Chapitre 2 : Proies

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 L'ascension du passage secret était pénible. Les ridicules pattes des trois chatons glissaient sans arrêt sur les mottes terreuses. Leurs griffes n'étaient pas assez fortes pour les tirer jusqu'à la prochaine prise, ils devaient donc user de leur balancier pour se propulser vers le haut. Petit Azur observait ses deux soeurs grimper, juste au-dessus de sa tête.

 « Eh, Petit Lièvre ! Tu me mets ta queue dans les yeux ! pesta Petite Lande alors qu'ils n'étaient qu'à mi-chemin du sommet de la combe.

 — Désolée ! » geignit le chaton blanc et noir, la voix coupée par l'effort.

 Petit Azur, lui, n'osait pas parler. Ses muscles étaient mis à rude épreuve, chaque mouvement devenait plus difficile que le précédent. La moindre glissade risquait de le faire tomber en bas. Il grimaça, n'osant imaginer le sort que lui réservait la chute, et se propulsa vers la motte suivante à l'aide de ses pattes arrières.

 Il sursauta en entendant la patte arrière de Petit Lièvre glisser. La petite chatte bicolore couina de surprise avant d'être poussée par son frère et sa soeur.

 « On y est presque ! s'exclama Petite Lande. On ne peut plus faire demi-tour, alors activez-vous ! »

 Petit Azur serra les crocs et étira ses membres au maximum pour s'accrocher à la motte la plus haute, passant ainsi devant sa soeur. Enfin, il sentit la caresse de l'herbe douce sous ses griffes translucides. Quelques instants plus tard, le petit mâle gris clair était affalé sur la terre ferme, le coeur battant. En levant sa tête de chaton, il aperçut de petites étoiles qui commençaient à s'allumer, entre les nuages. Il écarquilla les yeux, impressionné. Jamais il n'aurait soupçonné le ciel d'être aussi grand. Et l'herbe sous ses coussinets, elle était si douce...

 « Tu sens cette odeur de liberté, Petit Azur ? demanda Petite Lande en bombant le poitrail.

 — C'est impressionnant, souffla-t-il, sans pouvoir détacher le ciel rosé du regard. Que faisons-nous à présent ? »

 Petit Lièvre, qui léchait ses griffes endolories, se tourna vers leur soeur. C'était Petite Lande qui les avait menés ici, c'était à elle de prendre les décisions. La femelle brun et blanc parut réfléchir un instant, avant de sauter sur ses quatre pattes en agitant la queue.

 « Et pourquoi ne pas explorer nos terres ? miaula-t-elle gaiement. Cette lande est autant aux guerriers qu'aux chatons, n'est-ce pas ? »

 Petit Lièvre et Petit Azur ne trouvèrent rien à y redire. Agitant les vibrisses, le petit mâle tigré s'engagea à la suite de sa soeur, suivi de la chatonne noire et blanche. L'herbe s'écartait sur leur passage, les aveuglant bientôt. Le chaton gris essayait de ne pas perdre la queue de sa soeur de vue, accelérant lorsque celle-ci disparaîssait derrière un bouquet de joncs. Il pouvait sentir l'odeur de peur que dégageait Petit Lièvre.

 « Allez ! l'encouragea-t-il. On sera rentrés avant qu'il ne fasse nuit, ne t'en fais pas !

 — Décoince-toi ! » renchérit Petite Lande, dont la voix était plus lointaine encore.

 La luminosité baissait, les pupilles des trois petits chatons se dilataient. De plus en plus d'étoiles s'allumaient au-dessus de leur tête. Le clan des Etoiles nous observe, songea Petit Azur. Une brise serpentait entre les buis, faisant frissonner le jeune chat gris. Petit à petit, la sensation d'être observé s'empara du chaton. Il s'arrêta, miaulant en direction de Petite Lande :

 « Attends ! Le clan des Etoiles s'est réveillé, il faut retourner au camp !

 — Vraiment ? fit-elle. Toi aussi Petit Azur ? On ne craînt rien, on a presque l'âge d'être des apprentis !

 — Il a raison, geignit Petit Lièvre. Maman doit nous chercher partout, nous allons avoir des ennuis ! »

 Petite Lande baissa le regard, fixant ses petites pattes tachetées. Elle secoua la tête puis soupira :

 « Très bien, tu as raison. Faisons demi-tour. »

 Soulagé, Petit Azur sautillait presque sur le chemin du retour. Mais les herbes qui les entouraient l'empêchait de voir où il allait, et après quelques minutes qui parurent interminables, ils débouchèrent sous un petit bosquet.

 « Sommes-nous près de la combe ? demanda Petit Lièvre.

 — Je ne sais pas, soupira Petit Azur en grattant nerveusement le sol. Je ne sais pas où nous sommes. »

 Coeur Doux lui manquait. L'idée amusante de Petite Lande se transformait en situation angoissante. Près de lui ses soeurs s'étaient recroquevillées l'une contre l'autre. Petit Lièvre tremblait.

 « Je vais grimper à ce bosquet pour essayer de voir où est le camp ! » fit le chaton gris tigré en plantant ses griffes dans l'écorce biscornue.

 Sans attendre la moindre réponse, il bondit et entama son ascension. Le bois était glissant mais c'était déjà plus facile que de prendre le passage secret. Les feuilles orangées de la Saison des Feuilles Mortes se balançaient au-dessus de son museau, comme pour le narguer. Dans un ultime effort, Petit Azur atteignit une des premières branches.

 Il entendit soudain un cri perçant. Miaulant de stupeur, il découvrit l'immense silhouette d'un rapace, penché au-dessus d'un nid, bec ouvert et ailes déployées. Terrifié, le chaton gris bascula en arrière et chuta dans une plainte d'horreur.

 « Petit Azur ! » entendit-il hurler Petite Lande.

 Il heurta le sol dans un bruit sourd, et une vive douleur s'empara de sa patte arrière. Il sentit vite la fourrure de sa soeur contre lui, et le souffle inquiet de la petite chatte brun et blanc. Elle se serrait contre lui, le coeur battant. Le jeune chat sentait sa conscience basculer, mais la présence rassurante de Petite Lande estompa la douleur.

 Un nouveau cri d'oiseau déchira le ciel, faisant relever les oreilles des deux chatons. La buse venait de s'élancer de l'arbre et fondait à présent dans le ciel crépusculaire, battant avec rage ses ailes immenses. En voyant le rapace fendre l'air en direction du sol, le frère et la soeur s'écrièrent d'une même voix :

 « Petit Lièvre ! »

 La buse ouvrit ses larges serres noires et saisit la chatonne noire et blanche qui poussa un cri de panique. Petite Lande voulut bondir, hurlant comme un démon. Mais un éclair de fourrure blanche la devança, sautant sur l'oiseau en furie. Très vite, un autre felin fondit sur Petit Azur et Petite Lande et se serra contre eux. Le parfum si familier et réconfortant de Coeur Doux les encercla, rassurant.

 Sous les griffes meurtrières de Regard Céleste, la buse piailla une dernière fois avant de s'effondrer dans l'herbe, sans vie. Petit Azur vit le corps frêle de Petit Lièvre retomber à côté, disloqué et ensanglanté. Malgré la douleur qui le tiraillait, il courut jusqu'à cette masse de fourure bicolore. Il enfouit son museau dans le poil de chaton de sa soeur, tout en couinant de tristesse. Il ne sentit même pas Petite Lande qui le rejoignait, geignant de détresse.

 Lorsque les crocs de Coeur Doux le saisit à la nuque, Petit Azur se débatit, griffes sorties.

 « Laisse-moi avec elle ! Lâche-moi ! feula-t-il. Elle n'est pas vraiment morte, elle fait semblant ! »

 Tout en protestant, il vit une chatte maigre au poil gris qu'il reconnut comme Perle Grisée se saisir délicatement du corps de Petit Lièvre, l'emportant avec elle.

 « Non ! s'écria Petit Azur. Elle n'est pas morte ! Maman, dis quelque chose ! »

 Mais Coeur Doux, serrant la nuque de son fils entre ses dents, ne répondit rien. Son silence était comme la nuit, aux oreilles du chaton tigré : vide, inquiétant, étranger. Intérieurement, le jeune mâle gris supplia le clan des Etoiles de le réveiller. Oui, c'est cela, il allait ouvrir les yeux, collé contre Petit Lièvre et Petite Lande, sa mère lui chuchotant que ce n'était qu'un cauchemar. Que tout était fini.

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