Tu l’auras eu finalement ton bouche-à-bouche petite gourde, se dit l’enfant. Sauf qu’elle n’était pas consciente au moment des faits. Tant mieux sans doute, le pêcheur l’ayant sauvée n’étant pas du tout le marin de ses rêves. Barbu, joufflu et boudiné, il avait l’air aussi sympathique que pas attirant. Et il avait l’air très, très sympathique.

Enveloppée dans des habits qui ne lui appartenaient pas, Emilie cligna des yeux. Un brouillard planait encore devant elle.

— Pourquoi t’as fait ça !

Le petit Brian, tout tremblotant, la fixait d’un œil noir. Quel nom à la con se dit Emilie avec affection. Il avait le regard et les paroles que Laurence aurait dû avoir. Le petit frère se tenait près du lit et tenait la manche de sa sœur, comme pour être certain qu’elle ne s’échapperait plus.

— Maman ?

Les sourcils du petit frère se froncèrent davantage. Il aurait voulu que le premier mot de sa sœur soit pour lui, ce qui aurait été légitime. Emilie était confuse de ce réflexe enfantin.

— Je suis là, dit Laurence d’un ton sans émotion.

Emilie passa la main dans les cheveux de Brian, le plus tendrement possible pour lui demander pardon.

— Brian…

Pauvre petit bonhomme, la frousse qu’elle avait dû lui donner. Le brouillard s’était dissipé. Sa maigre famille était là, moins papa évidemment, soit trois personnes, elle comprise. Il y avait aussi une infirmière qui avait l’air très gentille, un médecin aux cheveux blancs, un policier faisant remplir des feuilles au marin. Elle repéra qu’il était marin à son parfum de mer. Doux parfum… En fermant les yeux et en songeant à un bel homme, il restait embrassable. Tout était blanc en cette pièce. Murs, lit, couverture, même ces curieux vêtements qu’elle portait. Au moins espérait-elle que c’était la gentille infirmière qui l’avait déshabillée, séchée et revêtue et non le vieux médecin.

Eh oui, elle l’avait eu son bouche-à-bouche… voilà d’où lui venait cet arrière-goût de poisson pas frais. Un air étranger avait visité ses poumons, lui avait fait cracher l’eau salée qui allait la noyer… la scène n’avait pas dû être bien glamour.

— Toi alors, on peut dire que t’as un ange gardien !

Ça, c’était le médecin. Comment savait-il ?

— Tu as vraiment eu beaucoup de chance, dit la gentille infirmière (elle l’attendait cette phrase). Quand tu es arrivée au bord de l’île, c’était à moitié noyée. Regarde un peu… (il brandit une grande image en négatif) La radio de tes poumons (eh bin, on n’est pas très jolie par-dedans se dit la petite). Monsieur Degrenne pêchait par-là, il a sauté de sa barque juste à temps, t’a sauvé et t’a fait les gestes de premiers secours.

— Pour ça ma grande t’as bu une sacrée tasse ! Dit le sauveur. Tu voulais vraiment aller sur l’île ? ! Dans ce coin l’eau est glacial ! Même les habitués nagent pas sans combinaison.

— J’étais… endormie ?

— Plus oui moins. Après que je t’ai réanimé tu marmonnais des histoires sur un ange et t’arrêtais pas d’appeler ta mère.

Nouveau regard noir de Brian. Qu’y pouvait-elle ?

— Remercie-le idiote au lieu de faire ces yeux ronds, glapit Laurence. Sans lui tu serais morte !

— Merci monsieur.

Le policier lui indiqua un dernier endroit où signer et lui dit que c’était bon. Puis, il dévisagea la mère d’un œil suspicieux.

— Allez je me sauve… bonne journée tout le monde, et toi ma grande sois prudente !

Et le marin de tourner les talons. Emilie aurait voulu parler avec lui, se jeter dans ses bras, le remercier encore, lui faire des bisous. Elle ne put.

— On va te garder jusqu’à demain, dit l’infirmière. T’as eu un gros coup de froid, faut qu’on te remette sur pieds. Le docteur viendra te voir tout à l’heure, vous discuterez un peu. D’accord ?

Elle avait posé la main sur son épaule. Emilie sentait en elle une fibre maternelle intacte. Chouette ! Elle allait être câlinée à l’œil vingt-quatre heures durant. L’enfant approuva de la tête puis regarda maman, attendant une quelconque putain de réaction, quelle qu’elle fut.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Devina Laurence dans les yeux de sa fille. Ton père, il va… (te foutre une de ces roustes ?) être très en colère quand il saura. (Elle s’était rattrapée à temps). T’es une inconsciente ! T’imagines ce qui aurait pu arriver à Brian pendant ce temps ?

Haut-le-cœur du médecin, du policier et de l’infirmière. Laurence s’était trahie.