Chapitre Un - Sancho commence sa balade

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Perché sur son vélo, Sancho Alvarez, dix ans, se rendait à San Malandrin, la plus grande ville de Bella Isla. Son abuelo lui avait demandé d’aller chercher du whisky. Dans sa besace, une bouteille vide. Dans sa poche, cinquante dollars, prêtés en cachette par le vieil homme. Sancho, comme à chaque fois, avait prévu d'acheter du jus de pomme et de le verser dans la bouteille, le reste de l’argent retournerait dans la petite boîte en bois de son aïeul. Le breuvage de feu n’était pas bon pour son grand-père. Et il ne fallait pas attendre de Tia Rosana qu’elle le protège. De toute façon, le vieillard, qui était depuis longtemps troublé par Alzheimer, ne s’en rendrait pas compte.

Le voilà donc, pédalant sur la route poussiéreuse et désertique, tandis qu’à l’horizon s’élevaient les hautes tours de San Malandrin. Un vent chaud ébouriffait ses boucles noires, tandis que le soleil, implacable, appliquait sa brûlante loi dans l’océan céleste. Sancho se disait qu’il boirait bien de ce jus de pommes, une fois acquis. Mais il se maugréa : pas question de voler, ne fusse qu’une goutte, à son cher papy. Il se sentait déjà assez coupable de le filouter sur la marchandise. Il décida donc de patienter jusqu’à son retour à la maison pour boire un grand verre d’eau fraîche.

Il entendit soudain un bruit de moteur. Se retournant, il aperçut, au loin, deux garçons plus âgés, qui arrivaient sur leur moto. Sûrement des apprentis chasseurs de primes, se dit-il, en route vers un nouveau contrat, ou, mieux, en quête de rétribution pour une mission accomplie. Il y avait beaucoup de jeunes qui décidaient de devenir chasseurs de primes. Ça payait bien et les Sheriffs fermaient souvent les yeux sur leurs actions, souvent répréhensibles et injustes. Tia Rosana avait dit, un soir qu’ils étaient tous rassemblés à table, qu’elle espérait bien que Sancho prendrait cette voie quand il serait plus grand. Il serait temps que le jeune garçon apporte sa contribution aux dépenses de la famille, surtout qu’elle était obligée de s’occuper de lui depuis la mort de ses parents. Elle qui se coltinait déjà Abuelo, ça commençait à bien faire ! Mais Sancho estimait qu’il valait plus que ce travail douteux. Quitte à gagner moins d’argent, il le gagnerait de façon honnête, en l’honneur de papà et mamà.

Les motos arrivèrent à sa hauteur. Les garçons, qui devaient avoir dix-huit, dix-neuf ans, se regardèrent d’un air entendu, avant de freiner brusquement devant la bicyclette de Sancho. Le pauvre dérapa et finit sa route dans un virevoltant, la bouche pleine de sable.

— Hey mais vous êtes malades, ou quoi ? rugit Sancho, très mécontent de s'être écorché le genou. Heureusement, sa bouteille était saine et sauve.

— On n’y peut rien si tu sais pas tenir sur tes roues, ricana le plus grand, qui avait les oreilles décollées.

— Ouais, s’esclaffa l’autre, une mèche noir lui cachant un oeil. Où tu vas comme ça, gamin ?

— Ça vous regarde pas, bande de trouducs ! hurla Sancho, qui était maintenant furieux.

— Hey, protesta Dumbo, le tapant sur la tête, surveille ton langage ! Qu’est-ce que tu cache dans ton sac ?

Il agrippa sa besace et y jeta un œil. Il balança la bouteille, qui tomba sur le sol sablonneux avec un bruit sourd. Puis il sortit le beau billet de cinquante dollars en sifflant de joie. Sancho rouspeta, essayant de rattraper son précieux rectangle de papier. Même Ulysses Grant sur son billet semblait outré de ce qui était en train de se passer. Il alla rejoindre d’autres billets dans le portefeuille du grand.

— Rends-moi mon argent, cabrón ! Pendejo ! hurla le petit garçon.

— Ca suffit, s’impatienta le grand, le saisissant par le collet. Je vais t’apprendre le respect !

Sancho se débattit de toutes ses forces, empoignant ce grand dadet et donnant des coups de pied. Il atteignit son agresseur au tibia, qui hurla de douleur. De rage, Simplet jeta le petit au sol et donna un grand coup de pied dans un tas de poussière pour l’aveugler.

Les deux voyous repartirent sur leur moto dans un nuage de poussière jaune, ricanant. Le bruit des motos s’estompa, laissant Sancho, face contre terre, dans le silence, seulement perturbé par le doux chant du vent. Le petit garçon se releva et épousseta son jeans. Il regarda l’horizon puis éclata de rire. Dans sa poche, il serrait le portefeuille de Dumbo.

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