Pablo California était en route vers San Malandrin, à bord de sa Dodge Charger de 1968. Il adorait cette bagnole, qui l’accompagnait depuis plusieurs années. En fait, il l’avait déjà à cette époque lointaine, quand il était encore un « Cent pour Cent », entendez par là un « Cent pour Cent chair humaine ». Aujourd’hui, il ne lui restait plus que le tronc et sa bonne vieille caboche, assortie de cette belle gueule qui en avait fait craquer plus d’une. Le reste ? Un assemblage compliqué de métal et puces électroniques. Le plus dingue, c’est qu’il ne savait pas d’où lui venait ce corps à la pointe de la technologie. Tout ce dont il se rappelait, c’est qu’il avait été pris dans un guet-apens. Las Manos Rojas ne pardonne jamais. Le gang mené par Javier Esqueles avait attiré Pablo dans un coin paumé avant de l’arroser de 22 long rifle, le laissant pour mort. Il s’était réveillé dans un hôpital hi-tech, affublé d’un corps robotique hors de prix, et de ce qui allait désormais lui servir de sobriquet : « Tête de Conserve ». Le pire, c’est qu’il ne savait pas qui avait mis le prix pour lui offrir cette seconde chance, et il détestait ça. Déjà qu’il ne supportait pas d’être redevable à quelqu’un, alors si en plus il ne savait pas qui était cette personne, ça le rendait dingue. Le docteur qui l’avait rafistolé lui avait dit que tous les frais avaient été payés et que son bienfaiteur avait insisté pour rester anonyme.

Aujourd’hui, il continuait sa route de chasseur de primes, dans sa fidèle bagnole, en essayant de fuir comme la peste Esqueles et son cartel. Il y avait perdu son humanité et l’amour de sa vie.

Il avait rendez-vous avec un nouveau client, un dénommé Rusty Jack qui lui avait donné rendez-vous au Golden Bolt, un lieu de divertissement, le plus grand de tout San Malandrin, avec un casino, un bar et une grande salle de spectacle. L’endroit était aussi bien fréquenté par la noblesse que la racaille, et c’était le lieu propice à tous les excès. Pablo espérait ne pas y faire de mauvaise rencontre.

Il sortit soudain de ses pensées en voyant un jeune garçon sur le bord de la route, balayée par des volutes de poussière. Le petit regardait en direction de la Ville, à côté de ce qui avait dû être un vélo, à une époque. Il avait l’air minuscule dans son short trop grand, au milieu de cette étendue désertique balayée par le vent. Il roula des yeux, n’ayant pas envie de ralentir, alors que son pied appuyait déjà sur la pédale de frein. Le garçon darda ses grands yeux noirs sur le bolide poussiéreux, la bouche grande ouverte d’admiration.

— Ben alors, chiquito, qu’est-ce que tu fais là, tout seul ? demanda Pablo, haussant la voix à cause du vent qui hurlait dans le désert.

— Je me rendais à San Malandrin pour faire une course, mais deux abrutis m’ont attaqué ! Mon vélo est foutu et ma bouteille est cassée, ¡Malditos perros!

— Hey, surveille ton langage !

— Désolé, señor . C’est juste que maintenant, je suis bloqué ici ! Et je commence à avoir besoin de faire pipi !

— Et bien, tu as assez de place pour te soulager ici, non ?

— Pas possible, señor. Il me faut des toilettes, sinon j’y arriverai pas !

Pablo sentit son exaspération grandir, mais il ne pouvait pas se résoudre à le laisser ici. Il était minuscule. Il ne lui donnait pas une heure avant que les coyotes viennent en faire leur goûter.

— Grimpe, je t’emmène. J’ai un rendez-vous. Et après je te ramène chez toi. ¡Vamos!

Le petit accoura sans hésiter une seconde et grimpa dans le bolide.

— Wouah ! Elle est belle votre voiture, señor ! Vous avez rendez-vous avec une belle dame ?

— Ça te regarde pas. Maintenant tais-toi et attache ta ceinture. Et surtout, retiens-toi !

Pablo démarra. Il n’avait pas idée de ce qui l’attendait.