L'amour malgré tout, version 1
Aubin rencontra Charlène pour la première fois à la terrasse d’un café, après des semaines à se parler au téléphone. Ils s’aimaient déjà sans même avoir eu l’occasion de vivre l’un avec l’autre. Cette boisson prise ensemble confirmait ce qu’ils ressentaient déjà : un fol amour. Aubin sut qu’elle était la femme de sa vie et Charlène reconnut en lui l’homme qu’elle rêvait d’épouser. À un détail près. Aubin ne supportait pas l’odeur corporelle de Charlène.
Totalement épris d’elle, Aubin noua avec elle toutes les relations possibles, s’installant chez elle, découvrant dans son lit une sexualité qu’il n’avait jamais imaginée. Il était heureux avec elle. À un détail près. Le parfum de sa peau. Une peau lavée quotidiennement, une peau parfumée, une hygiène irréprochable. Sous les effluves artificiels d’une femme coquette, Aubin percevait une odeur qui le dégoûtait.
Ils eurent très vite un enfant, des projets ensemble, des repas de famille, des vacances sur la côte. Cette même odeur agressait les narines d’Aubin, jaillissant de l’épiderme du petit Hugo comme de celui de sa mère. Par bonheur, un virus planétaire ravagea le monde pendant trois années. Aubin n’échappa pas à la vague et perdit l’odorat. Il ne sentait plus rien. L’odeur de Charlène et d’Hugo n’était plus qu’un vague souvenir. Tandis que ses proches s’apitoyaient sur son sort, en secret il priait pour que la perte de ce sens dure le plus longtemps possible.
On trouva un traitement, un médicament miraculeux permettrait de soigner son anosmie. Charlène se réjouissait des résultats à venir. Aubin élaborait des stratégies pour faire semblant d’avaler ses comprimés et rater des rendez-vous avec l’ORL. Hélas pour lui, sans qu’il ne puisse rien y faire, son cas avait été médiatisé par le grand professeur de médecine qui traitait son problème.
Y avait-il une solution pour que l’odeur de Charlène change, pour que la signature de son corps puisse être modifiée ? Aubin consacra des années à cette question. Ne plus avoir d’odorat constituait pour lui un handicap insupportable. Mais plus acceptable que de ressentir cette aversion pour les senteurs familiales.
En errant sur internet à la recherche d’une solution, il découvrit horrifié une hypothèse qui le glaça. La nature étant bien faite, comme chacun le sait, les odeurs corporelles peuvent être le signe d’un lien de parenté lorsqu’elles constituent un repoussoir entre deux personnes. Charlène pouvait-elle être une parente éloignée ?
Un matin, le parfum d’une fleur chatouilla les narines d’Aubin. Il s’approcha du cou de Charlène et y déposa un baiser. L’odeur qui l’avait hanté toutes ces années avait disparu. Il ne parla jamais à sa famille de ce qui lui était arrivé.
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