Tania

8 minutes de lecture

  Je me réveille seul, avec une légère gueule de bois. On frappe à la porte. J’attends quelques secondes que mon érection matinale soit moins flagrante pour aller ouvrir. Elle est là, elle sort de la douche. Elle m'embrasse, ouvre la fenêtre pour aérer la chambre qui sent la distillerie d'alcool, me dit-elle, mais moins que dans leur chambre où Pierre, malade, à entrepris de repeindre le sol d'un mélange de vodka et de bile. En regardant la bosse au niveau de mon entrejambe elle me dit que j'ai l'air en bien meilleure forme que lui et que si je veux bien aller prendre une douche et accessoirement me brosser les dents elle pourrait s'occuper de cette partie de mon anatomie. Quand je rejoins la chambre elle m'attend nue sous les draps. D'un geste théâtral, tel un matador au milieu de l’arène j’ôte ma serviette de bain et saute sur le lit. Trop excités, nos ébats ne durent que quelques minutes, je lui promets de me rattraper lors de la deuxième mi-temps. Il y aura en effet plusieurs mi-temps, nous passons la journée en alternant micro sieste et gros câlins. En début de soirée nous sommes affamés, nous rejoignons Émilie et Pierre, ce dernier a dormi tout l’après-midi et lui aussi est affamé. Nous partons en ville et nous arrêtons à la première pizzeria sur notre route. Alors que nous mangeons un homme nous aborde. Il est en repérage pour le tournage d'un film se situant dans la capitale russe, il trouve que nous formons de jolis couples et nous demande si l'on serait intéressé pour de la figuration. De plus la production est franco-russe, mon accent français est un atout, il aurait peut être un petit rôle pour moi. Il nous donne rendez-vous le lendemain matin dans un café du centre ville pour rencontrer une partie de l'équipe de tournage. Nous passons le reste de la soirée à parler de cet heureux hasard, nous voyant déjà dans une grosse production cinématographique. Fatigués par les excès de la veille il est à peine vingt-trois heures quand nous rejoignons nos lits respectifs, j'embrasse Tania et lui souhaite une bonne nuit.

- Bonne nuit mon bel acteur, me dit-elle en se pendant à mon cou dans une imitation de starlette hollywoodienne. La tête pleine de tous ces heureux présages, je m'endors, trop fatigué pour être euphorique mais ayant le sentiment d'une chance insolente. Une dernière pensée me vient avant de basculer dans un sommeil profond «en bien ou en mal la roue tourne, elle tourne toujours».


Le lendemain, nous nous levons tôt pour être à dix heures au rendez-vous. Le temps estival est doux et le ciel d'un bleu sans nuages, les filles sont en jupette à fleurs presque assorties. Main dans la main, nous marchons d'un pas soutenu ne voulant pas être en retard pour cette rencontre atypique. Ce n'est pas tous les jours que l'on vous propose de tourner dans un film. A quelques mètres du café on nous hèle:

- Eh, les amoureux, ici ! Le mec d'hier soir nous fait de grands gestes de l'autre côté de la rue face au café.

- Bonjour monsieur, lui dis je en lui tendant la main.

- Pas de monsieur ici, moi c'est Jean-Jacques mais appelez moi J.J., j'étais pas sûr que vous veniez mais quand je vous ai vu arriver au bout de la rue j'ai su que mon choix était le bon, vous êtes magnifiques, de vrais petits clichés d'amoureux, j'adore. Il parle à une vitesse hallucinante, lui aussi a dû goûté les produits locaux. Pour l'instant vous vous mettez en face, en terrasse, vous vous installez et vous sirotez une limonade, on va faire quelques plans et régler les éclairages. Après une petite heure de sirotage et de bavardage J.J. revient vers nous.

- C'est bon les jeunes on a réglé tout le matos et fait quelques prises de vue, revenez vers quatorze heures on tournera avec les acteurs.

- OK à cet après-midi J.J.

En attendant le début d’après midi nous flânons dans les rues du centre ville en grignotant un sandwich . Vers treize heures trente nous retournons dans la rue du tournage. L'équipe est déjà en place, mais l'acteur principal se fait attendre nous signale un assistant. Il nous demande de retourner nous installer à la même place que ce matin .

Nous patientons encore une heure avant qu'un attroupement se forme présageant de l'arrivée de l'acteur vedette. Je le reconnais aussitôt pour l'avoir déjà vu dans plusieurs films français. Il a aussi fait les gros titres récemment pour un supposé exil fiscal en Russie dont il se défend en disant beaucoup travailler dans ce pays magnifique et accueillant. Nous voyons le réalisateur lui expliquer la scène en s'approchant de la terrasse du café. Ils nous rejoignent bientôt.

- Bonjour tout le monde, nous dit l'acteur français d'un ton enjoué qui laisse supposer que le repas de midi était bien arrosé.

- Bonjour, répondons nous en chœur.

- C'est toi le français ? C'est quoi ton nom ? Demande le réalisateur d'un ton sec en me désignant.

- Paul Grotoski monsieur.

- OK Paul, vous buvez un café en terrasse, il arrive, il passe à côté de toi, s’arrête et te demande du feu. Tu lui réponds « désolé je ne fume pas »,il rentre et claque la porte du café. Fin de scène.Tu vas y arriver Paul?

- Oui je pense .

- T'es pas là pour penser tu fais ce que je dis, point barre.

- OK pas de problème.

- Ne sois pas aussi désagréable avec lui. C'est ma faute s'il est énervé, on est un peu à la bourre, s'excuse l'acteur en nous gratifiant d'un clin d’œil.

- Allez tout le monde en place, hurle le réalisateur.

  Au bout d'une heure de tournage et une petite vingtaine de prises le réalisateur annonce la fin du tournage. Toute l'équipe applaudit, nous faisons de même. Nous apprenons en discutant avec l'assistant du réalisateur que c'était en effet la dernière scène du film, nous sommes conviés demain soir à la grande fête de fin de tournage.

- Tenue de soirée exigée, nous dit-il, il y aura tout le gratin moscovite. J'aurai aussi quelques papiers à vous faire signer, rapport à vos heures de tournage et votre droit à l'image. Nous enverrons une voiture vous prendre à votre hôtel. A demain les amoureux, moi il me reste encore un peu de boulot.

  Nous prenons congé et rentrons vers l'hôtel. Sur la route je remarque que mes camarades ne partagent pas mon enthousiasme à l'idée de passer une soirée aux frais de la production. Pierre regarde ses pieds en marchant d'un air morne, alors que Tania et Émilie, à quelques mètres devant parlent à voix basse comme deux conspiratrices. Une fois à l’hôtel, Tania me rejoint dans ma chambre

- Nous allons partir, me dit- elle d'un air abattu mais décidé.

- Déjà, pourquoi ?

- Je t'apprécie beaucoup, mais je ne t’ai pas vraiment dit toute la vérité au sujet de notre présence ici. Quoi qu'il en soit nous devons partir.

- Dis moi, je peux tout entendre et peut être vous aider, tu as l'air désespéré et Pierre aussi, il est resté muet toute la fin de journée .

- Nous nous connaissons à peine, je ne peux rien te dire.

- Tu en as déjà trop dit, c'est quoi tout ce mystère ? Je sais que tu as besoin d'en parler, ça se voit. Fais-moi confiance, ça restera entre nous. Tu sais que tu peux me faire confiance n'est ce pas ?

- Ok, mais il faut qu' Émilie et Pierre soient d'accord. Deux minutes plus tard, ils se tiennent tous trois face à moi dans la petite chambre.

- Nous venons comme je te l'ai dit d'une petite ville quasiment à cheval sur la frontière ukrainienne et russe. Mon père ainsi que le père d’Émilie et Pierre sont des chefs d'entreprise dans le secteur de la construction et de l'exploitation des sols. Ils travaillent en majorité avec des clients et des capitaux russes. Depuis quelques années, mais surtout depuis les événements récents survenus à la frontière, ils subissent de nombreuses pressions politiques. Pour simplifier, ils doivent choisir entre les intérêts économiques qu'ils ont en Russie et ainsi signifier leur soutien aux pro-russes qui veulent annexer une partie de cette région ukrainienne ou soutenir une partie du gouvernement ukrainien qui souhaite se rapprocher de l'Union Européenne et lutter contre l'invasion russe. Disons qu'ils ont choisi un compromis en continuant de travailler pour des intérêts russe mais en livrant toutes les informations sur les projets russes aux ukrainiens. Si les russes découvrent ce double jeu nos parents pourraient tout perdre et je ne parle pas que de leur entreprise. Craignant pour notre sécurité, ils nous ont envoyé étudier en France. Hélas la situation s'est encore dégradée. Il y a quelques jours mon père nous a fait rentrer en Russie sans que quiconque ne le sache, il pense que si les choses venaient à empirer, personne ne penserait à nous chercher ici sous le propre nez de nos ennemis. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous montrer à cette soirée et encore moins signer un contrat ou quoi que ce soit. Nous ne savons pas qui sera présent à cette soirée, nos parents sont proches de différents cercles politiques russes et ukrainiens, nous ne pouvons prendre le risque d’être reconnus.

- Vous êtes en quelque sorte en exil ici, c'est fou ! Je n'aurais jamais imaginé ça, on dirait un roman d'espionnage. Je suis vraiment désolé pour vous, lui dis-je en la prenant dans mes bras alors que l'émotion la submerge suite à l'évocation de son père resté au pays.

- Beaucoup ont déjà tout perdu, me dit Pierre d'un ton las, nous sommes plutôt chanceux pour l'instant.

- Très bien nous n'irons pas à cette soirée, ça ne me pose aucun problème, dis-je.

- Tu dois y aller, me répond Émilie autoritaire, ils ne doivent pas chercher à nous retrouver. Tu y vas, tu leur dis que nous cédons notre droit à l'image et que nous avons du partir précipitamment en Roumanie pour raison familiale, ma mère est malade . Et nous, nous partons, conclut-elle en fixant durement Tania.

- Oui, nous devons partir, dit Tania résignée, fuyant mon regard.

- Vous êtes un peu paranos les filles, personne ne sait que vous êtes ici, restez, nous partirons ensemble dans quelques jours.

- C'est hors de question, c'est notre vie et celle de notre famille qui est en jeu, tu ne peux pas comprendre. Nous n'allons pas prendre le moindre risque pour une amourette de vacances, me lance Émilie d'un ton cinglant.

- Elle a raison, dit Tania , on a passé un bon moment mais c'est fini, adieu.

Ils quittent tous les trois ma chambre. Je fume une cigarette à la fenêtre et les regarde s'éloigner dans la rue.

Annotations

Vous aimez lire Razous12 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0