Chp 3 : Varhun
« Tu te trouveras une compagne plus tard. Tu es le meilleur chasseur du clan, et il y a une chance pour que Rani change de Voie et accepte un jour de s’unir à toi. Pour le moment, tu dois patienter, et guider tes frères sur ce nouveau chemin. »
On ne conteste pas l’ordre de son ard-ælla. Azorth lui-même lui obéit sans moufter. Alors, je me suis incliné.
Bien sûr, cela veut dire que je vais devoir supporter la brûlure des fièvres un cycle de plus. Mais je ne perds pas espoir que Rani finisse un jour par reconnaître ma valeur, et je loue la sagesse d’Urtza : elle sait que je me suis engagé dans ce programme par faiblesse, au lieu d’attendre une chasseresse digne de moi. Au final, aucune de ces femelles humaines ne me plaisent. Elles ne tiendront pas une seconde sur Vorak’Tuun.
Elle, par contre… elle a peut-être ses chances, surtout si elle tape dans l’œil de l’ard-æl.
Mes yeux scannent le cul bombé de cette humaine, ses épaules et ses bras bien dessinés, ses yeux noirs froncés et sa bouche pulpeuse figée dans une grimace dédaigneuse. En dépit de son uniforme de soldat humain et ses cheveux tirés en arrière, elle est plutôt bandante, bien que très différente des femelles qui m’attirent habituellement. Sauf que ce n’est pas une candidate. Juste mon nouveau binôme.
Mais si Azorth a des vues sur elle… ça pourrait très mal se passer pour cette elle.
Elle la ramènera moins avec la queue de notre ard-æl dans la bouche, c’est clair.
Cette humaine ne sait pas dans quoi elle vient de se fourrer. J’ai pas aimé son mépris envers nos coutumes ancestrales, mais je ne peux pas la laisser dans ce guêpier.
Je peux t’assurer que tant que je serais là, aucun chasseur ne t’aura. Et surtout pas Azorth.
*
— Je refuse de bosser avec elle, grogné-je en entrant dans le bureau. Elle n’a pas plus de jugeote qu’une grivorn[1] blanche, et se fera bouffer comme cette proie, si on l’envoie sur Vorak !
Mia sursaute lorsque la porte se fracasse derrière moi. Je m’en veux un moment de lui avoir fait peur. Mais elle n’est pas seule. Giovanni, le directeur du programme, est avec elle.
Je déteste ce jeune mâle arrogant, qui compense sa petite taille et sa faiblesse physique par un comportement de jeune velokar[2] au milieu de ses poules. Mais il n’a pas l’agilité du coureur bipède, et encore moins sa rapidité, ses griffes recourbées et sa superbe crète luminescente. Ce n’est qu’un humain, faible et lâche, qui aime jouer aux petits chefs. Il a essayé de m’humilier, tout à l’heure, devant toutes ces femelles humaines. Je sais qu’au fond de lui, il déteste l’idée qu’autant de leurs femmes préfèrent des mâles ældiens à leurs congénères.
— Tu feras ce qu’on te dit de faire, Varhun ! clame-t-il en utilisant mon nom comme s’il était mon ami.
Je me plante devant lui, et baisse ostensiblement les yeux sur sa silhouette maigrichonne. Peu de hënnil[3] du clan sont aussi petits que lui.
— Tu as dit quelque chose ?
Il inspire un grand coup.
— J’ai dit…
— Tout va bien, murmure Mia en posant sa main fine sur moi. Gio ne voulait pas te donner d’ordre, As Feryn[4]. C’est la façon dont il parle à tout le monde.
« Gio » écarte les bras.
— Je voulais juste signifier à ce sauvage que…
Encore une fois, il n’a pas le temps de finir sa phrase. Je l’attrape par le col, le soulève à un mètre du sol et le plaque contre le mur.
— Surveille ce qui sort de ta bouche, mortel, grondé-je en dégainant mes crocs. Le sang qui a servi à signer le pacte de non-agression avec les miens est encore chaud !
Ce mâle de pacotille bafouille des excuses. Je le relâche, et il tombe comme une merde.
— Cette femme est tout à fait capable, Varhun, argumente Mia. C’est une ancienne de l’infanterie mobile. Ce ne sont pas des tendres, et elle a participé à des opérations très dangereuses… nous pensons que c’est la personne idéale pour t’accompagner sur Vorak, et escorter les candidates.
Je me tourne vers Mia.
— Je suis sérieux. Cette fille que vous m’avez collé dans les pattes est en meilleur état physique que celles que vous nous envoyez d’habitude, c’est vrai. Mais justement ! Elle n’a pas une pièce artificielle sur elle, ses seins sont généreux, sa cambrure digne d’une femelle en chaleur. Dès sa première ovulation, son odeur va rendre fous tous les mâles du clan, à commencer par notre ard-æl. Et là, je ne pourrais rien faire pour la protéger !
Mia se mord la lèvre d’un air préoccupé.
— C’est un problème, en effet… Tu penses vraiment que ton ard-æl va vouloir la revendiquer ?
À la façon dont ma queue à moi s’est durcie quand je l’ai vue, OUI, il n’y a aucun doute.
— J’en suis quasiment sûr, grincé-je.
— Mais il a déjà une femelle attitrée, non ? Votre seule chasseresse encore féconde…
Rani… Mia parle d’elle.
— C’est l’ard-æl, maugrée-je. Il a le droit de prendre toutes les femelles qu’il veut. Y compris les compagnes humaines des chasseurs. Il ne se gênera pas pour saillir une employée du programme, même si elle n’est pas candidate à la Chasse Sauvage.
— Je croyais que les mâles ældiens ne forçaient jamais une femelle ? lâche Giovanni sur un ton faussement naïf.
Je lui jette un regard noir.
— C’est le cas. Vos femelles, comme les nôtres, deviennent toutes consentantes au contact du luith. Et elles s’offrent d’elles-mêmes au mâle, quitte à le regretter après.
— On lui fera porter un masque à gaz, afin qu’elle évite de respirer cette terrifiante phéromone alien ! ironise Giovanni.
Le connard… je me tourne vers lui, prêt à lui enfoncer le nez dans le crâne. Mais encore une fois, Mia intervient.
— Et si on bloque le cycle de ton binôme ? Ainsi elle ne saignera pas, n’ovulera pas et n’attirera pas les mâles de la tribu, propose-t-elle. De toute façon, bien sûr, on ne la fera pas descendre sur Vorak pendant la Lune Rouge. Elle retournera à la base, sous ta surveillance, alors que les candidates participeront à la Chasse.
— Je ne peux pas garantir à cent pour cent sa sécurité pendant cette période, admets-je. Je serai en rut, moi aussi… Et elle ne connait rien à nos coutumes. Je ne pense pas que ce soit la bonne personne pour ce job.
Mia soupire.
— On a beaucoup de mal à recruter des personnages fiables pour cette mission, Varhun, admet-elle. La moitié sont des activistes anti-ældiens ou des journalistes, l’autre des femmes qui tombent sous le charme d’un des chasseurs et refusent de rentrer. Cette fille m’a l’air idéale, justement parce qu’elle ne veut pas participer au programme. Et on a enquêté sur elle : ses antécédents sont clean, et ses états de service, excellents.
Je laisse échapper un soupir.
— Je le répète, ce n’est pas une bonne idée…
— Vous partez après-demain. Tu as deux jours pour te faire à l’idée, Varhun, balance Giovanni sans quitter les yeux de sa tablette.
Rhach ! Voilà que ce minable me donne des ordres… tant pis. J’aurais fait ce que j’ai pu.
— Si votre employée se fait sauter par Azorth et qu’elle porte plainte contre l’Agence, ne venez pas m’emmerder, grogné-je.
— On sait que tu ne laisseras pas une telle chose arriver. Il en va de ton honneur, non ? Tu as prêté serment, et il paraît qu’un chasseur ne revient jamais sur sa parole. Tu peux disposer, Varhun. Bon voyage de retour chez toi.
[1] Herbivore géant avec une carapace cristalline et une queue massue, espèce endémique de Vorak.
[2] Volatile, espèce endémique de Vorak.
[3] Enfant, en langue ældienne.
[4] « Premier Chasseur », titre que porte Varhun dans son clan.
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