Chapitre VIII

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Je n’en revenais toujours pas.

Mais comment ai-je réussi à en arriver jusque-là ?

Des souvenirs commencèrent progressivement à refaire surface dans ma mémoire.

Je me remémorai l’interrogatoire dans le bureau du commissaire Latour.

Ensuite la révélation de son visage diabolique qui m’avait subitement fait face.

Le Diable en personne !

Mon corps tout entier qui s’était alors effondré à la renverse.

Puis mes yeux qui avaient broyé du noir.

Le noir complet.

L’obscurité totale.

Jusqu’à mon réveil sur un vieux matelas bien abîmé par terre, dans une espèce de cave.

Et le retour du Démon.

Mes souvenirs se précisèrent davantage.

Le rasoir étincelant effleurer mon visage.

Mon cou.

Puis la sensation d’une entaille dans ma gorge.

Petite, tranchante, et légèrement profonde.

Ensuite, un incessant flot de sang.

Mon agresseur, quant à lui, s’était délecté de ce spectacle.

Son rictus plus sardonique que jamais.

Plaqué sur son visage répugnant.

Enfin, plus rien.

Le trou noir.

Le vide.

Le néant.

Je n’avais jamais su combien de temps j’étais resté inconscient.

Cinq minutes. Peut-être trente.

Une heure.

Une éternité.

Mais soudain, un miracle s’était produit.

Sans doute Dieu avait-il été témoin de mon injuste torture depuis sa place, dans l’Au-Delà.

Et si c’était le cas, je ne le remercierai jamais assez du plus profond de mon cœur.

Je promettais également de me rendre plus souvent à l’église à l’avenir.

Si je ressortais sain et sauf de toute cette affaire, bien sûr.

Car j’étais revenu à la vie in extremis par chance une fois.

Mais l’occasion ne se représentera peut-être pas une deuxième fois. Ni une troisième.

Néanmoins, si j’avais su les évènements qui allaient s’ensuivre, j’aurais eu tendance à penser que la réciproque pourrait également s’avérer juste.

Je me réveillai donc en sursaut, trempé de sueur.

Comme au sortir de mon rêve.

Mais là je semblai définitivement convaincu que l’assaut dont j’avais été la victime fut bel et bien réel.

Un environnement complètement noir s’offrit alors à mes yeux.

Les Ténèbres.

Pendant un court instant je sentis la panique me gagner rapidement.

Serais-je devenu aveugle pendant tout ce temps ?

Malgré les frissons qui parcouraient mon corps, je tentai de me rassurer.

Au moins si c’est le cas, tu ne le verrais plus, Lui. Ce Monstre.

Je cessai peu à peu de tressaillir.

Le soulagement succéda ainsi à la panique.

Mes yeux s’accommodèrent de nouveau à l’obscurité.

Je retrouvai petit à petit ma lucidité.

J’étais enfin redevenu moi-même !

Normal !

Jusqu’à ce que mon regard découvrit la plaie séchée faiblement ouverte, qui ornait mon cou et avait taché de sang mon torse.

Mon cerveau se mit alors à recevoir une importante alimentation de vaisseaux sanguins.

Ma tête parut prête à vaciller une nouvelle fois.

Je me sentis encore prêt à m’évanouir, les yeux mi-clos.

Mon corps commençait peu à peu à basculer en avant, quand mes bras menottés s’étendirent brusquement dans les ténèbres, comme s’ils avaient refusé de me laisser tomber.

Mes mains s’étaient alors fortement enfoncées dans le sol.

De la terre, donc.

Une cave construite sur de la terre.

Aïe !

Je relevai difficilement la tête.

Puis je la secouai doucement.

Un objet long et fin scintillait devant mes yeux.

Je réalisai alors la découverte de ma deuxième chance « divine ».

Sauf si mon imagination me jouait un mauvais tour, j’avais bien en face de moi l’arme du crime !

Le rasoir !

De la joie rayonna sur mon visage livide.

Cet odieux et stupide Démon n’avait donc même pas remarqué qu’il avait fait tomber par mégarde son affreux rasoir après notre affrontement !

Merci encore à toi Dame Chance !

Et bien sûr à toi aussi Dieu, je ne t’oublie pas !

Ma réflexion de tout à l’heure me revint tout à coup à l’esprit.

La chance m’avait bien souri une première fois avec ma miraculeuse résurrection.

Puis une seconde fois avec la découverte du rasoir par terre.

Donc pourquoi pas une troisième fois ?

Comme dirait le dicton, jamais deux sans trois, n’est-ce pas ?

Ragaillardi, je saisis mon trésor, et après maintes tentatives, réussis à couper la corde qui liait mes chevilles, aidé également de mes dents.

Je tentai ensuite de me redresser.

Boum !

Heureusement que le matelas est là !

Je recommençai à plusieurs reprises, et y parvins tant bien que mal.

J’observai alors la pièce.

Ouf ! Rien n’avait changé.

Tout semblait comme avant.

Je poussai un soupir de soulagement.

Pendant un moment, j’avais presque cru être devenu fou.

Je claudiquai ensuite pieds nus vers l’escalier en bois poussiéreux (il s’avèrera également pourri), gravis avec prudence les marches plus usées les unes que les autres, enfin atteignis le sommet.

Une première épreuve de réussi, songeai-je.

La suivante demeurait la porte.

Toujours avec précaution, je saisis la poignée sale et la tournai délicatement dans un sens. Puis je la poussai.

Je fermai les yeux, crispai ma bouche, fis une grimace.

Mon cœur bondissait fort dans ma cage thoracique.

Bon Dieu ! Faites qu’elle soit ouverte.

J’entendis un faible cliquetis.

Je rouvris les paupières.

Mon pouls ralentit.

La porte n’était pas fermée.

Merci encore beaucoup mon Dieu !

Je poussai à nouveau un soupir.

Deuxième épreuve de réussi !

Ce fut plutôt simple finalement, me rassurai-je.

J’atterris alors dans un couloir plutôt sombre, mais davantage éclairé que la pièce précédente.

Soudain j’aperçus au loin une lueur qui provenait d’une porte.

Je souris.

Enfin quelqu’un qui pourra m’aider !

Puis je me ravisai.

À moins que cela ne soit…

Je frissonnai et n’osai même pas prononcer son nom, tant la peur m’envahit.

Je tentai de me calmer derechef.

Je me détendis donc, expirai un bon coup, fermai les yeux.

Voilà. Comme ça. Tout doux. Calme.

Une fois rasséréné, je m’assurai plusieurs fois que la voie était libre.

Puis je me lançai à pas de loup dans le corridor vers la lumière.

Je découvris alors que le couloir que j’empruntais actuellement pieds nus paraissait entièrement recouvert de planches de bois lambrissé, du plancher au plafond.

Comme une grande cabane ou un grand chalet.

Un chalet-cabane muni d’une cave, donc.

Intéressant…

Soudain j’entendis un léger grincement.

Je me mordis la lèvre.

Une cabane-chalet qui grince. Dommage.

T’ai-je trop imploré mon Dieu pour recevoir cet obstacle ?

Je me ressaisis, tendis l’oreille.

Rien. Sauf le silence.

Donc pour l’instant tout allait bien.

Ce n’était alors pas le moment de flancher.

Je repris ainsi ma marche, déposant la pointe de mes pieds le plus délicatement possible sur le parquet.

Une bonne dizaine de minutes plus tard, je fus enfin arrivé à moins d’un mètre de ma destination et m’immobilisai, commençai à réfléchir. La porte était entrouverte. Pas la peine d’utiliser la poignée. Je souris et penchai la tête. Mère Nature m’avait au moins offert ces grandes jambes. Il était dorénavant temps de les utiliser à bon escient !

J’allongeai alors au maximum ma jambe droite, gardant le plus possible l’équilibre.

J’atteignis presque le bout de la porte.

Déçu, je fis une nouvelle tentative en me penchant davantage en arrière.

De la sueur perla à mon front, effleura mes paupières.

Je clignai des yeux, tira la langue.

Le gros orteil de mon pied droit touchait quasiment l’entrebâillement, quand la porte grinça subitement et faillit me faire tomber à la renverse.

Je demeurai paralysé.

Bon sang, pourquoi n’avais-je pas vu ce maudit chat !

Anticiper, toujours anticiper ! Ma tante me l’avait toujours dit.

Gagné par la panique, je me plaquai dans la précipitation contre le mur, dans l’obscurité.

Et là, Dame Chance me secourut de nouveau !

La porte avait touché sa cale quand le chat l’avait ouverte.

J’expirai longuement.

Encore un peu et j’aurais été complètement à découvert !

Je me trouvais ainsi dissimulé derrière la cloison. De là, je pouvais doucement tourner la tête à gauche, et je vis alors une petite salle de bain dans l’entrebâillement de la porte.

Et là je l’aperçus.

Pile dans ma ligne de mire.

Je sentis une vague d’excitation monter en moi.

Ah ! Quel bonheur de pouvoir observer son agresseur sans qu’il puisse vous voir !

Je distinguai même son visage sur le miroir.

Ce visage rond rempli de bonhommie, et de crème à raser ; cette fine et courte moustache située entre un gros nez retroussé et de petites lèvres tendues ; de larges sourcils épais sous un propre crâne chauve…

Je restai hébété.

Bon Dieu ! Georges ! Mon Gentil et Bon Georges ?!

Pas possible !

À moins que cette satanée Créature des Enfers se soit emparée du corps de mon ami !

De la rage commença à bouillir au tréfonds de mon être.

Tu ne paies rien pour attendre, sale Monstre !

Prépare-toi à retourner dans ton antre de la géhenne !

Soudain, un phénomène inexplicable se produisit.

Je clignai des yeux. Les frottai encore et encore.

Non, je ne rêvai pas.

En quelques fractions de secondes, je vis le reflet du visage de mon ami se transformer.

Et je redécouvris alors avec effroi l’abomination contre laquelle j’avais dû lutter plus tôt.

Cette figure démoniaque illuminée de ce sempiternel rictus abject.

Ces flammes dansantes, davantage plus grandes et lumineuses, qui brûlaient dans des pupilles dilatées d’un noir profond.

Ce nez rouge sang crochu à la pointe tranchante.

Ces crocs noirs allongés, toujours disposés à me déchiqueter vivant.

Lucifer ! Belzébuth !

Le Diable en personne.

Je l’ai enfin en ligne de mire, et il ne peut pas me voir !

Et à ses pieds, son ignoble cerbère domestique dans le corps d’un chat. Comment l’appelait-on déjà ?

Ah oui !

Raminagrobis.

Satan et Raminagrobis, quel joli couple !

Mais là, il ne pouvait plus m’attaquer aussi sauvagement que tout à l’heure.

Oh non !

Car cette fois-ci j’étais armé !

Et j’étais maintenant prêt à répondre sans merci.

Le poing gauche levé, la main droite armée du rasoir, je donnai un grand coup dans la porte et fonça droit vers ma cible, hurlant une sorte de cri animal.

J’arrive mon ami ! Je vais te sauver de ce Démon !

Et à partir de là tout se déroula très vite.

La mine atterrée de Georges recouverte de crème à raser.

Le chat qui me faufila entre les pattes et me fit trébucher.

La lame du rasoir en avant qui m’échappai des mains.

Le parquet.

Le noir.

Le néant.

Ainsi je n’entendis pas la porte se détacher brusquement de ses gonds, ni l’arrivée de la police venue nous secourir quelques temps plus tard.

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