Chp 23 : Varhun
Lorsque les femelles m’ont enlevé Kristie, ma première impulsion a été de les attaquer. Je voulais m’occuper d’elle moi-même, l’emmener loin d’ici. Mais qu’aurais-je fait, en réalité ? Est-ce que je l’aurais cajolée, faisant tout pour me faire pardonner, ou serais-je devenu ce tyran cruel que je hais ? Kristie ne peut pas être heureuse, avec moi. Seule une ældienne pourrait supporter ça. Ou une humaine très conditionnée, comme Nur. Kris est trop libre, trop rebelle. Elle n’acceptera jamais de se soumettre à un mâle pendant l’accouplement, quotidiennement. À la rigueur, il lui faudrait un mâle plus doux et moins dominant, comme Turyk. Moi, je suis urulædhel… mon instinct est trop fort. Et Kristie me fait un tel effet que je deviens incapable de me contrôler, face à elle. Si elle me provoquait moins… mais peut-on demander au feu d’arrêter de brûler ?
Un bruit de pas se fait entendre derrière moi. Urtza m’a ordonné de rester dans le nemed pour me « calmer », et réfléchir aux conséquences que mes actes impulsifs pourraient avoir sur le clan. Mais elle n’a pas interdit à Azorth de venir me voir. Mon frère arrive dans mon dos, identifiable tout de suite à son pas particulier et à son odeur légèrement épicée, celle du seul urulædhel de la tribu à part moi. Il passe dans mon champ de vision et s’accroupit à distance respectueuse, ses ailes repliées serrées sur son dos : un signe qui montre qu’il n’est pas agressif. Mais moi… je lui en veux encore. S’il ne m’avait obligé Kristie à me traire, tout ça ne serait jamais arrivé.
— Encore en train de ruminer, mon frère ? m’interpelle-t-il sur un ton légèrement moqueur.
Je lui jette un regard coupant.
— Tu n’aurais jamais dû forcer Kris à ça, réponds-je sombrement.
— Tu crois ? Il faut bien qu’elle apprenne. D’une façon ou d’une autre, elle aura à le faire. Et je n’ai pas eu l’impression qu’elle n’aimait pas… toutes les femelles aiment la traite. Toutes.
— Elle a failli s’évanouir ! grogné-je.
Je me suis maudit pour ce que mon désir a fait à Kristie. Mais mon frère, lui, a moins de scrupules.
— Normal, pour une humaine non entraînée, et non habituée à nos coutumes ! La plupart des candidates de la chasse précédente se sont évanouies la première fois que l’ard-æl du clan des Cascade les a montées, lors de leur initiation. Trop de stimulations à la fois. Et toi, tu as donné un orgasme à cette fille avec ton panache, tout en l’abreuvant de ton luith… ça fait beaucoup pour une seule formation. Mais elle est vaillante. Je suis sûr qu’elle sera prête pour demain.
Je relève la tête vivement.
— Tu comptes toujours la faire participer à la Chasse ?
Azorth lève un sourcil.
— Parce que toi, tu as changé d’avis ?
— Je pense que sa place n’est pas ici, avoué-je.
Le rire puissant d’Azorth éclate, se répercutant sur les parois de pierre.
— Quel naïf tu fais, mon frère… Rani a bien raison de le dire ! Cette humaine est la candidate la plus précieuse de cette année. C’est aussi la plus impatiente de se faire prendre. Même si elle n’en pas encore accepté l’idée.
La façon dont il parle de Kristie… ça me donne envie de lui faire avaler ses dents. Mais je l’ai déjà attaqué tout à l’heure : un nouveau mouvement de ma part serait vu comme un vrai défi, cette fois.
Ce n’est pas le moment. Pour l’instant… il n’a rien fait à Kristie.
Azorth se redresse, et s’avance vers moi. Lorsque sa main s’abat sur mon épaule, je sursaute.
— Écoute, Rhun… commence-t-il. J’ai quelque chose à te proposer.
Je lui glisse un regard méfiant. Les idées d’Azorth sont rarement bonnes.
— Tu te souviens de cette légende, sur ce wyrm à deux têtes, une blanche, une noire, qui faisait régner la terreur sur Æriban ?
— Oui, grogné-je. Mais en quoi cela…
— Faisons comme lui. Gouvernons ce clan tous les deux. Deux ard-ælim : Azorth à la chevelure blanche, Varhun à la chevelure noire. Nous nous partageons la gloire, les combats et les femelles, notamment Kristie, Rani et Sayul. Je suis très curieux de cette jeune perædhelleth, figure-toi, et j’aimerais la chasser demain. Je te laisse ramener Kristie, et tous les deux, nous les prendrons à tour de rôle devant le clan réuni, officialisant ainsi leur statut de concubines.
Mais qu’est-ce qu’il raconte… je relève un regard horrifié vers lui.
— Kristie n’est pas une simple « concubine », à mes yeux ! rugis-je. C’est mon as-ellyn, la seule et l’unique. Je ne chasserai jamais une autre femelle qu’elle.
Azorth laisse échapper un ricanement joyeux.
— Voyons, Rhun… Kristie est désirable, certes, mais ce n’est qu’une humaine. Elle mourra bien avant toi !
Ce qu’il dit me fait tellement mal que je suis obligé d’enfoncer mes griffes dans le sol pour m’empêcher de les lui planter dans les yeux. Mais il a raison… même si je bourrais Kristie de luith tous les jours, elle vivrait quelques siècles, au grand maximum. Il faudrait que je la nourrisse de sang comme le font les Niśven pour la faire durer plus longtemps. La transformer irrémédiablement, et, au final, lui ôter toute son humanité… Or, les accords avec les humains sont clairs. On ne doit pas faire de ces femmes des immortelles. Et contrevenir au pacte qu’on a passé avec eux n’est pas seulement déshonorant : c’est également prendre le risque qu’ils ne nous envoient plus de candidates, et condamner les autres chasseurs au célibat.
Qu’est-ce que ça peut faire, au fond ? Les humains n’en sauront rien. Ils ne sont pas venus contrôler ce que devenaient les filles obtenues l’an dernier par le Clan des Cascades, et de toute façon, s’ils nous les refusent, ce serait à nouveau la guerre…
— Je te vois réfléchir, sourit Azorth. Alors ? Tu veux toujours m’affronter et prendre ma place, ou gouverner avec moi et qu’on se partage les plus belles femelles ?
— Je n’en ai besoin que d’une, réponds-je. Kristie. Je ne t’affronterai pas tant que tu ne la touche pas.
— C’est impossible, tu le sais. C’est dans ma nature de dominant de désirer les femelles des autres, et, notamment, de mon rival direct, le plus dangereux. Tout comme il est dans ta nature de te montrer dominant avec cette humaine sexuellement.
— Très bien. Rendez-vous après la Chasse, alors. Je te conseille de rester sur ton idée de pister Sayul. Si je te croise sur mon chemin dans la jungle, je te tuerai sur place, hors de tout cérémoniel.
— Et donc, tu ne deviendras pas ard-æl, me tance mon frère avec son demi-sourire si énervant.
— Je m’en fiche. Seule compte Kristie. Je tuerai tous ceux qui se dresseront entre elle et moi.
— Parfait. Mais il y a une dernière chose qu’il faut que tu saches… cela concerne le tout dernier échange entre les candidates et les mâles du clan, qui aura lieu dès que les femelles seront parties se reposer dans leur khangg.
Je me raidis aussitôt. Normalement, le dernier jour, les femelles ont droit à un repos exceptionnel : ce sont les mâles qui chassent et cuisinent pour elles, afin de les laisser prendre des forces avant la Chasse. Mais visiblement, Azorth a décidé de faire autre chose…
— Ne t’en fais pas, me rassure-t-il avec son sourire le plus prédateur. Ce sera une façon de faire la paix de façon agréable, pour toi et moi. Et surtout… cela permettra à Kristie de choisir qui est le meilleur pour elle, entre nous deux.
Kristie. Ça la concerne donc !
— Que comptes-tu faire ? Si tu la touches, je…
Il me coupe tout de suite.
— Calme-toi. Je suis toujours ton ard-æl… et si je le voulais, je pourrais rejoindre ta Kristie dès maintenant et lui donner une leçon anticipée de sexe ældien. Mais je respecte les règles, moi. Pas de pénétration avant la Chasse. Je sais que tu les respecte aussi… alors je te propose autre chose. Si tu te comportes bien et remporte ce petit défi… je pourrais peut-être décider de te laisser la capturer.
Il veut Sayul. C’est ma chance : Azorth a besoin d’être constamment stimulé par la nouveauté. C’est la différence fondamentale, entre lui et moi. Kristie l’intéresse déjà moins. Si je lâche un peu de lest… peut-être qu’il s’en désintéressera complètement.
— D’accord, acquiescé-je alors. Dis-moi ce que tu comptes faire.
Le sourire de mon frère s’élargit. Et la lueur que je vois briller dans le fond de ses yeux froids ne me plaît pas. En écoutant ce qu’il me dit, mes oreilles se raplatissent. Mais la perspective qu’il me fait miroiter fait aussi durcir mon skryll et gonfler mes couilles. Est-ce que je vais réussir à tenir le coup, à relever son défi ? Cela me paraît impossible… mais il le faudra.

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