Chp 29 : Varhun
Si tu t’en vas, Rhun… je te le ferais regretter.
Les derniers mots de Rani. Mais évidemment, je ne suis pas resté. Dormir dans son khangg, cela signifiait la sauter. La sève du rut ne faisait que monter dans mon sang, et il m’a fallu toute ma volonté pour avoir la force de lui tourner le dos, au moment où elle écartait les cuisses pour moi. Mais je dois être là pour Kristie. Et remporter une chasse, contre une cinquantaine de mâles en rut, dont mon frère… cela signifie préparer le terrain.
Je sais déjà ce que Kristie va faire, et où elle va se diriger en premier. Vers la cachette que je lui ai indiquée, dans le but de récupérer les armes qui y sont dissimulées. J’ai sécurisé le périmètre, installant filets et chausse-trappes pour empêcher les autres mâles de s’en approcher. J’ai fait la même chose autour du premier gîte, celui où elle doit se réfugier : le temple de Naeheicnë. Si elle parvient là-bas sans encombre, elle pourra se reposer un petit instant.
J’ai posé les pièges, puis j’ai passé la période de repos diurne à l’ombre des arbres, jusqu’au crépuscule. Au fur et à mesure de la montée de la lune, je me suis senti changer. Mes crocs sont sortis sur toute leur longueur, me forçant à garder la bouche entrouverte. Ma peau a durci comme une carapace. Mes griffes sont moins faciles à rétracter. Ma crinière s’est hérissée, et je sais que mes yeux sont devenus rouges comme la lune. Mon sexe… si Kristie le voyait, énorme, gonflé, luisant de luith… elle hurlerait. Je me suis changé en bête, comme à chaque lune rouge.
À présent, j’attends le début des festivités, embusqué dans un arbre, mon masque de chasse et la capuche de mon shynawil rabattus sur le visage. J’ai vu les mâles quitter le brugh tout à l’heure. Azorth n’était évidemment pas parmi eux… il compte leur laisser un peu d’avance, pour leur donner le plaisir d’attraper une femelle ou deux avant de devoir la lui céder. Cela fait partie du jeu. En général, les chasseurs les plus rapides arrivent à capturer les premières femelles assez vite, et s’ils sont doués, ils ont le temps de se soulager rapidement dans un fourré, avant même que l’ard-æl n’ait pu leur contester leur prise. Pour la plupart des mâles, notamment ceux qui ont choisi leur as-ellyn, être le premier est important. Ils veulent être sûrs d’imprégner leur femelle avant que le dominant ne puisse la saillir. Il y a aussi ceux qui ne visent aucune femelle en particulier, mais veulent déposer leur luith dans le plus de proies possibles avant la fin de la Chasse… ceux-là, en général, ne capturent pas les femelles. Ils les prennent le plus vite possible, puis les laissent là, cherchant leur prochaine prise. C’est pourquoi je vais attendre Kristie, lui donner de l’avance et la laisser passer devant pour m’assurer qu’aucun mâle ne la suit. Ensuite, je la rejoindrais au temple. Je la laisserai se reposer, puis l’emmènerai le plus loin possible de ce territoire.
Le cor. Ça y est… les mâles sont en place. Les femelles ne vont pas tarder à être lâchées… Je m’accroupis sur ma branche, verrouillant mes yeux sur la porte de la grotte. J’aperçois une silhouette timide, qui regarde partout autour d’elle comme une bête traquée… son parfum, un mélange de peur et de douceur femelle, fait durcir immédiatement ma virilité. Son shynawil, mal mis, ne la dissimule pas complètement. Ces femelles ne savent pas se camoufler… Ce serait facile de lancer un de mes harpons sans pointe, et de la capturer pour lui faire son affaire vite fait avant même que les autres sortent. Cette seule pensée me fait décharger un peu de luith, et j’étouffe un grognement de frustration. Il va falloir que je me contrôle... La lune est à son apex, ronde et sanglante à travers les arbres, nous narguant comme un astre malveillant.
D’autres humaines s’élancent sous les arbres. Elles détalent comme des lagopèdes, sans but particulier… Kristie n’est pas parmi elles. L’une d’entre elles trébuche et tombe, son shynawil se relevant sur ses fesses rondes. J’enfonce brutalement mes crocs déjà bien sortis sur ma lèvre inférieure, à défaut d’enfoncer autre chose dans cette fente offerte, qui exhale déjà son fumet dans la jungle environnante. Un chasseur sort des taillis en grognant comme un tyraknid : avant même que la fille n’ait eu le temps de se relever, il lui a déjà enfoncé la tête dans les fougères, et planté son skryll dans ses deux orifices. La fille hurle alors qu’il la pilonne sans merci, avant de se détendre sous l’effet du luith et de gémir sensuellement. Le mâle se calme un peu, et elle s’accorde à son rythme. Lorsqu’il se retire enfin d’elle, elle reste sans bouger, ivre de phéromones et de jouissance. Le chasseur éjacule un peu dans ses cheveux pour la revendiquer, puis il lui caresse la joue tendrement, avant de lui passer la corde au cou et de la charger sur son épaule. Une de prise. Une chasse rapide, décevante… j’espère que Kristie sera plus endurante.
Je me fige à cette pensée. Non. Je ne suis pas là pour la capturer, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque… je dois la ramener à la base.
Le chasseur s’est éloigné avec sa proie, la ramenant vers la grotte. Je change de position pour mieux guetter les prochaines sorties. Ramener Kristie à la base. Ramener Kristie à la base. Je ne cesse de me répéter ces simples phrases, comme un mantra. Luttant contre mon désir de courser ces femelles qui courent partout pour les capturer et les prendre sauvagement, en guise de mise en bouche pour le plat de résistance. Où est Kristie ? Est-ce que c’est elle, là-bas, cette femelle qui vient de quitter la grotte d’un pas souple et prudent ? Elle paraît si calme, si sûre d’elle… je la vois relever la tête vers moi, situé en hauteur à une cinquantaine de mètre d’elle. Mon shynawil me rend invisible à ses yeux. Pourtant, elle fixe ma direction pendant un moment, avant de repartir, et de s’éloigner comme une fauve dans la forêt.
Une violente flambée de désir me saisit. C’est ma femelle, celle que je dois chasser. Elle. Je l’ai attendue toute la soirée. Non… pendant des semaines, et des mois avant ça. C’est une compagne comme elle que je voulais. Est-ce que je vais laisser ce trésor, cette farouche et fière beauté qui ne se soumet à personne, tomber entre les griffes d’un autre mâle ? De mon frère ? Ou même, la laisser s’enfuir, s’éloigner pour toujours de moi ? Hors de question. Cette nuit… Kristie sera mienne.
Je lui donne de l’avance, puis rabats mon masque de chasse sur mon visage. La nuit paraît différente, avec. Plus… lumineuse. Pulsant d’une vie riche et chaude. Lorsque je le porte, je suis un autre ædhel. Varhun, le chasseur.
Puis je la repère. Sent sa sueur, sa peur, son odeur sucrée de femelle.
C’est le meilleur moment.
Je ne peux pas m’empêcher de vouloir profiter pleinement de cet instant. C’est plus fort que moi. L’instinct du prédateur qui traque, observe sa proie. Une fois seule dans la forêt, Kristie a l’air confuse. Intimidée. Elle regarde partout autour d’elle comme une bête blessée. Elle ignore que je suis là, dans les arbres, juste au-dessus d’elle, à la regarder. Elle ne sait pas que je suis en train d’analyser la vitesse de sa course, ses chances de m’échapper, et de détailler ses courbes, cette chair qui sera bientôt mienne. Elle ne sait pas que je peux bondir, courir jusqu’à elle, la plaquer au sol, et en user d’elle avant qu’elle ne comprenne ce qui lui arrive. Kristie est ma proie. Et je suis son chasseur.
*
Je la suis dans la jungle humide, sous la pluie battante de ce début de soirée. La tempête va rendre les chasseurs plus visibles, puisque l’eau rejaillira sur leur shynawil. Mais Kristie ne me voit pas. Elle ne fait que fuir. Mais je sais où elle va. Elle cherche la première cachette que je lui ai montré, là où je devais son arc… cela prouve qu’elle me fait encore confiance. Elle sera bien déçue, lorsqu’elle comprendra que j’ai changé d’avis, et décidé de la garder avec moi pour toujours. Mais la trahison qu’elle ressentira ne sera que de courte durée. Une fois qu’elle sera imprégnée de mon luith, et que mes crocs auront marqué sa gorge, elle ne voudra plus jamais d’un autre mâle. C’est le destin que je voulais lui éviter au début… et qui sera pourtant le sien. C’est inéluctable.
Elle a finalement atteint la cachette. Alors qu’elle se penche pour fouiller sous les pierres, un chasseur un peu plus rusé que les autres, qui a déjoué mes pièges, se rapproche silencieusement d’elle. Je le reconnais immédiatement : c’est Draynak, le jeune rebelle qui a déjà bravé mon autorité une fois, en essayant de la revendiquer. La première fois, je l’ai juste averti. Cette fois, la punition sera plus sévère. Je bande mon arc et décoche une flèche en plein dans son épaule. Il rugit, donnant à Kristie l’occasion de le repérer. Mais Draynak m’a vu. Après m’avoir lancé un mauvais regard, il disparait dans un arbre.
Je descends de mon poste d’observation d’un seul bond. En me voyant apparaitre devant elle, Kristie, d’abord défiante, se détend.
— Rhun, soupire-t-elle. Enfin.
— Tu devrais être plus prudente. Ce mâle te pistait. Et ce n’est pas le seul.
Son sourire lumineux me fait aussi mal qu’il me donne chaud. Quand elle se rendra compte que je la chasse, moi aussi…
— Je savais que tu étais là. Que je ne risquais rien, chuchote-t-elle, sa poitrine se soulevant à chaque respiration.
Elle est tellement belle, si désirable… pas étonnant que des mâles comme Draynak soient sur sa piste, ce soir. Sans compter Azorth… qui ne devrait plus tarder.
— Sauf que tu ne l’es pas, grondé-je. Cette nuit, tu es une proie. Et je suis comme les autres : un chasseur en rut, qui traque sa future captive.
— Mais tu es là pour me ramener à la base, n’est-ce pas ? demande-t-elle, une lueur inquiète dans les yeux.
Je la fixe sans rien dire.
— C’est ce que tu aimerais ? Que je te ramène à la base ?
Kristie rabat une mèche mouillée derrière son oreille. Un geste de femelle universel, qui fait durcir mon skryll.
— Ce n’est pas ce qui était prévu ?
— Pour toi, peut-être, réponds-je, laconique.
— Tu as un autre plan ?
Comme je ne réponds pas, elle insiste :
— Lequel, Rhun ?
Je regarde le ciel, la lune énorme et sanglante. Puis replace mon masque sur mon visage.
— … Rhun ?
Kristie me regarde, interrogative. Sa voix est plus faible… et elle a esquissé un pas en arrière.
Parfait. Que la chasse commence.
— Cours, lui dis-je d’une voix rendue rauque par l’excitation. Le plus vite que tu peux.

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