Reprendre le contrôle
Je mets quelques heures à accepter cet « inacceptable » : lorsque j’entends involontairement une chanson, ce qu’elle raconte m’arrive alors que quand j’en écoute une volontairement, apparemment il ne se produit rien…
Puis je me ressaisis : il faut absolument que je reprenne ma vie en main ! Et J’essaye, tant bien que mal, de rester rationnel dans ce contexte paranormal.
D’abord, je dois identifier toutes les chansons qui peuvent m’aider à réussir mon business et à reconquérir Jessica. Ensuite, je dois imaginer où j’ai une chance de les entendre fortuitement : à la radio, dans une boîte de nuit, dans un magasin ?
Seule bonne nouvelle, je rentre chez moi le soir et retrouve avec plaisir le confort de mon petit appartement que je n’ai jamais autant apprécié.
Je m’affale avec un immense soulagement sur mon canapé danois design que j’aime tant. Cela me fait tellement de bien de me retrouver chez moi. Même si ma pièce de vie est à mon image : simple et efficace. J’ai deux fauteuils assortis avec mon canapé et une table basse pour l’apéro avec mes potes. Un buffet en noyer vient apporter une nuance brune dans le dégradé de meubles gris et murs blancs.
Je n’allume ni télé ni radio et je n’ouvre surtout pas les fenêtres. Je ne veux rien entendre que je ne maîtrise pas. Et tiraillé par l’angoisse de cette vie qui m’échappe soudainement, je finis quand même par m’endormir, ma sinusite s’étant calmée.
Vendredi matin. Je suis réveillé par la chanson « L’échec » de Yann Tiersen ! Crétin, tu n’as pas pensé à mettre ton radio-réveil en sonnerie simple ! J’assène un coup de poing rageur pour l’éteindre, peut-être définitivement d’ailleurs !
L’échec, ça ne pouvait pas être pire comme chanson ! Qu’est-ce que je m’en veux ! Je me prends la tête entre les mains et reste quelques minutes dans mon lit comme tétanisé par ce qui va m’arriver si j’en sors.
Pour essayer de me calmer, je jette un œil furtif au cadre photo qui m’avait manqué. Je découvre une photo de Jessica et moi enlacés sur la plage qui me fend le cœur, avec la maxime « vendredi 14 juin : « Pluie de Saint-Guy, c’est tout l’an qui rit ».
Malgré l’angoisse qui me vrille le ventre, j’essaye d’analyser rationnellement la situation. J’ai rendez-vous avec mon premier partenaire en charge du matériel tout à l’heure et déjà je n’en attendais pas grand-chose, mais là, je vais maintenant tout droit à l’échec visiblement.
Après avoir fait mon rituel du matin, je l’appelle pour essayer de reporter mais il semble soulagé que le rendez-vous n’ait pas lieu et me dit qu’il me rappellera. Au moins c’est clair, je dois trouver un autre partenaire ! Et il ne reste que 6 jours avec un week-end au milieu !
La journée commence vraiment mal et je fais les cents pas sur mon tapis dans mon petit salon. Après, c’est certain que le premier rendez-vous ne s’était pas bien passé et que je ne sentais pas du tout le deuxième frère que j’avais découvert sur place.
Mais même si ce n’était pas très bien engagé, je ne peux pas accepter de voir ma vie se faire balloter au gré des chansons qui arrivent à mes oreilles !
Je recherche donc frénétiquement sur le web les morceaux qui parlent de partenaire. Autant faire simple : « partenaire particulier » du groupe du même nom devrait m’aider à en trouver un nouveau. De partenaire bien sûr. Où puis-je entendre à coup sur cette chanson ?
Je découvre le « kolor bar » qui diffuse des chansons des années 80 en boucle mais il n’ouvre qu’à 14h. J’aurais bien doublé en écoutant Radio Nostalgie en parallèle. Mais avant de tomber sur cette chanson, je risque d’en entendre des centaines d’autres dont je ne mesurerai pas l’effet sur ma vie !
Je finis par trouver une radio locale qui fait encore des dédicaces qui passent à heure fixe : « radio des bois ». Le souci est que le prochain créneau disponible est cet après-midi à 15h. Je m’inscris quand même avec comme phrase à diffuser « pour que les choses rentrent dans l’ordre ». J’imagine que l’animateur radio ne va rien comprendre quand il va la passer ! Même en admettant que cela fonctionne, je n’aurai que très peu de temps pour retrouver un partenaire avec lequel avoir un accord avant mon rendez-vous investisseur de lundi…
Quel stress !
Comme je suis parti pour passer toute la journée à la maison et que mon frigo est vide, il faut que je fasse des courses. Bien sûr, je pense d’abord à me faire livrer mais j’ai besoin de prendre l’air. Je vais devenir fou à tourner en rond dans mon petit appartement.
Où puis-je aller pour ne pas prendre de risques ? Pas dans le supermarché dans la rue derrière qui doit avoir une musique d’ambiance ! Je repense à la petite épicerie de Rachid à deux pâtés de maison. Normalement pas de musique.
J’y vais avec mon casque qui est anti-bruit sur les oreilles pour éviter d’être victime d’une chanson sortie de nulle part. Un frisson me parcourt l’échine en imaginant que je pourrais entendre la chanson « marche ou crève » de Trust ! Cela m’obligerait à arpenter les routes et chemins jusqu’à la fin de mes jours pour ne pas succomber, tel un nouveau Forrest Gump ! Heureusement, ce morceau est réservé à un public d’initiés et j’ai peu de chance de l’entendre dans un centre commercial ou une gare !
J’arrive chez Rachid, je le salue sans enlever mon casque. Ça a l’air calme et en milieu de matinée ce vendredi, je suis le seul client. Je fais rapidement des courses avec steak haché, riz, coca et dans un sursaut de bonne conscience, je prends une boîte de légumes pour couscous et un pot de glace à la fraise pour respecter mes cinq fruits et légumes par jour…
Bien sûr, arrivé à la caisse, Rachid ne peut pas s’empêcher de me parler. Ah le maintien du lien des commerçants de proximité ! Il me demande si j’ai entendu parler de la manifestation prévue ce week-end qui risque de bloquer la route. J’allais lui répondre quand le démarrage tonitruant d’une chanson me fait sursauter. Mais non ! Qu’est-ce que c’est que ça ! En plus ça parle de radeau de la méduse !
- Ah, ce foutu téléphone ! Désolé Monsieur, mais je dois mettre la sonnerie un peu forte pour quand je suis dans l’entrepôt.
- Mais ce n’est pas une sonnerie Rachid, c’est une chanson !
- Ben oui, vous ne connaissez pas « les copains d’abord » de Georges Brassens. Mes parents l’écoutaient sans arrêt à leur retour d’Algérie ! ça ne va pas Monsieur, je vous ai fait peur ?
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