseau. Donc ils filent tous vers les canots de sauvetage, mais en route y’en a la moitié qui canent. »

Jams racontait cette histoire presque sur le ton de la rigolade parce que le récit de Miroslav lui avait glacé le sang. Le mercenaire avait fait de nombreuses missions sur différentes planètes, pourtant il n’avait jamais vu autant de ses camarades mourir en si peu de temps. Etait-ce l’arrogance de Sevastian qui avait mis en danger cette mission en la précipitant ? Ils n’avaient pas eu le temps de charger les armes, le vaisseau était déjà trop endommagé pour riposter.

« Miroslav arrive à rejoindre l’entrepôt assez rapidement et il voit que ça commence à être bien inondé, alors le gaillard décide de fermer le sas. Mais y’a pas tout le monde qui a réussi à arriver jusqu’à l’entrepôt. Miroslav, il veut empêcher les survivants de mourir, alors il ferme le sas. Et là y’a le Sevastian qui se jette sur lui et ils commencent à se battre. Enfin, t’as vu la carrure de Miroslav ? », ricana Jams.

Bailey acquiesça avec un sourire. Le mercenaire était costaud et très bien entraîné. Jams ne l’aurait avoué à personne mais il était jaloux. Les colons avaient à peine de quoi se nourrir et leurs nouveaux arrivants étaient encore assez fringuant. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils deviennent comme eux.

« Et pendant toute la scène, y’a le rejeton de Sevastian qui regarde. Il était allé récupérer la balise et il était tellement paniqué qu’il s’est fait dessus. »

C’était une pure invention de sa part, mais Jams n’aimait pas Asbel et cela l’amusait de l’humilier. Seulement trois ans les séparaient, mais il prenait un malin plaisir à l’appelait « le gamin ». Depuis son arrivée, Asbel se montrait désagréable et arrogant envers tous, sans distinction pour les mercenaires ou les colons. Il lançait des regards méprisant à quiconque lui adressait la parole.

« Miroslav s’est débarrassé de Sevastian, il l’a bien assommé et il est allé fermer ce foutu sas. Ils avaient de l’eau jusqu’à la taille. Le vaisseau allait bientôt couler. Il est allé vers le dernier canot. Y avait déjà deux autres mecs dedans. Asbel les a supplié de l’attendre, mais il avait la balise sous le bras et son père inconscient avec lui. Et aucun des trois dans la chaloupe voulait les aider ou attendre trop longtemps. »

Miroslav avait un dédain indescriptible pour Sevastian et son fils. Il avait sûrement pris du plaisir à tabasser le père. Jams n’avait pas osé lui faire de remarque, mais pourquoi n’avait-il pas aidé le fils ? Il s’était contenté d’écouter son histoire sans intervenir, de peur de se faire battre s’il disait quelque chose qui ne plaisait pas au mercenaire. Pourtant, malgré l’animosité qu’il ressentait pour Asbel, Jams se sentait mal pour lui. Il savait que les habitants de Rianon ne savaient pas nager et certains avaient même une peur bleue de l’eau. Mais ils avaient choisi une mission sur le planète recouverte d’océans !

« Il ne pouvait pas prendre les deux. S’il traînait son père dans l’eau tout en tenant la balise, son daron buvait la tasse. Il se serait noyé avant d’arriver au canot. Mais il n’avait pas le temps de faire un allé retour. Miroslav ne lui aurait pas permis. Alors le gosse a dû faire un choix. »

Bailey déglutit péniblement. Il n’était plus amusé par l’histoire. Jams frissonna.

La balise avait été sabotée. Personne ne savait si elle allait fonctionner de nouveau et s’ils allaient réussir à l’envoyer jusqu’à Rianon. Jams n’osait imaginer l’enfer que vivait Asbel. Il avait sacrifié son père pour une balise qui ne fonctionnait même pas. Il avait sûrement pensé qu’un petit dysfonctionnement l’avait empêchée de décoller, pas que la metelite avait été dérobée et des fils arrachés. Mais comment aurait-il pu le savoir ? Il avait avant tout pensé à la survie du plus grand nombre.

Ni l’un ni l’autre n’osa dire ce qu’il pensait de Miroslav, mais un seul regard suffit pour qu’ils se comprennent.

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