Chapitre V
Une fois mon esprit retrouvé, j’étais soulagé d’apprendre que le Démon avait complètement disparu. En revanche, je ne m’attendais certainement pas à me réveiller dans le fin fond des ténèbres. Peu à peu, mes yeux s’habituèrent à l’obscurité, et je me découvris alors torse-nu, menotté sur un matelas mou et crasseux par terre, mes mains recouvertes de sang, les pieds liés et serrée par une courte corde.
Une légère odeur de vin rance chatouilla mes narines.
Au loin, j’arrivai à entrevoir des formes de bouteilles rangées sur des étagères.
Une cave, donc.
J’entendis soudain un grincement. J’aperçus alors un fin rai de lumière s’échapper d’une porte entrouverte. Elle était située tout en haut d’un vieil escalier en bois, visiblement poussiéreux, certaines marches usées, détruites, ou encore rongées par l’humidité. Puis l’ouverture de la porte s’élargit davantage, et une explosion de lumière m’aveugla brusquement.
« Alors la marmotte, bien dormi ? » me lança du haut de l’escalier une voix fluette.
Je levai doucement la tête, plissai les yeux. Non, je n’hallucinai pas. Une haute silhouette se tenait dans le cadre de la porte, bras croisées, jambes tendues et écartées. Impossible de distinguer son visage, l’inconnu était dos à la lumière. Néanmoins il semblait sourire, car seules ses dents étincelaient sur sa face obscure. Il avait l’air apparemment ravi de pouvoir enfin faire la conversation avec moi.
« Combien de temps suis-je resté inconscient ? m’enquis-je, affolé. Et surtout, peut-on m’expliquer pourquoi et comment j’ai atterri ici ?
– Ma parole, mon bon ami, continua-t-il sur le même ton, vous avez dormi quinze bonnes heures. Pour le reste, je pensais que vous étiez au courant ! Vous ne vous rappelez pas vous être débattu avec la police ? Et le rasoir ? Ça ne vous rappelle vraiment rien ?...
– Mais qu’insinuez-vous à la fin… ?
– M’enfin, mon vieux : vous avez assassiné le commissaire Serge Latour ! »
À ce moment-là mon sang ne fit qu’un tour.
Puis soudain, comme par magie, tout me revint en mémoire.
« Maudit Démon !, rugis-je, C’est donc vous qui orchestrez tous mes malheurs depuis le début !
– À vrai dire, vous vous les êtes créés tout seul...
– Pardon ?!
– Vous l’avez affirmé vous-même tout à l’heure : vous avez conclu un pacte avec le diable sans le savoir. Quelle chance pour vous !
– Vous plaisantez ?
– Ai-je l’air ? »
Il poussa alors un rire démoniaque à en crever mes tympans, dévala vivement les marches, provoquant un horrible déferlement de craquements. Une fois en bas, il expira bien fort, lâcha un ricanement sinistre, puis reprit sa marche d’un pas lourd dans ma direction, sa respiration bruyante.
Semblable à une respiration animale.
Je frissonnai. Un mélange de peur et d’air froid issu de la pièce parcourut tout mon corps.
Une fois arrivé à ma hauteur, il se pencha vers moi. La lumière éclaira brusquement son visage. Et je pâlis.
Son infâme rictus régnait toujours sur sa diabolique figure. Déjà suffisamment tétanisé, je le devins davantage quand nos deux visages se rencontrèrent de plus près. Des flammes semblaient danser dans son regard de fou. Son éternel rictus laissait alors entrevoir d’horribles crocs oblongs, prêts à me dévorer cruellement. Je sentis son haleine chaude et fétide parvenir jusqu’à mes narines. Je retins un haut-le-cœur.
« Vous avez accepté la montre mon cher ami, reprit-il sur un ton mielleux et menaçant, et la montre signe votre arrêt de mort ! Rappelez-vous M. Paul H., vous devez mourir… »
Je blêmis. Cette phrase, je l’ai déjà entendue dans…
« Votre rêve, M. H., souvenez-vous : vous ne pouvez pas m’échapper ! Vous êtes à ma merci jusqu’à votre dernier souffle !... Quel bonheur, n’est-ce pas ? »
Horreur, oui ! Comment pouvait-il lire dans mes pensées ?!
« Laissez-vous faire, M. H., vous êtes entre de bonnes mains… » ajouta-t-il avec un ricanement sournois. Il joignit ensuite le geste à la parole, et j’aperçus avec fureur d’atroces larges mains rouge sang qui se rapprochaient peu à peu de mon visage. Mais mes yeux ne pouvaient se détacher du pire : cette affreuse rangée de dents immaculées, aiguisées telles des rasoirs, qui effleuraient doucement mon cou…
Je me figeai.
Bon sang, pourquoi ne l’avais-je pas compris plus tôt !
Ce que je croyais être des dents étincelantes vu du haut de l’escalier, c’était en fait la lame d’un rasoir !
Bon Dieu ! Le rasoir de l’autoportrait !
Mon cœur bondit fort dans ma poitrine.
Comme dans mon cauchemar, il voulait m’exécuter… Mais non, ce n’était pas possible ! Depuis quand un cauchemar se réalisait-t-il ?! Je devais me réveiller ! Je devais me réveiller !
Mais il était trop tard.
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