Chapitre 16 — Emilie en nage vers l’île

3 minutes de lecture

La petite émergea. Dans l’eau, surtout salée, tout vêtement devient poids mort… J’aurais au moins pu laisser mes chaussures, se dit-elle. Elle les dégagea d’un coup d’orteil. C’était plus froid que prévu. Il n’y avait pas une seconde à perdre, l’ange ne resterait pas éternellement. L’enfant esquissa un crawl, ses muscles protestèrent. Elle dut se contenter d’une brasse plus sage, autant économiser ses forces. Il y avait une bonne distance à parcourir, trois-cents mètres au moins, peut-être quatre. Qu’importe, à la brasse Emilie était infatigable. Cette année aux jeux sportifs de l’école, elle avait tenu cent-treize longueurs d’affilée et détenait le record de toutes les cinquièmes.

Pourtant, les minutes passant, Emilie s’aperçut que quelque chose n’allait pas. Ses membres s’engourdissaient… elle ne pensait pas que la température de l’eau jouerait autant. Une eau glaciale qui lui brûlait le corps et la rendait de moins en moins agile. Regardant derrière, elle fut surprise du peu de distance parcouru : à peine la moitié ! Souffle court, corps transi, la petite ne lâcha pas prise et nagea de plus belle. Patiemment, mètre après mètre. Que faire d’autre ? Surtout, ne pas paniquer et garder son souffle.

Emilie s’imagina à la piscine, tout le monde autour l’acclamant. C’était le concours inter-collèges, elle sidérait les copains-copines en égalant la championne en titre. Plus que quelques longueurs pour finir première… c’était l’ébullition. Les élèves s’étaient maquillés son prénom sur le visage, brandissaient des pancartes, et des chaînes d’holoscope couvraient l’évènement. L’énergie venant à manquer, elle ajouta l’ensemble des professeurs et même le directeur.

Seulement, tout ça ne calmait ni la douleur ni la fatigue. Les admirateurs s’effaçaient… L’enfant sentait sa brasse moins efficace, se demanda si elle n’était pas prise dans un courant. Ses stars préférées vinrent grossir le rang. Stevie Jongho, Lynda Chandler, le beau Christophe Shavert l’encourageaient à leur tour… Elle ne voulait pas les décevoir mais savait qu’aucun d’eux ne pourrait l’aider. Si elle se noyait, tous la regarderaient sombrer sans réagir. Peu de temps s’était écoulé, elle avait pourtant le sentiment d’être partie depuis une éternité. La forme angélique, toujours présente, semblait s’être encore allongée, à moins que ce ne soit un délire de l’esprit. A moins que tout cela, en son entier, ne soit qu’illusion. Ses reflets de lumières bleues et dorées étaient plus beaux que jamais. Si elle n’atteignait pas l’île, au moins partirait-elle sur une belle image.

Non, impossible. L’ange était là, devant elle. Il allait la sauver. Dans un instant il s’envolerait et la porterait sur la terre ferme.

Mais il ne bougeait pas. Peut-être était-ce un Leprechaun déguisé en divinité ? En ce cas, là elle était mal. Ce genre d’esprit de la nature tend des pièges mortels aux humains. Et puis non, ça ne pouvait être qu’un ange. On ne peut se déguiser aussi bien. Mais alors pourquoi restait-il planté là à la regarder, elle, à la limite de l’agonie ?

Etait-ce son destin de périr ainsi en eau froide et sombre ? Bien au sec, l’idée aurait sans doute paru charmante. Désormais, l’éventualité était moins plaisante. La petite fille sentait ses forces l’abandonner. Même faire la planche ne serait pas une solution, sans bouger elle gèlerait encore plus vite. A présent ses jambes ne remuaient presque plus, seuls ses bras la faisaient encore avancer. Tenir… ne pas couler. La douleur partit peu à peu car Emilie ne sentait plus son corps. Ce n’était pas si désagréable… peut-être la mort était-elle bien plus douce que dans les contes cruels. Au moins voulait-elle à tout prix atteindre le premier rocher avant que la mer ne l’emporte au loin. Qu’elle reste forte jusqu’au bout, même dans l’échec.

Une vague vint à sa rescousse et la rapprocha du sable de son île. A peine consciente, la petite ne savait même plus si elle se trouvait immergée ou sur la terre ferme. La mer s’agitait et sa bouche prenait l’eau. Les yeux d’Emilie se fermèrent tandis qu’elle murmurait faiblement :

« Ô mon ange… pourquoi m’as-tu abandonnée… »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alexis Delune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0