Chp 11 : Varhun

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— L’ard-æl est de retour. Le Conseil peut avoir lieu, me prévient un jeune chasseur en venant s’agenouiller près de moi.

Je me relève en grimaçant : l’escalier n’est pas le lit le plus confortable. Justement, Azorth est là, me contemplant de son regard calme.

— Bienvenue, mon frère. Je vois que tu es déjà opérationnel, dit-il en désignant mon arme.

Je plie le genou et baisse la tête en signe de soumission. Il pose sa main sur mon épaule.

— Va te reposer un peu. Je vais voir les femelles : je te rejoins au nemed dès que j’ai fini.

« Fini ». Azorth revient d’un long voyage, et même s’il a pu profiter des concubines de l’ard-æl des Cascades, comme le stipulent les lois de l’hospitalité des clans, il a dû sentir l’odeur de toutes ces nouvelles femelles : ça lui a donné envie de s’accoupler, ce qui est normal. J’ai une pensée fugitive pour Kristie, puis me dis que de toute façon, elle a dû être tenue loin des autres, vu qu’elle ne participera pas à la Chasse.

Comme moi.

Mais je n’arrive pas à me poser. Je tourne en rond, me demandant ce que fait Kristie. Je ne sais pas pourquoi, mais je préfèrerais qu’elle ne voie pas Azorth avec ses concubines, et même, qu’elle ne le voie pas tout court. Normalement, ils ne devraient pas se rencontrer. Kristie sera tenue à l’écart des mâles jusqu’à la fin, c’est-à-dire le moment où je la reconduirai à la base des humains. J’ai hâte que ça arrive. Je n’aime pas qu’elle soit ici, à la merci de tous ces chasseurs en rut.

Cela ne te concerne pas, tenté-je de me convaincre. Tu es en dehors du coup : ton rôle auprès d’elle s’arrête ici.

Pourtant, la seule pensée de savoir Kristie seule avec Azorth me hérisse la crinière. Je n’ai jamais été jaloux de mon frère, de ses prérogatives d’ard-æl. J’ai toujours accepté mon rôle sans rechigner. Mais là… c’est différent.

S’il la touche…

La main d’Urtza se pose sur mon épaule. J’étais tellement pris dans mes délires que je ne l’ai pas entendue arriver !

— Je voudrais te parler avant le Conseil, Varhun, me dit-elle en me faisant signe de la suivre.

Je la suis dans les couloirs sombres qui s’enfoncent vers le nemed. Deux mâles montent la garde devant : ils s’inclinent sur notre passage.

Urtza s’installe sur son trône sous les racines de l’immense puval qui surmonte notre gîte, et en constitue à la fois le cœur et le symbole. Je reste debout en face d’elle, mais elle m’invite à m’asseoir sur une racine, non loin d’elle.

— Es-tu déçu de ne pas participer à la Chasse cette année encore, Varhun ?

Je prends soin de laisser ma réponse se former dans ma tête.

— Pas vraiment. Aucune femelle ne m’intéresse parmi les candidates. Je le sais : ça fait plusieurs semaines que je les fréquente.

Même si, dans les faits, je n’ai pas passé le voyage avec elle. Les humains dorment dans des caissons pour ces longs voyages spatiaux : pas les ældiens.

— Et cette jeune guerrière, Kristie ?

— Elle n’est pas candidate, réponds-je prudemment, en relevant les yeux sur Urtza.

— Je sais bien. Mais t’intéresse-t-elle ?

— C’est une fausse question, ard-ælla.

— Réponds-moi. Éprouve-tu du désir pour elle ?

Je laisse échapper un soupir. On ne peut rien cacher à Urtza.

— Un peu. Mais c’est sans doute parce que je l’ai beaucoup fréquentée dans la forêt, et que les fièvres approchent.

— Mais les autres humaines te laissent indifférent, observe Urtza.

Ce n’est pas tout à fait vrai. Je trouve Lira désirable, mais je ne la vois pas comme ma compagne. Si j’étais ard-æl, bien sûr, je prendrais plaisir à la saillir, et à voir son petit visage se plisser sous mes coups de reins. Mais je ne suis pas ard-æl : tout ce que je peux espérer, c’est, au mieux, une femelle à moi, qui sera déflorée par mon frère lors de son initiation. Ce qui sera un grand honneur, tant pour elle que pour moi.

Mes crocs glissent lentement hors de leur gaine de chair, si longs qu’ils blessent ma lèvre.

Jamais mon frère ne touchera à Kristie. Plutôt crever.

— À quoi penses-tu, Varhun ? insiste Urtza. Je te vois préoccupé.

— Rien du tout. Je me disais juste qu’il serait bon de mettre Kristie ailleurs que dans la caverne des femelles. Si Azorth la voit…

La voix grave de ce dernier résonne soudain dans la grotte.

— Tu parles de l’agent de liaison ? La fille avec une moue boudeuse et un regard de braise ? Courageuse et insolente, pour une humaine… et une sacré belle paire de seins.

Azorth se plante devant moi, croisant ses bras puissants sur sa poitrine.

— Je la veux. Elle courra avec les autres sous la Lune Rouge, et ses cris de jouissance résonneront dans toute la forêt, lorsque je la monterai.

Mon cœur descend dans mon estomac. Je me tourne lentement vers mon frère, qui a déjà tourné la tête et s’avance vers Urtza avec la nonchalance des forts.

— Elle n’est pas candidate, Azorth ! grogné-je. C’est justement ce que j’étais en train de dire à l’ard-ælla.

— Vraiment ? Écoute, je comprends que tu aies envie d’elle. C’est la plus bandante de toutes ces humaines. Lorsqu’elle sera mienne, je te laisserai la saillir pendant le rite d’union. Tu as fait beaucoup pour le clan, Rhun, et j’ai envie de récompenser mes meilleurs guerriers. J’ai également décidé que tu avais mérité de gagner une femelle, et j’en ai d’ailleurs discuté avec l’ard-æl des Cascades. Tu te souviens de Sayul, la jeune perædhelleth aux cheveux d’or qui éveille la convoitise de tous leurs mâles ? Il est prêt à te la céder. Elle va venir ici pour concourir à la Chasse. Je voudrais que tu y participes, mon frère. C’est ce qu’Urtza voulait te dire.

Sayul. Il y a encore quelques semaines, j’aurais bondi de joie, et dit oui sans hésiter. Mais c’était avant. Et jusqu’ici, on m’avait interdit de chercher à m’unir avec une ældienne, pour ne pas faire de l’ombre à Azorth et pouvoir l’épauler à consolider son pouvoir d’ard-æl. C’est précisément pour ça que je me suis inscrit à l’Agence… et que tout a commencé.

— Mais je croyais que…

— Oui, intervient l’ard-ælla, je t’avais demandé de t’abstenir cette année encore, mais finalement, je pense que c’est mieux que tu y participes. Il est temps que tu fondes ta propre lignée, Varhun !

— Je me suis engagé à ramener Kristie et les autres chez elles, dis-je en verrouillant mes yeux dans ceux de mon frère.

— Je suis au courant. Mais elles vont toutes participer. C’est ce que j’ai décidé.

— Tu ne peux pas forcer ces femmes à participer au rite ! m’écrié-je. Elles ne sont pas prêtes, ni consentantes.

— Nos femelles les formeront. Rani, que je viens de voir, m’a assuré que toutes celles qui voulaient se rétracter avaient changé d’avis. Et tu sais bien ce qui arrive aux femelles, une fois qu’elles ont été exposées au luith. C’est le cas de ces humaines… elles ont besoin d’un mâle, désormais, et d’être saillies rapidement.

Impossible de le contredire. Il a parfaitement raison… sauf pour une chose.

— Kristie n’a pas été exposée au luith. Rani l’a fait marcher devant, loin des mâles !

— C’est vrai. Et pourtant, elle a l’odeur d’une femelle en pré-chaleur. J’imagine que tu n’y es pour rien…

Je me rappelle soudain ce que je lui ai montré. C’était insuffisant pour l’intoxiquer, et elle se tenait trop loin. En outre, je n’ai pas répandu de phéromones d’apaisement.

— Tu ne peux pas la forcer à participer, répété-je obstinément.

— Rani m’a dit qu’elle se sentait responsable de sa cousine. Si cette dernière participe à la Chasse, elle voudra être avec elle pour la protéger.

— Cela ne justifie pas que tu t’en empares !

— C’est la loi des clans, Rhun. C’est ainsi depuis l’aube des temps, statue mon foutu frère en croisant les bras.

Mes yeux vont de lui à l’ard-ælla. Elle ne le contredit pas… elle compte le laisser faire !

— Très bien, grogné-je. Puis que c’est ainsi… je participe moi aussi à la Chasse !

Cette annonce ne déstabilise pas Azorth.

— C’était prévu, dit-il avec un rire grave. Pour que tu gagnes Sayul.

— C’est Kristie, que j’attraperai, grincé-je. Et ainsi, je pourrais la ramener aux siens.

Un demi-sourire apparait sur les lèvres d’Azorth.

— Serait-ce un défi, mon frère ?

— Ça m’en a tout l’air, grincé-je en me rapprochant de lui.

Il me fixe en silence. Je peux sentir la tension entre nous.

Si tu la veux… alors, tu devras m’affronter.

Urtza met fin à ce début de confrontation. La première, depuis que mon frère est devenu ard-æl…

— Stop, arrêtez ! rugit-elle. Vous n’allez pas vous battre pour une femelle…

— Pour quoi d’autre ? fait Azorth sans me quitter des yeux.

— J’ai engagé ma parole envers les humains, fait un serment. Je dois la ramener aux siens !

— Les humains se sont engagés à nous livrer des femelles, rétorque lentement Azorth. On pourrait aussi nous en emparer par la force. Ce ne serait pas nouveau.

— Pas elle. Tu peux prendre n’importe laquelle, mais pas elle !

— C’est elle que je veux.

De nouveau, mes crocs glissent le long de mes lèvres. S’il continue…

— Celui qui l’attrapera le premier la possédera, coupe Urtza. C’est la règle ! Oui, même pour toi, Azorth.

Ce dernier relève le menton.

— Je relève le défi. De toute façon, je vais l’emporter, et même en admettant que je perde… c’est moi qui la prendrais le premier, mon frère, exulte-t-il en me montrant les dents.

Un grognement sourd monte de ma gorge.

— Si tu la touches… ce n’est pas sûr que tu restes ard-æl, murmuré-je d’une voix rauque.

Azorth plante son regard bleu glacier dans le mien. Mais Urtza, de nouveau, intervient.

— Allez, va-t-en, Varhun ! ordonne-t-elle en me poussant les épaules. Va patrouiller. Ça va te calmer un peu.

Mon premier réflexe est de faire claquer mes canines dans sa direction. Mais cette seule envie me dégrise immédiatement. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? J’ai voulu attaquer l’ard-ælla… et j’ai lancé un défi à l’ard-æl.

— Je… je ne sais pas ce qui m’a pris, murmuré-je en baissant la tête.

— C’est normal, me rassure Urtza. Le rut approche, et ça fait longtemps que tu ne t’es pas accouplé. Allez, va. On reparlera de ça plus tard.

— Oui, ard-ælla, dis-je en évitant de regardant Azorth.

Je sors de la salle, le regard de mon frère dans mon dos.

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