Le lendemain, en me rendant sous la douche au bout du couloir, je vois la femme de ménage qui lave à grandes eaux la chambre de mes trois amis, désormais vide. J’erre, sans but, toute la journée, suivant les déambulations des groupes de touristes sans vraiment regarder la beauté de la ville qui m'entoure. Je ne comprends pas comment la perte de Tania, après une rencontre de quelques jours à peine, peut m'affecter autant. Je patiente donc jusqu'à la fin de l’après-midi dans cet état de songe brumeux, me demandant si je vais me rendre à cette soirée. Je finis par penser que cela me changera les idées et que réflexion faite j'aurais pris la même décision que mes trois amis. La vie est cruelle, je ne sais pas si je pourrais endurer le quart de ce qu'ils ont vécu. Par respect pour eux, je ne vais pas me morfondre sur mon sort de pauvre amoureux pathétique alors qu'à quelques kilomètres et dans le monde entier, des vies se jouent sur des coups de dés lancés par des hommes puissants se prenant pour Dieu et ayant l'avenir de millions de personnes entre leurs mains. J'allais me rendre à cette soirée, profiter de la chance de n’être personne, de n'être pris dans les mailles d'un quelconque filet tendu par le destin et dont les enjeux me dépassent. Je suis et je resterai un athée de la vie. Pas de grand dessein cosmique pour moi. Je vais me rendre à cette soirée, me bourrer la gueule jusqu'à plus soif et lèverai mon verre à leur santé en leur souhaitant un avenir meilleur, ainsi qu'à leurs familles, leurs compatriotes et à tous ceux pris dans les mailles de ce putain de filet dressé par les hommes ou une hypothétique entité supérieure. Amen mon pote.

Je rentre à l’hôtel pour me préparer. En cherchant une paire de chaussettes propre je découvre une petite gélule bicolore. D'où ça sort ça?... Ah oui, la part d’Émilie. Elle n'avait pas souhaité la prendre lors de notre sortie en club, se sentant déjà dans un état second. A peine une minute de réflexion et je la fais disparaître tout rond dans ma bouche. Personne ne me connait ce soir, je n'ai rien à prouver et pas la moindre envie de me tenir comme il faut alors autant jouer le jeu à fond. Une demi-heure plus tard, en pleine montée de produits chimiques, je me trouve dans un taxi affrété par la production du film direction un grand palais loué pour l'occasion.

Quel monde, me dis-je en arrivant . Au moins une centaine d'invités, plus une bonne trentaine de serveurs déambulant avec des plateaux chargés de nourriture ou de verres de champagne. J'attrape directement deux coupes au premier serveur se trouvant à ma portée, en vide une d'un trait pour ôter l'engourdissement qui a saisi ma langue et ma bouche durant le trajet en taxi. J’essaie de me détendre sentant un léger délire paranoïaque pointer son nez. Je suis seul au milieu de tous ces gens. Un peu mal à l'aise, j'ai l'impression que tout le monde me regarde, je n’arrête pas de serrer les dents et de me mordiller la lèvre inférieure. Les produits locaux sont décidément bien bon mais un peu trop puissants quand on les prend à jeun. Au loin je distingue le réalisateur. Sentant sans doute mon regard se poser sur lui il me fait signe d'approcher.

- L'amoureux, me dit-il, comment ça va ?

- Bien et vous ?

- Beaucoup mieux, je tenais à m'excuser, j'ai été un peu dur avec toi pendant le tournage. Pour me faire pardonner je vous ai mis à notre table. Où sont tes amis ?

- Ils ont dû partir précipitamment, problèmes familiaux.

- Quel dommage, ils vont rater une superbe soirée. C'est un peu guindé pour l'instant mais tu vas voir ça va se détendre plus tard. Moi je suis déjà bien détendu , dit-il en partant d'un rire franc . T'as l'air nerveux, reprends une coupe, on passe à table dans une demi-heure. Le timing est serré, des invités de marque doivent arriver, mais après le repas je te promets ça va être la fiesta.

A ce moment-là aucun de nous deux ne pouvait se douter à quel point la fiesta tant attendue allait subir une fin prématurée.