Chp 2 : Kristie
— Le schéma que vous voyez là est le pénis du mâle, nous explique le formateur d’une voix docte en pointant le schéma qui apparait sur l’écran géant de l’amphi.
Suri grimace, les joues rouges.
— C’est pire que je croyais…
— Ce truc est énorme, maugrée-je.
— C’est plus gros en vrai, susurre d’un ton sarcastique une voix masculine et gutturale derrière moi.
Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, choquée par cette intervention. Ce que je vois me sidère.
Un ældien !
Trois mètres cinquante au bas mot. La peau grise, deux cornes et des grandes ailes membraneuses. De longs cheveux attachés en arrière, et des oreilles pointues. Un visage tatoué de marques barbares, à la sauvagerie indescriptible. Une longue cicatrice barre son visage, de sa tempe rasée jusqu’au coin opposé de sa lèvre. Le reste est du même acabit : ce mâle n’est pas torse nu, mais c’est tout comme. Ses muscles puissants luisent sous un plastron en cuir, et ses biceps – qui font la taille de mon tronc, je pense – sont ceints par un espèce de bracelets de… dents.
C’est donc ça, un chasseur ældien.
Je suis assez surprise : je n’imaginais pas ces créatures ainsi. J’imaginais quelque chose de plus monstrueux, de moins… humain.
Ses yeux ambrés se déplacent sur moi et me toisent longuement, sans la moindre gêne, scannant le moindre centimètre de mon corps. Ils s’arrêtent au niveau de ma poitrine, et un lent sourire apparait sur ses lèvres pleines.
— Louée soit Narda. Les candidates ont des formes généreuses, cette année ! ricane-t-il en dévoilant une double rangée de crocs terrifiants.
Je deviens écarlate.
— Mais je… je ne vous permets pas !
— T’es là pourquoi, alors ? Ne me dis pas que tu veux un de ces sang blanc de sorśari !
Je baisse les yeux sur ma tablette.
Sorśari : aussi appelé « haut-ylfe », ou « ylfe des Cours ». Ældiens dont la culture est la plus sophistiquée. Ce sont aussi les plus arrogants et ils participent peu au programme. Les mâles sont généralement disciplinés, froids, déférents envers les femelles. Ce sont les seuls qui ont abandonné la chasse et la consommation de viande, mais ils ont conservé la culture guerrière caractéristique de leur peuple. Ce sont aussi eux qui ont l’apparence la plus humanoïde.
— Oui, ça me paraît bien, un ældien végétarien et déférent envers les femmes, pour changer ! grogné-je à l’adresse du goujat derrière moi. Et de toute façon, je ne suis pas volontaire. Je travaille pour l’Agence.
— Tu dis ça parce que tu n’as jamais goûté au skryll bien raide et gonflé de luith d’un vrai chasseur, rétorque-t-il. Quand l’un des nôtres t’aura empalée et que tu coulisseras en gémissant sur sa queue, tu oublieras tout le reste, ma beauté. C’est toujours comme ça.
Je ne sais plus quoi dire. Aucune réplique ne me vient à l’esprit. D’ailleurs, les mots ne pourraient pas sortir de ma glotte serrée. J’ai du mal à respirer, j’ai chaud. Et cette odeur…
L’ældien penche son visage vers mon oreille.
— Fais pas semblant, petite humaine, murmure-t-il d’une voix rauque. Je sens bien que t’es trempée. Ton parfum suave de femelle remonte jusqu’à moi… t’es pile dans la bonne période pour l’accouplement. Fertile, lubrifiée à souhait. Parfaite pour accueillir un mâle… dans tes deux trous, en même temps.
Je me retourne vivement, pour lui foutre une claque. Mais il est plus rapide que moi. Il saisit mon bras à la volée, et la griffe de son pouce, un véritable couteau, caresse doucement la peau tendre de mon poignet.
— Ne me provoque pas, gronde-t-il en plantant son regard de braise liquide dans le mien.
Je lui renvoie son regard sans ciller.
— Qui provoque qui ? sifflé-je.
Un lent sourire apparaît sur les lèvres bizarrement sensuelles du monstre.
— Toi, je peux te dire que t’auras pas à courir longtemps, à la prochaine Chasse… murmure-t-il, la voix gutturale.
À côté, ma cousine reste mortifiée. Elle a suivi tout l’échange sans oser intervenir.
— Ah ! s’écrie le formateur, flanquée de toute une troupe de jeunes femmes en uniforme de l’Agence. Notre guide est arrivé. Silencieux et discret, comme le grand chasseur qu’il est ! Faites un bon accueil à Varhun de la Meute Sanglante. C’est lui qui va vous expliquer comment se passe la vie sur Vorak.
Varhun. C’était donc lui, qui cherche une femelle pour fonder son propre clan… il peut aller se brosser !
Il déplie sa haute silhouette et descend les marches de l’amphi avec une nonchalance féline, sous les regard ébaubis de fascination de l’assistance des candidates au mariage ældien. Il faut avoue que Varhun en impose, physiquement. Je suis même obligée de reconnaître qu’il est plutôt sexy dans sa tenue plastronnée qui dévoile une partie de ses fesses bombées, sans parler de ses bras et de ses abdominaux à faire pâlir un culturiste. Son entrejambe est recouvert par un genre de pagne, dont les filins de cuir tressé entremêlés d’ossements divers rebondissent sur ses cuisses de gladiateur. Une queue en lasso, terminée par un genre de triangle, s’agite derrière lui. Parvenu enfin au bureau, il s’arrête et nous fait face, ses bras puissants croisés sur son torse.
— Varhun nous fait l’honneur de porter la tenue des chasseurs de son clan, explique le formateur fièrement. Varhun, peux-tu nous expliquer ce que veulent dire tous ces symboles ? Les marques sur ton visage, par exemple ?
— Ce sont les marques de ma guilde de chasse, répond l’ældien en suivant de sa griffe les scarification teintées de rouge qu’il arbore sur sa peau foncée.
Ses bras musclés sont couverts de ces marques, qui ressemblent à un mix entre des flammes, des écailles de dragon et des entailles en relief.
— Et cette armure que tu portes ? Quelle est la différence entre celle d’un sidhe ?
Je jette un coup d’œil sur mon dépliant. Les sidhes forment l’autre caste guerrière ældienne, avec celle des chasseurs.
— La mienne est en cuir de drakthar, répond Varhun. Je l’ai taillée moi-même dans la peau d’une proie que j’ai abattue. Nous ne portons que ce que nous avons tué nous-mêmes, contrairement aux sidhes et aux aios qui portent des armures en mithrine et en iridium !
Je lève les yeux au ciel. Évidemment… Est-ce qu’il va se frapper le poitrail, aussi ?
— Et cette arme que tu portes dans ton dos ? continue le formateur.
Varhun dégaine une immense couteau, qu’il fait tournoyer dans sa grosse main griffue, avant de le poser brutalement sur le bureau.
— Le couteau que porte tout chasseur initié, explique-t-il de sa voix grave à l’accent rauque. Il symbolise l’honneur de son porteur, et ne peut être touché par personne d’autre que son as-ellyn.
Varhun verrouille son regard fauve sur moi. Je le soutiens. Qu’il ne croie pas m’impressionner… même si c’est le cas.
— Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’as-ellyn, Varhun ?
— C’est la femelle favorite d’un chasseur, grogne-t-il en réponse.
Je cherche le mot dans le guide holographique.
As-ellyn : femelle à laquelle un ældien consacre toute son attention, et souvent, l’exclusivité. Sorte d’âme-sœur.
— Est-ce que tu as une as-ellyn ? s’enquiert le formateur. Si ce n’est pas trop personnel de te demander…
Je trouve ça personnel, pour ma part. Mais Varhun répond.
— Non. Mon clan souffre d’une pénurie de femelles : c’est pourquoi nous avons conclu cet accord avec vous, les humains.
— Est-ce que tu cherches une femme humaine, Varhun ?
— J’en cherchais, avoue-t-il, mais mon ard-ælla a jugé plus utile que je vienne ici parmi vous pour vous aider à mieux comprendre nos coutumes, étant donné que je suis le seul à parler votre langue. J’ai donc dû retirer mon nom de la liste des candidats à la Chasse pour cette année, mais je peux vous garantir que des chasseurs très valeureux y participeront.
Ouf. Il ne participe pas.
Une femme rougissante, plutôt jolie au demeurant, lève alors la main.
— Comment est votre planète, celle où aura lieu la Chasse Sauvage ?
Varhun braque son regard de prédateur sur elle.
— Vorak’Tuun est un monde chaud et brumeux, dominé par les jungles cyclopéennes, les marécages et la forêt primordiale, et peuplé de créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres. Un paradis pour les forts, un enfer pour les faibles, répond-il avec un demi-sourire carnassier.
— Mais vous nous protégerez, n’est-ce pas ? s’écrie une autre.
— Chaque mâle protégera la femelle qu’il a revendiquée, confirme Varhun en croisant les bras.
— Revendiquée… quel programme ! ricané-je dans ma barbe.
Varhun hausse un sourcil.
— Jalouse ?
— Dans tes rêves !
Il ricane, dévoilant ses crocs imposants.
— Quand pouvons-nous partir ? s’écrie une femme. Je suis prête à y aller tout de suite !
L’IA guide intervient.
— Le prochain départ aura lieu dans quelques jours. Le vaisseau restera en orbite, et vous serez escortées jusqu’à la base que Varhun et les siens ont aimablement accepté de nous octroyer.
— Est-ce que ce grand ældien nous accompagnera ?
La voix pleine d’espoir de cette fille m’irrite.
Quelle conne… vouloir courir dans une jungle hostile, poursuivie par des orcs en rut…
— Bien sûr. Là-bas, il vous conduira à sa tribu, et vous serez présentées aux guerriers.
— Pourrons-nous bénéficier d’un accompagnement, d’une formation ? Quelle sera la logistique ? Il faudra bien que quelqu’un s’occupe de nous, notamment pour accompagner notre grossesse et notre accouchement ! intervient une Karen agressive.
Ah ouais, carrément. Cette femme s’imagine déjà enceinte d’un de ces monstres…
— Bien entendu. Notre équipe sera sur place, avec vous. Kristie, en binôme avec Varhun, assurera la liaison entre la tribu et le vaisseau resté en orbite. Elle s’assurera de votre bonne acclimatation et de votre sécurité, avec Varhun.
Je me tourne vers l’IA, prise de court. Varhun a l’air aussi surpris que moi.
— Vous me donnez un nouveau binôme ? grogne-t-il. Je veux Maya. On faisait du bon boulot ensemble, le clan la respectait. Elle, elle ne connait pas la jungle ! C’est une faible femelle ignorante et irrespectueuse de nos coutumes. Si ce n’est pas les frères de la forêt, les chasseurs la mettront en pièces en moins de deux.
C’est de moi que ce rustre parle ?
— Maya ne travaille plus pour nous, répond l’IA avec un sourire factice. Kristie, notre nouvelle recrue, la remplacera. Nous en reparlerons tout à l’heure.
Alors que Mia continue de donner des garanties à ses futures clientes, je glisse un regard à l’orcneas. Il me toise de haut en bas, le sourcil froncé, tout en mâchant quelque chose d’un air agressif.
— Je ne suis pas une « faible femelle », espèce de brute, sussuré-je à son attention. J’ai été engagée comme agent de sécurité.
Varhun plisse les yeux, sans cesser de me scruter.
— Tu ne tiendras pas une heure sur Vorak, petite femme, grogne-t-il avant de se détourner.
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