Une station qui ne me rend pas service !
6h un dimanche ! Je suis complétement explosé en arrêtant le réveil. Et ce n’est pas la maxime du cadre connecté qui va me rebooster « dimanche 16 juin : S’il pleut à la Saint-François Régis, le vin diminue jusqu’à la lie ». En revanche, la photo est magnifique avec une Jessica radieuse devant la maison de sa grand-mère justement. Je me dis que c’est un bon présage pour aujourd’hui et je déjeune vite fait et me douche rapidement. Avec ma gueule de déterré, je ne suis pas dans les meilleures conditions pour séduire Jessica, surtout si elle est avec son nouveau mec. Mais bon en même temps, mes cernes appuieront mon côté désespéré et devraient l’attendrir ! Content de ma fourberie, je me dépêche de prendre la route.
La voiture que j’ai réservée en autopartage est garée à quelques rues de chez moi. Le temps de m’installer et de démarrer tranquillement, je me rends compte que le réservoir est presque vide ! Je vais mettre un commentaire bien senti au précédent conducteur qui n’a pas fait le plein avant de redéposer le véhicule.
Je dois trouver une station-service sur la route. Je quitte le centre-ville et m’oriente vers la banlieue ouest pour atteindre l’autoroute qui mène aux bords de mer. Je n’ose même pas mettre les infos à la radio dès fois qu’à la suite d’une grève surprise, France Info se mette sournoisement à diffuser de la musique. Ce n’est pas le moment de tout gâcher, j’ai déjà assez d’enjeux comme ça aujourd’hui !
Et merde ! En parlant d’enjeux, j’ai oublié mon casque anti-bruit en partant précipitamment !
Pas le temps de faire demi-tour si je veux être revenu à l’heure pour le rendez-vous avec mon nouveau partenaire ce soir. Il faut donc que je trouve une station-service sans musique, c’est comme espérer un garagiste ouvert un jour férié ! N’ayant pas beaucoup le choix, je m’arrête à la station-service suivante. C’est une petite aire d’autoroute et bien sûr, la seule pompe en libre-service ne fonctionne pas.
Pris d’une paranoïa panique, moi qui ne maîtrise tout à coup plus rien, je me gare à côté d’une pompe mais n’ose pas sortir de la voiture dès fois qu’une musique d’ambiance soit diffusée dehors.
J’essaye de respirer calmement mais mon cœur continue à accélérer dans ma poitrine. Cela ne me ressemble pas de perdre le contrôle comme cela. Est-ce la fatigue liée au réveil matinal ? L’accumulation des émotions ces derniers jours ? Je dois agir, comme à chaque fois que je suis en difficulté.
Je cherche dans l’habitacle quelque chose que je pourrai mettre dans mes oreilles et je me rends compte que je ne suis pas seul en train de prendre de l’essence.
Je tape sur mon carreau pour attirer l’attention de la personne à la pompe à côté. C’est une gentille dame un peu âgée qui s’approche de ma vitre inquiète. Pour qu’elle m’entende à travers la vitre, je suis obligé de lui demander en élevant un peu la voix si de la musique est diffusée.
Elle repart effrayée prendre de l’essence !
Dépité, je cherche sur la banquette arrière et finis par trouver un vieux chiffon qu’un ancien conducteur a dû laisser là et je le déchire en deux pour m’en mettre un morceau dans chaque oreille. Je sors de la voiture lentement mais en me voyant la dame se précipite à l’intérieur alerter le pompiste.
Seule bonne nouvelle, il ne semble pas y avoir de musique d’ambiance à l’extérieur.
Je peux donc cesser temporairement d’avoir l’air d’un chou-fleur ahuri en enlevant mes deux morceaux de chiffon des oreilles. La dame revient avec le pompiste passablement énervé qu’on l’ait obligé à sortir de sa boutique.
- Vous n’avez rien d’autre à faire que d’importuner mes clients ! Partez tout de suite ou j’appelle la police !
- Calmez-vous, je ne veux aucun mal à qui que ce soit ! C’est juste que j’ai un trouble psychologique assez rare et je ne peux pas entendre de musique, tenté-je d’improviser.
- Je vous en foutrais moi du trouble psychologique ! Soit vous payez d’avance et vous prenez votre essence, soit vous dégagez.
Les vapeurs d’essence se mélangent à son haleine de cigarette et de café. Et il a les yeux injectés de sang de celui qui n’a pas ou peu dormi. J’essaye de jouer l’apaisement car je dois absolument faire le plein si je veux espérer retrouver Jessica. Je prends une voix douce et rassurante d’animateur radio de nuit :
- Je vais payer d’avance et je vous accompagne. Par contre, j’ai besoin de savoir s’il y a de la musique dans votre boutique.
- Bien sûr qu’il y a de la musique et n’espérez pas que je la coupe pour vous. Et si ça ne vous convient pas, vous dégagez !
La dame qui était repartie vers sa voiture semble finalement attendrie par mes problèmes et elle lance avant de rentrer dans son véhicule :
- Rassurez-vous Monsieur, c’est juste de la musique classique et elle n’est pas forte du tout.
Soudainement très inquiet, je me tourne alors spontanément vers le pompiste :
- Vous pouvez me dire le titre de ce qui est diffusé ?
En voyant sa tête, j’eus immédiatement envie de retirer ma question !
- Écoutez, j’arrête de vous importuner, je suis désolé, je vous accompagne.
En le suivant vers la boutique de la station, j’essaye de me raisonner en me disant que de la musique classique, c’est normalement sans risque.
Mais comme je n’y connais rien en musique classique, j’ouvre quand même discrètement l’appli de reconnaissance musicale sur mon téléphone en entrant dans la station-service et vais tout de suite payer le pompiste avant qu’il ne m’en mette une. Il est tendu comme un string.
Sorti de la boutique, je jette un œil à mon téléphone : « Grande polonaise brillante » de Chopin !
Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de cette information ! Et depuis quand les stations-services diffusent des morceaux inconnus de Chopin !
Après avoir fait le plein, je reprends la route, pas plus avancé sur ce que j’allais pouvoir dire à Jessica.
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