Chapitre 1 : Petit Azur

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 Les rayons chaleureux du soleil allongeaient les ombres de la combe, annonçant la fin de la journée. L'air était doux, et la légère brise qui était parvenue à se faufiler dans le camp portait l'odeur de la Saison des Feuilles Mortes. Les silhouettes agiles des guerriers s'affairant autour du tas de gibier s'étendaient sur le sol terreux, et leurs miaulements perçaient la tranquilité qui régnait sur la lande. Un buisson en particulier était noyé de soleil. Si l'on l'observait de l'extérieur, on ne pouvait deviner qu'il s'enfonçait ensuite sous terre, ni combien de petits coeurs félins battaient en son enceinte. Les feuilles et les épines protégeaient les résidents de cette tanière, même lorsque la Mauvaise Saison frappait les quatre territoires de ses vents glacés.

 À l'intérieur de la pouponnière, l'excitation montait. Petit Azur, jeune félin âgé d'à peine cinq lunes, s'impatientait en secret, yeux figés sur le sol, une expression boudeuse peinte sur son museau. La chatte au pelage gris-bleu qui se tenait à ses côtés remua les moustaches et enroula sa longue queue touffue autour du corps menu de son fils. Celui-ci poussa un miaulement de mécontentement et se dégagea.

 « Pourquoi ne peut-on pas sortir ? geignit-il d'une voix aigüe. Il ne fait même pas froid !

 — La nuit va bientôt tomber, grogna Coeur Doux tout en le couvant du regard.

 — Tu es trop dure avec eux, soupira Brume Noire, une reine musculeuse au pelage entièrement noir. Tes chatons sont robustes, et Petit Azur a raison : le soleil n'est pas encore couché, et la température est douce. »

 La femelle gris-bleu plissa ses yeux ronds et bleutés, dubitative, puis elle ramena sa queue contre elle, presque avec énervement.

 « Très bien, allez jouer, mais ne vous éloignez pas trop de la pouponnière, déclara-t-elle. »

 Petit Azur, accompagné de ses deux soeurs, se dirigea clopin-clopant vers la sortie de la tanière, sentant le regard puissant de sa mère dans son dos. Son dos frôlait une feuille lorsqu'il entendit la voix étouffée de Brume Noire, à l'adresse de Coeur Doux :

 « Tu sais, ils ne seront pas éternellement des chatons. Viendra un jour où tu seras contrainte de les laisser prendre leur envol... »

 Il n'entendit pas la suite, car l'effervescence du camp parvint à ses oreilles, comme une brume étouffant les sons provenant du buisson d'aubépines. Il suivit Petite Lande, la plus audacieuse de ses deux soeurs. La jeune chatte, pourtant la plus jeune de la portée, était une véritable boule d'énergie, ne cessant d'explorer, d'embêter et sa langue bien pendue avait déjà fait le tour du clan. Il arrivait quelques fois où le chaton gris tigré enviait son assurance et son courage, lorsque sa timidité naturelle l'empêchait de se mettre en avant. Les guerriers lui paraissaient si imposants et formidables, ils étaient les défenseurs de son camp, ceux qui chassaient et combattaient pour l'honneur de leur tribu ! Selon Petit Azur, il n'existait de but plus noble dans une vie de chat des clans.

 « Où va-t-on ? couina Petit Lièvre, sa cadette, une chatonne noire et blanche bien plus frêle que ses frère et soeur. Maman nous a interdit d'aller trop loin !

 — Mais Maman ne nous voit et ne nous entend pas ! s'exclama Petite Lande d'un ton moqueur. Ne vous inquiétez pas, Etoile de Lande vous mène en lieu sûr ! »

 Presque aussitôt, la femelle brun et blanc, qui ne regardait plus où elle allait, trébucha sur les pattes menues d'une chatte au poil crème, qui portait un mulot entre ses crocs.

 « Faites attention où vous mettez les pattes ! » s'écria Bond de Lapin, sa voix aigüe étouffée par le corps inerte du rongeur.

 Petite Lande baffouilla quelques excuses, mais la guerrière était déjà partie, la mine agacée. Petit Azur retint un ronron moqueur, sachant que sa soeur serait sans pitié s'il riait de sa mésaventure. La petite chatte tachetée se releva en s'ébouriffant le poil, foudroyant son frère du regard dès que leurs yeux se croisèrent. Il secoua la tête, amusé.

 Ses prunelles de chaton se posèrent soudain sur la silhouette au pelage touffu qui descendait la combe à la suite de Bond de Lapin, à contre-jour. En plissant les yeux, Petit Azur reconnut la stature élancée et souple de Nuage Sublime. La fourrure de cette dernière se teintait de doré dans la lumière du soleil couchant. En le remarquant, la jeune novice, qui tenait une souris dans sa gueule, remua les moustaches en signe de bonjour. Petit Azur baissa les yeux, et rabattit les oreilles, gêné. Il se surprit à lisser ses vibrisses, n'osant lever le regard. Nuage Sublime ne portait pas ce nom pour rien. C'était l'apprentie de Perle Grisée, elle savait déjà chasser ! Elle était innaccessible à ses yeux.

 Un feulement retentit derrière-lui, le faisant sursauter. Il eut à peine le temps de se retourner que Petit Loup lui bondit dessus. Le chaton noir avait deux lunes de moins que lui, et par conséquent n'arrivait pas à ses épaules. Petit Azur le déséquilibra sans peine et retint la furieuse envie de le plaquer au sol en miaulant de joie. Il pouvait presque sentir le regard de Nuage Sublime dans son dos.

 « Les vrais guerriers ne se battent pas comme ça ! s'exclama le chaton gris d'une voix qu'il voulait virile et impérieuse. Tu n'es vraiment qu'un bébé !

 — Ah-ah ! ricana Petit Loup de sa voix suraiguë. Si tu penses avoir plus de chances avec Nuage Sublime que moi, tu te trompes largement !

 — Même pas en rêve, demi-portion ! »

 Petit Azur poussa un cri de grand guerrier et sauta sur son cadet qui miaula de stupeur. Le mâle tigré vit rouge et sortit les griffes. Elles égratinèrent la truffe du petit chat noir qui poussa un cri. Il repoussa Petit Azur de ses pattes arrières et détala en direction de la pouponnière en appelant Brume Noir à son secours.

C'est ça, va pleurer dans contre le giron de ta mère ! fanfaronna intérieurement Petit Azur. Il se retourna tout sourire, dans l'espoir de croiser à nouveau les beaux yeux de l'apprentie rousse. Mais celle-ci n'était nulle part en vue. Sa queue retomba et il retourna vers ses soeurs, déçu.

 « Petit Azur ! s'écria Petite Lande, ses moustaches frétillant de malice. Viens par ici, dépêche-toi ! »

 Intrigué, le chaton gris clair s'approcha. Il s'aperçut que Petit Lièvre raclair le sol de ses minuscules griffes translucides, signe qu'un trouble quelconque l'affectait.

 « Maman nous a toujours déconseillé de grimper dans le passage secret, geignit-elle en fixant la terre sous ses pattes. Elle dit que c'est dangereux, que son frère a failli mourir là-haut, à l'époque où ils étaient chatons.

 — So-ttises ! miaula Petite Lande avec entrain. Il fait sec et nous sommes agiles, je ne vois pas pourquoi nous tomberions !

 — Dis-lui, Petit Azur ! soupira la petite chatte blanc et noir. C'est trop dangereux.

 — Ne me dis pas que tu n'as pas envie de voir ce merveilleux coucher de soleil en haut de la combe ! souffla leur benjamine en lui donnant une bourrade affectueuse.

 — Moi je viens avec toi ! fit la petite voix de Petit Loup qui s'était approché d'eux.

 — Eh bien, grogna Petite Lande, prise au dépourvu. Non ! Toi tu resteras en bas et tu monteras la garde ! C'est une mission extrêmement importante. Et puis, tes pattes sont trop courtes pour attraper les mottes de terre. »

 Petit Azur fronça le museau, partagé. D'un côté l'idée de Petite Lande était excitante et ils disposaient d'une opportunité qui ne se reproduirait peut-être pas avant longtemps. De l'autre, il connaissait la terrible réputation de ce sentier. Coeur Doux leur avait déjà raconté la mésaventure de son frère, Petite Agripaume, qui avait voulu fuir le camp par ce chemin pentu. Il avait chuté et ses pattes s'étaient brisées, entraînant son décès quelques jours plus tard. Cette légende avait depuis servi à effrayer les chatons qui se décideraient de tenter l'escalade, au grand désespoir de Coeur Doux. Petit Azur fut parcouru d'un frisson lorsqu'il visualisa son oncle, pas plus grand que lui, dévaler la pente poussiéreuse et miaulant de douleur.

 Petite Lande battit de la queue et rabattit ses oreilles en arrière, mécontente. Elle secoua la tête et se détourna.

 « Puisque c'est comme ça, j'irai seule ! s'exclama-t-elle, le menton haut.

 — Non ! piailla Petit Azur en la rattrapant d'une gambade. C'est trop dangereux si tu montes seule. Je viens avec toi. »

 Sa soeur le dévisagea d'un air satisfait, avant de lancer en direction de Petit Lièvre :

 « Et toi, tu vas rester ici comme une poule mouillée ? » demanda-t-elle.

 La petite chatte blanche et noire arracha une nouvelle motte d'herbes puis leva les yeux au ciel avant de les rejoindre. Les moustaches de Petite Lande remuèrent de satisfaction.

 « Très bien, soupira Petit Lièvre en trotinnant dans leur direction. Mais je persiste à croire que c'est interdit et risqué.

 — Je t'aiderai à monter ! » miaula son frère en bombant le poitrail.

 Mais sa petite soeur avait le regard absent, comme perdu dans le vague. Et Petit Azur ne put s'empêcher de repenser aux prunelles inquiètes que sa mère figeait tout le temps sur lui. Il espérait ne pas avoir mis la vie de ses soeurs en danger. Mais tout va bien se passer, se rassura-t-il. Ce n'est qu'une excursion.

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