Chapitre 19 — Benjamin : retour de vol plané

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Folie furieuse à l’hôpital ! Brancards qui s’entassent, secouristes qui hurlent, et pin, et pon, et pinpon, tirlipinpon quel boxon. Le cyclone, baptisé Coralie (mais pourquoi ? !), était toujours en action. Dans tout ce brouhaha, je n’eus aucun mal à filer à l’anglaise. Seul avantage de ma tête de gitan : on m’ignore encore plus que les autres enfants. Par bonheur je n’étais pas si loin de chez moi. Une demi-heure de marche en temps normal, une bonne heure en mon état.

Dans la rue, un petit coup d’œil dans un miroir de vitrine… oh punaise. Bosses, plaies, rougeurs, bleus. Entre Coralie et moi l’histoire d’amour fut brève, intense, violente. Le mariage avait été consommé, le divorce aussi… toutes les mêmes. Elle m’avait baisé, la victime était consentante.

J’étais en vie… forcément puisque je souffrais. La douleur est toujours la preuve du monde réel, et les blessures n’avaient pas fini de m’en faire baver. Je les accueillis comme une bénédiction. Et qu’importe si la durée du plaisir est supérieure à celle de la souffrance, un instant de bonheur suffit à encaisser tous les malheurs du monde.

Devant la maison, j’aperçus une silhouette qui ne m’était pas inconnue. Ami, ennemi ? Vu l’envergure, ce ne pouvait être que lui.

— Ronny ! Toi aussi t’étais dehors par cette tempête ?

— Pas fou non ? J’étais à un concert de white power à la vieille usine avec Franck et Guénios. Y a eu la coupure au troisième pogo à cause que le cyclone y se formait. Alors on est partis. Je suis rentré juste avant le début. Pas toi on dirait.

Et il éclata de rire.

— L’ancienne usine désaffectée ? Je croyais qu’on y donnait des concerts anars.

— Pas seulement. Ils font de tout maintenant.

— Pourquoi pas… une racaille est une racaille, qu’elle soit coco ou facho.

— Dis t’as une de ces touches !

— Et toi tu m’as l’air essoufflé.

— Dès que Coralie a quitté Paname j’ai retrouvé des potos, on est allés foutre le zouk à De Gaulle. Les flics étaient occupés ailleurs. Y a tellement de bordel, on a pu faire tout ce qu’on voulait !

— Et quoi par exemple.

— Des tags, puis on a pété pleins de robots en deux et on a tabassé quelques clochards bourrés.

— Ah bravo.

— Toi non plus t’aimes pas les clochards !

— Justement, je les évite !

— Quand même tu changes, dit doucement Ronny un brin de nostalgie dans la voix. Avant tu nous accompagnais.

— Et oui, je grandis.

Nous étions à présent à l’intérieur, attablés. J’avais préparé deux chocolats chauds… Ronny disait vrai. Les concerts violents, les pogos, tabassages, dégradations, j’avais connu ça avec lui. Et m’en étais vite lassé, trop solitaire pour faire partie d’un gang de rue. Je ne regrettais pas pour autant, surtout pour les clochards, qui pour nous tenaient plus du cadavre ambulant que de l’être vivant. On frappe pour se sentir exister, au fond on n’a rien contre personne. A présent, je frappe moins souvent et plus jamais au hasard. Moi qui ai tendance à voler aux riches, Ronny m’appelle parfois « Robin des bois ». Calmons-nous, je ne redistribue rien.

— Je peux rester un peu ? Ma salope de mère s’est faite une partouze cette nuit, elle m’a enfermé dehors.

— Elle a bien raison, faudrait pas que tu vois ça. Pas de bruit, Zéphir pionce. Au matin son sommeil devient plus léger.

J’aperçus un mot en bas de l’escalier : « jai peur parse quil ya l’oraje. Je dor dans ton li. Tu m’en veu pa ? »

— Je lui avais permis qu’en cas d’attaque nucléaire !

— Elle a peut-être pas fait la différence… Pfff… écrit sur papier. Quelle famille de ringards !

— Pas ringards, vieille école. Puis voilà au moins un matos qui tombe jamais en panne.

Quand on parle du loup on en voit l’agneau… Zéphir, venant de se réveiller, descendit en se frottant les yeux avec des bisous mouillés à distribuer.

— Coucou !

Elle se jeta dans mes bras.

— Pourquoi t’as encore squatté ma chambre !

J’essayai de reproduire le regard de glace de ma mère, le seul qui impressionnait Zéphir. Cela fit son petit effet. Son sourire s’estompa et elle baissa les yeux.

— Moi j’ai moins peur, dans ton lit…

— Je t’ai dit je sais pas combien de fois : question de sécurité. Dans ta chambre c’est verrouillé et surveillé, tu risques rien. Sauf si tu sors. La prochaine fois je programme le truc pour qu’il t’empêche de toucher à la poignée.

— Tu t’es encore bagarré ?

— Comment ça, « encore » ? Ça fait longtemps que je me bagarre plus.

— Et moi alors ? Pas de bisou ?

Ce mec était là si souvent qu’il faisait comme partie des meubles.

— Ronnyyyy !

Elle sauta sur ses genoux, lui fit un petit câlin puis s’installa à table pour finir mon chocolat. On sonna à la porte. Sans doute le paternel qui rentrait bourré et n’arrivait plus à appuyer sa main au bon endroit.

Raté, la police. Trois flics, pas moins.

— Avec toi les emmerdes sonnent toujours deux fois mec, murmura Ronny.

— Tu es Benjamin ? Me demanda l’un des flics.

— Non Zéphir reste assise, viens pas faire des bisous aux messieurs.

— Bah quoi, y zont l’air gentil !

— Finis ton chocolat.

Ils avaient dû prendre mes empreintes à l’hôpital. Oh putain… Mineur retrouvé dans la nuit, blessé, s’échappant une heure plus tard, le tout dans le viseur de l’assistante… C’était la fin du monde.

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