Les jours précédant mon intervention télévisée sont très agréables. Le matin, je me lève vers dix heures, je reste de longues minutes sous la douche chaude. Tout en m'habillant, j'allume le grand écran plat de la chambre, café et cigarette fument sur la table basse. Une chaîne d'informations en continue m'apprend que le prix du baril de pétrole a fortement chuté entraînant l'endettement de plusieurs pays du Golfe persique mais, bonne nouvelle, la baisse des prix des billets d'avion. Le clip hommage à la pop star décédée lors d'une émission de télé réalité en Thaïlande bat tous les records de visionnage sur youtube à égalité avec les extraits de la sextape d'un footballeur. La situation en Russie reste inchangée, soutenu par une partie de l'armée un ancien chef militaire a tenté de prendre le pouvoir par la force sous prétexte de le rendre au peuple ; retour au calme après quelques heurts dans la capitale. On vient de découvrir une nappe d'eau souterraine sur Mars mais celle-ci a été contaminée par la batterie d'un module d'exploration perdu il y a plusieurs années, l'eau martienne est désormais impropre à la consommation et si elle contenait une forme de vie il n'en existe aujourd'hui plus aucune trace. J'éteins la télé. Vers midi, je descends au restaurant de l'hôtel pour déjeuner avec le Docteur Fayraud. Je mange comme quatre alors que celui-ci m'assaille de questions-pièges en préparation de mon entrevue télévisée. La comparaison avec une bête que l'on engraisse avant d'aller à l'abattoir ne me dérange même pas, je profite. Je réponds à toutes les sollicitations et toutes les exigences du Doc qui s'improvise coach en médiatisation.

- Éludez les questions directes sur le meurtre, restez dans le vague, me répète t-il. Vous étiez déprimé, le mélange médicament et alcool vous ont plongé dans un délire paranoïaque passager .

- Je connais ma leçon, je ne me rappelle plus vraiment des événements précédents l'assassinat, je buvais tous les jours.

- En ce qui vous concerne Mr Grotoski le mot « assassinat » est banni, nous parlerons désormais d'un « Épisode Violent Ayant Entraîné La Mort ».

- On peut inventer un acronyme aussi, j'ai été victime d'un E.V.A.E.L.M , dis-je d'un air faussement attristé .

- N'en faites pas trop et arrêtez avec cet humour narquois, c'est insupportable et contre-productif, s'emporte t-il. Nous prendrons le petit déjeuner ensemble demain matin, nous devons être au studio d'enregistrement à onze heures.

- Le colonel nous accompagne je suppose ?

- Non, juste vous et moi, le colonel ne doit pas trop apparaître à vos côtés. Il est primordial que l'opinion et les journalistes ne croient pas à une opération de communication orchestré par les autorités.

- Comment pourraient-ils croire cela ?

  Le Doc me jette un regard noir.

- Trop d'ironie ? Ok je la ferme.

- J'ai activé vos comptes sur les réseaux sociaux, jetez-y un coup d’œil. Ne sortez pas de l'hôtel, couchez-vous tôt et ne buvez pas trop, soyez en forme demain matin.

- Oui colonel ! Euh pardon, Docteur.

Il part sans même dire au revoir. Je remonte dans ma chambre, attrape une bière dans le mini-frigo et rallume la télé .