Chapitre 3 : Ce qu'est un guerrier

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 Les yeux de Petit Azur s'ouvrirent brusquement. La pouponnière était traversée de fins rayons de soleil, qui touchaient le sol de mousse en milliers de petites taches lumineuses. Il faisait chaud, sa respiration était callée sur celle de sa mère, qui dormait encore. Il était roulé en boule contre Petite Lande. Mais là où dormait habituellement Petit Lièvre subsistait un vide. La gorge du chaton se serra lorsqu'il se rapella les évènements de la veille. La tristesse qu'il avait réussi à ignorer un temps pour s'endormir l'assaillit soudain comme une vieille plaie.

 Il décida de se lever, ne supportant plus la vision de ce creux contre le giron de sa mère. Sautant au-dessus de sa queue gris-bleu, il se faufila sous le rideau de feuilles et déboucha à la lumière du jour. Très peu de chats se trouvaient dans la combe. Il vit Bond de Lapin discuter avec Fougère d'Ardoise au pied de la Grande Roche. Un mouvement sur la gauche du chaton attira son attention. C'était Branche de Buisson, la guérisseuse brun tigré, qui s'extirpait de son antre. Lorsqu'elle s'approcha de lui, son parfum de remèdes lui piqua le museau.

 « Tu es bien matinal, Petit Azur, fit-elle en frémissant des moustaches. Comment te sens-tu ?

 — Où ont-ils emmené le corps de Petit Lièvre ? demanda le jeune mâle gris.

 — Ils l'ont enterré aux premières lueurs de l'aube, soupira la femelle. Non loin du camp, près du bosquet où la patrouille vous a trouvée. Nous avons de la chance que Petit Loup ne sache pas tenir sa langue, sans quoi les guerriers ne seraient pas arrivés à temps.

 — Elle serait morte de toute façon, grogna Petit Azur en baissant la tête, ses griffes effritant la terre sous lui.

 — Il est rare que le clan des Etoiles ne rappelle un chat aussi tôt, déclara Branche de Buisson. Et lorsque cela arrive, c'est toujours un moment tragique pour le clan. Le destin de ta soeur se trouvait simplement de l'autre côté de la Toison Argentée. »

Le clan des Etoiles est stupide ! Le destin de Petit Lièvre était avec nous, dans la combe du clan de l'Air ! Il arracha une large motte de terre du sol, empli de rage. Et s'il avait dissuadé Petite Lande de sortir du camp en cachette ? Et s'il n'avait pas entraîné Petit Lièvre dans la prairie ? Le remord le harcelait, chaque regard porté sur la combe, les siens, tout lui rappelait la chatonne noire et blanche.

 Un cri l'alerta soudain, et lui et la guérisseuse tournèrent simultanément leurs têtes vers la pouponnière.

 « Petit Azur ! Petit Azur ! » s'époumonna Coeur Doux.

 Elle posa son regard sur le chaton gris tigré et accourut vers lui, le reniflant avec inquiétude.

 « Ne t'éloigne pas de moi, compris ? miaula-t-elle. Tu ne peux pas partir sans prévenir comme ça !

 — Du calme, Coeur Doux, fit la voix apaisante de Brume Noire qui s'approchait derrière la reine gris-bleu. Il est là, il n'a rien. »

 Petit Azur foudroya sa mère du regard, reculant d'un pas vers Branche de Buisson. La guérisseuse à la queue tordue toisa la chatte paniquée de ses yeux verts.

 « Ressaisis-toi, enfin ! gronda-t-elle. Crois-tu que ton fils et ta fille pourront grandir s'ils sont constamment couvés comme des oeufs de caille ? Tu as perdu un chaton, c'est un fait. Et tu es la mieux placée pour rebondir, Coeur Doux. »

 Les propos tranchants de Branche de Buisson parurent choquer les deux reines. La guérisseuse faisait certainement référence au défunt frère de sa mère. Dans un élan de tendresse, Petit Azur alla se blottir contre le poil gris-bleu de Coeur Doux, se raccrochant à son odeur maternelle. Il sentit sa langue râpeuse passer entre ses oreilles.

 « Petit Azur, tu passeras dans ma tanière si tu as encore mal à la patte », ordonna la guérisseuse brun tigré avant de se retirer dans sa tanière.

 Ses prunelles bleutées virent que Brume Noire suivait Branche de Buisson du regard. Elle tournait les oreilles, visiblement agacée.

 « N'écoute pas cette vieille pie, Coeur Doux, grommela son amie. Comment pourrait-elle donner des conseils maternels, elle qui n'a jamais donné la vie ? »

 Les deux reines s'éloignèrent, après que Coeur Doux ait jeté un dernier regard inquiet en direction de son fils. Elle n'osait plus parler, mais avait désormais l'air craintive, vulnérable. Cela faisait tout bizarre à Petit Azur, qui l'avait toujours vue comme une guerrière ferme et confiante.

 Il décida de profiter de l'absence de monde pour mieux explorer le camp. La constante protection de sa mère l'avait empêché de rester trop longtemps en dehors de la pouponnière. Quand je serais apprenti, elle ne pourra plus me retenir ! songea-t-il. Cette perspective lui remonta légèrement le moral.

 Il passait devant la tanière des apprentis quand une jeune chatte rousse en sortit brusquement. Petit Azur sursauta, la fourrure hérissée sur l'échine. Mais lorsque son regard croisa les yeux bleu-vert de Nuage Sublime, il se détendit immédiatement.

 « Excuse-moi, fit la jeune chatte dont les prunelles fixaient à présent ses pattes. Je ne voulais pas te faire peur. Je t'ai vu approcher, je ne sais pas, je pensais que tu voudrais peut-être parler de...

 — Oh... souffla le chaton gris tigré en s'asseyant. Eh bien, je...

 — Je suis stupide, déclara Nuage Sublime. Bien sûr que non, tu as sans doute de meilleures personnes à qui en parler. Je veux dire, je ne peux sans doute pas t'aider, mais je...

 — Elle me manque, la coupa-t-il avec un soupir. Je n'étais pas prêt à ce qu'elle parte maintenant.

 — Je suis triste qu'elle ne puisse jamais dormir dans la tanière des apprentis, ajouta la femelle rousse. C'est moins confortable que la pouponnière, mais c'est symbolique. En tout cas, j'ignore si c'est une source de réconfort, mais j'étais impressionnée que vous ayez osé emprunter le passage secret. J'y avais déjà songé, mais je n'avais pas osé. »

 Ils se fixèrent un instant, ne sachant quoi dire. Petit Azur n'avait que rarement eu de conversations aussi longues avec l'apprentie, et il se sentait à présent fourmillant d'énergie. Il avait impressionné Nuage Sublime ! Cette simple perspective le fit se sentir important à ses yeux.

 Plus loin, ils entendirent Perle Grisée qui appelait la jolie novice rousse à venir chasser. Elle se donna quelques coups de langue sur les pattes et, avant de s'élancer, se tourna vers le jeune mâle gris.

 « J'espère que tu arriveras à surmonter cette tragédie, lança-t-elle. Mais je n'en doute pas, tu as déjà l'étoffe d'un guerrier. »

 Son odeur fraîche de mousse et d'herbes la suivit dans son sillage. Petit Azur l'observa disparaître dans le tunnel d'ajoncs qui menait à l'extérieur. Elle a dit que j'étais presque un guerrier, pensa-t-il. Un guerrier est courageux, fort, agile, bon. Rempli de fierté, il décida de retourner voir Coeur Doux à la pouponnière. Elle avait besoin de lui, elle se sentirait mieux s'il restait à ses côtés.

 Il pénétra dans la tanière et s'allongea contre sa mère, qui semblait rassurée de le voir revenir. Elle lui fit sa toilette, puis posa sa tête près de la sienne.

 « Tu es courageux, Petit Azur », chuchota-t-elle avant de fermer les yeux.

 Le chaton gris tigré l'imita, les odeurs de Nuage Sublime et de Coeur Doux se mélangeant dans sa truffe. C'est ce qu'est un guerrier, songea-t-il en se laissant glisser dans le monde des rêves.

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