Chapitre I

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Nous étions en juillet. Alors que l’ennui s’emparait peu à peu de moi à force de lire inlassablement des romans policiers – l’une de mes principales occupations de ces vacances –, mon attention se porta particulièrement sur une brochure de mon porte-revue. Curieux, je la pris et en feuilletai les premières pages, puis, subitement, mon regard s’arrêta sur un article intitulé :

« CET ÉTÉ, AU MUSÉE D’ORSAY, EXPOSITION INÉDITE SUR LES AUTOPORTRAITS »

Intéressé, je lus la suite qui me plut davantage. Cependant, je constatai que la fin de cette exposition s’achevait dans les jours à venir, et comme mes passe-temps me lassaient, je décidai de sortir et de découvrir cette exposition aujourd’hui. Rien de tel pour changer ses habitudes et profiter du bon temps, d’autant plus que la journée s’annonçait ensoleillée sur la capitale. Mais si j’avais su les conséquences qui suivirent, j’aurais préféré m’abstenir et rester dans mon appartement à bouquiner.

Après quelques promenades dans Paris qui me conduisirent au musée – bondé de monde ! –, je pus enfin entrer, nageant difficilement à travers la foule qui déferlait de tout part. Les grandes vagues évitées, j’arrivai donc à destination, et commençai la visite.

*

Au fil de l’exposition, je ne pouvais m’empêcher de m’arrêter devant certains tableaux, tellement ceux-ci étaient extraordinaires, fascinants par leur jeu des couleurs et du pinceau ! Mais de tous ceux qui m’avaient plu, l’un d’eux m’avait particulièrement intrigué. Il s’agissait de l’autoportrait en huile sur toile d’un peintre renommé du XVIIème siècle : George Caneton. Comme ce nom éveillait ma curiosité, je lus la petite notice qui figurait sous l’œuvre d’art. J’appris qu’il avait découvert la peinture grâce à un certain Charles-Antoine Lecoq, avant d’être envoyé dans une école des beaux-arts où il aura fait la connaissance de celui qui deviendra son meilleur ami – mais également son pire ennemi –, Nicolas Poussin, peintre du célèbre tableau L’enlèvement des Sabines. L’autoportrait présenté avait été peint en 1619. George Caneton pensait ainsi assurer un véritable succès, mais en réalité tout le contraire s’était produit. En effet, son œuvre avait très vite fait polémique, car elle dégageait une sensation mêlée d’effroi et de crainte. À l’inverse, l’autoportrait de son fidèle ami avait connu une excellente critique. Outré, et selon certains, trop capricieux de ne pas reconnaître la défaite, George Caneton s’en était pris aussitôt à son camarade, et de violentes disputes avaient alors éclaté entre les deux peintres, notamment pour des raisons de jalousie. Mais, tout au long de ma lecture, le passage suivant m’avait frappé : « Mis à part être peintre, George Caneton s’intéressait aussi à la magie. Aux dires de certains, il s’en serait servi pour améliorer son autoportrait afin de se venger du manque de reconnaissance pour son tableau, mais également pour maudire la descendance de celui qui a volé sa fiancée. Plus triste souvenir que Caneton gardera toujours au fond de son cœur. Voilà pourquoi aucun instant de joie n’est ressenti sur ses œuvres. De cet incident il connut une fin tragique et mourut sans héritier. »

Je restai un instant morose, puis m’attardai sur ce fameux « autoportrait ». Et rien qu’au premier coup d’œil, je ressentis un malaise. Le peintre, de ces yeux bleu sombre qui vous transperçaient du regard, paraissait sérieux. Trop sérieux. Ses cheveux bruns et sa barbe noire coupés courts semblaient très droits et symétriques. En contraste complètement opposé, sa chemise était d’un blanc immaculé. Éclatante. Le personnage semblait réel et se tenir devant moi, comme s’il avait ressuscité ! D’ailleurs, il tenait dans sa main droite un rasoir, et sa main paraissait tellement crispée sur l’objet qu’on pouvait penser que le peintre allait se jeter sur vous, prêt à vous poignarder avec ! Et de tout ce portrait glacial se distinguait un petit rictus, symbole d’une vengeance terrible dont pourrait être victime le prochain spectateur. Et en l’occurrence, moi. Angoissé, je promenai mon regard sur un autre tableau pour chasser cette pensée affreuse de mon esprit.

*

Vers le énième autoportrait que j’observais, je regardai l’heure. Six heures moins le quart. Un sifflement lointain parvint tout à coup à mes oreilles. Je crus reconnaître l’air léger de Pierre et le Loup. Intrigué, je tournai la tête. J’aperçus alors le concierge s’acheminer à petits pas vers l’autoportrait où je m’étais arrêté tout à l’heure, poussant tranquillement devant lui son chariot de ménage. Bon sang ! J’avais oublié que le musée allait bientôt fermer ! Ressaisi, je suivis le chemin de la sortie, puis quittai les lieux en toute hâte. J’atterris ainsi sur l’esplanade du musée. Persuadé de me retrouver seul, je constatai avec étonnement la présence de quelques touristes étrangers qui flânaient encore sur la place. Et, curieusement, pendant quelques instants, j’avais l’impression d’avoir en face de moi une œuvre d’Edward Hopper. Un soleil couchant qui baignait dans un ciel pourpre, et qui éclairait de ses derniers rayons mordorés la rue de la Légion d’Honneur, projetant des ombres zinzolins sur le pavé. J’en profitai quelques instants pour fermer les yeux. Je sentis la douce brise rafraîchissante du soir caresser mon visage. Soudain sept heures sonnèrent. Je rouvris alors mes paupières, et je remarquai que j’étais dorénavant seul. Satisfait de cette journée, je me mis en marche, et m’engageai dans des ruelles de plus en plus sombres qui me ramenaient vers mon appartement, le tintement lointain des cloches de Notre-Dame rythmant mes pas.

Si seulement j’avais su ce qui m’y attendait…

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