Chapitre 7

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Heera s'entretenait avec son père au sujet du contrat concernant la construction de l'orphelinat. Dans cet immense bureau, où seul Aymeric et sa fille pouvaient entrer, elle était libre de discuter sans cette impression d'insécurité constante. Cette pièce dégageait une chaleur, une paix qu'il n'y avait pas dans les autres chambres du château.

Heera relisait les conditions d'acquisition lorsque son père, fin observateur, lui demanda la raison de son mutisme, mais elle le devança en demandant :

- Papa, t'es-tu marié par amour ?

Surpris par sa question, Aymeric ne répondit pas tout de suite. Il la regardait mais son esprit s'envolait vers une époque de bonheur révolue.

- Non, il s'agissait d'un mariage de convenance.

- N'as-tu rien fait pour l'en empêcher ? Pourquoi n'as-tu pas refusé ce mariage ?

Aymeric resta silencieux, envahi par le remords. Heera disait tout haut ce qu'il pensait depuis des années, il s'en voulait d'avoir abandonné les recherches pour retrouver la femme qu'il aimait. Malheureusement ses parents l'avaient trouvée bien avant lui et avaient servi leurs propres intérêts en la faisant disparaître. Depuis le souvenir d'Anja ne cessait de le hanter, elle lui avait laissé le plus beau cadeau qu'un homme puisse avoir, une merveilleuse fille.

Heera l'observait de plus en plus inquiète, l'attitude de son père était très étrange.

- Écoute Heera, à l'époque, les choses étaient différentes. Il s'agissait d'une autre mentalité. Il s'est passé bien des événements que moi-même je n'ai pas réussi à contrôler. Mais sache une chose, je l'aime toujours, elle est présente dans mon cœur depuis vingt ans déjà et cela ne va pas changer, même mon mariage avec Anise n'a pu effacer son souvenir.

- Tu espères la revoir un jour ?

- Chaque jour que Dieu fait, je prie pour la revoir, mais je sens au fond de moi que le moment approche...Peut-être est-ce tout simplement mon imagination ?

Il cacha son inquiétude derrière un léger sourire. C'était bien la première fois qu'il abordait ce sujet, surtout avec sa propre fille, mais quelque part, il était soulagé.

- Pourquoi me poses-tu cette question ? Demanda-t-il.

- Non...Comme ça, par curiosité...Je voulais savoir si tu avais eu un mariage d'amour comme on en voit dans les romans !

Elle tenta d'être convaincante, mais en vain, elle se sentait toujours faible devant l'œil perçant de son père.

- Ma chérie, tu ne vas pas me convaincre de cela et tu le sais parfaitement, alors pourquoi essayer ?

Sur cette réponse, elle rigola pensant que son père avait raison.

- Eh bien ! Plus j'observais Anise, moins je comprenais ton mariage avec elle ! Vous n'avez rien en commun !

- Tu comprendras un jour, Heera. La vie n'est pas comme dans un conte et parfois elle prend une tournure imprévue...Par ailleurs, j'aimerais aborder un sujet assez délicat avec toi. Je pensais à rechercher ta mère biologique.

Aymeric appréhendait la réaction de sa fille face à cette proposition incongrue. Heera regardait son père, elle était à la fois surprise et émue, elle avait toujours pensé que ce dernier serait contre. Elle sauta à son cou, ne pouvant contenir sa joie.

- Je suis tellement heureuse que tu me l'aies proposé. J'hésitais à t'en parler de peur que tu ne le prennes mal.

- Mais dis-moi, n'as-tu vraiment aucun indice, aucun souvenir la concernant ?

À cette question, Heera hésitait à se confier. Devait-elle lui dire à propos de la lettre ? Comment allait-il le prendre ? Toutes ces interrogations longtemps refoulées revinrent à la surface à l'approche du moment fatidique.

Une longue hésitation précéda la réponse de Heera.

- ...Maman m'a laissée une lettre, afin que je puisse comprendre la raison de son acte et lorsque j'étais en âge de le faire je l'ai lue... J'attends toujours qu'elle revienne et je sais qu'elle viendra me chercher.

- Est-elle encore en ta possession ? La lettre ? Demanda-t-il en maîtrisant l'excitation qui grandissait en lui.

- Oui. Attends, je vais la chercher.

Aymeric n'était pas fou, il la reverrait bientôt, ce n'était plus qu'une question de temps. Il se sentait comme à ses vingt ans, envahi d'une passion fraîchement éclose. Il repensait à sa jeunesse insouciante, à sa relation avec Anja. Il l'aimait d'un amour si fort, si sincère qu'il voulait que sa fille découvre également l'amour parfait, celui qu'on connaît une seule fois dans sa vie, notre moitié dans ce bas monde.

C'est à ce moment qu'Heera revint avec la lettre.

- La voilà !

- Très bien merci ! Maintenant si tu veux bien me laisser, je la lirai et te la rendrai après.

Elle trouva cela étrange mais ne dit rien, elle prit les dossiers et s'en alla. Aymeric ferma la porte à clé ne voulant pas être dérangé. Une fois installé derrière son bureau, il entreprit sa lecture. Au premier mot de la lettre, il reconnut la belle écriture d'Anja. Un frisson le parcourut tout entier.

Ma chère Heera,

Avant que tu ne me reproches quoi que se soit, j'aimerais que tu connaisses l'histoire de ta mère.

J'avais 19 ans lorsque je l'ai connu, c'était le plus bel homme qui m'ait été donné de voir. Il dégageait un tel charme, une telle beauté à faire tomber bien des femmes et pourtant c'est sur moi qu'il porta son magnifique regard ensorcelant. Moi, fille de commerçants indiens, de basse classe. Il est nul besoin de te préciser, ma chérie, qu'il appartenait à la haute société.

À cette époque, une union entre deux classes différentes était presque inconcevable mais j'étais jeune et j'avais une telle envie de vivre que je ne prêtais guère attention aux rumeurs qui pouvaient bien circuler.

Cependant notre amour fleurissait et devenait de plus en plus fort chaque jour. Je l'aimais d'un amour si profond, si pur que j'aurais pu donner ma vie pour lui.

Plus le temps passait plus je nous voyais nous diriger vers une relation incertaine. Il voulait tout quitter pour moi et je ne voulais pas qu'il le fasse. Notre relation qui était jusqu'alors restée secrète, fut découverte par ses parents qui essayèrent par tous les moyens de nous séparer. À chacune de leurs tentatives, nous réussissions à nous en délivrer. Je trouvais toujours la force de leur résister, en voyant ton père s'acharner également, afin que nous puissions rester ensemble. Il me donnait la volonté nécessaire de lutter.

Mais le destin en a voulu autrement, j'appris peu de temps après que j'attendais un heureux événement, un enfant. Toi ma chérie ! Ta venue m'emporta dans un autre monde, j'apercevais un nouvel avenir pour nous. Malheureusement ma joie fut de courte durée, par des moyens détournés, les parents de ton père apprirent ton existence et décidèrent de faire pression sur moi, menaçant ainsi ta vie. Ma décision fut très dure à prendre. J'aurais très bien pu prévenir ton père, mais je ne voulais pas mettre un frein à son avenir prometteur.

C'est pourquoi je me suis enfuie, sans que personne ne le sache. Mon enfer allait commencer et je t'entraînais avec moi dans mon malheur. Dans ma situation sans diplôme, je réussis tout de même à trouver un travail avec un salaire peu élevé surtout pour accueillir un enfant.

Mes parents m'avaient effacée de leurs existences. Je me retrouvais seule, sans personne pour me soutenir. Je pensais qu'au fil du temps tout se passerait pour le mieux. Cependant avec le maigre salaire que je recevais, je m'inquiétais de plus en plus pour ton avenir, Heera. J'ai choisi ce prénom car il signifie « diamant », ce que tu es dans ma vie, ma fille.

C'est la raison pour laquelle je t'ai placée dans un orphelinat, je ne voulais pas que tu perdes de ton éclat scintillant en vivant dans de mauvaises conditions. Et je veux que tu grandisses dans les meilleures conditions possibles. Je sais que ce ne sera pas facile pour toi, la société ne manquera pas de te rabaisser, mais le seul conseil que je peux te donner, ma fille, c'est d'affronter la vie avec courage et dignité sans jamais regarder en arrière et tu verras, le temps donnera raison à ton comportement présent.

Les actes que nous faisons dans le passé reviennent inexorablement dans le présent, c'est pourquoi je sais que mon fardeau sera encore plus lourd à porter. Je te place dans cet orphelinat mais je reviendrai te chercher quand ma position sera plus stable et meilleure pour toi.

Néanmoins, je veux que tu saches que ton père et toi êtes la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. Et je te jure qu'un jour nous serons à nouveau ensemble et pour toute la vie.

Quand tu liras cette lettre, j'espère que tu pourras comprendre l'horrible décision que j'ai dû prendre. Si je ne t'avais pas placée dans cet orphelinat, les parents de ton père auraient pu te tuer, je les en crois capable.

Mais j'ai foi qu'un jour, je puisse obtenir ton pardon ainsi que celui de ton père que j'aime tant et qu'on puisse à nouveau être ensemble.

Puisses-tu un jour me pardonner, ma chère Heera.

Ta mère qui t'aime,

ANJA

Lorsqu'il eut fini la lettre, Aymeric ne put contenir ses larmes, il ressentait tout le désespoir qui avait tiraillé sa bien-aimée dans cette horrible décision. Il se remémora cette époque passée, leurs forces unies afin de déjouer les plans de ses défunts parents, leur amour avait réussi à surmonter les barrières dressées contre eux. Il était vraiment prêt à tout abandonner pour la suivre et il s'était toujours demandé jusqu'à maintenant pourquoi elle avait fui après avoir tant lutté ?

Près de vingt après, il avait enfin la réponse. Comment peut-on se battre lorsqu'il y a un enfant en jeu ? Elle ne pouvait pas mettre cette vie précieuse en danger.

Dans le magnifique regard d'Aymeric se devinait tout l'amour qu'il portait à Anja. Sa physionomie changea radicalement. L'expression dure laissa place à une chaleur qui le rendait encore plus séduisant et ce, malgré son âge. La seule personne capable de faire fondre ce masque de glace était bien Anja.

Il sortit de son tiroir, qu'il fermait à clé, une photographie. En dépit du temps, on apercevait malgré tout le visage d'une jeune indienne qui souriait et semblait éclairer le monde autour d'elle. Ses yeux en amande noirs pétillaient d'amour intense pour celui qui prenait le cliché. Ses beaux cheveux encadraient magnifiquement son visage cuivré.

« Mon amour ! Ma vie ! Je t'aime toujours Anja ! Quand viendra le jour où je te reverrai ? »

Longtemps, il contempla la physionomie de la jeune femme et se remémora leur rencontre.

Il faisait beau, dans le parc situé à proximité du château dans lequel vivait Aymeric avec ses parents. Voulant se soustraire à l'atmosphère pesante de la demeure ancestrale, il décida de se rendre dans le parc afin de respirer librement. Assis sur un des bancs qui longeaient l'allée principale, il ferma les yeux offrant ainsi son beau visage à l'air pur de la nature. Aymeric se sentait, petit à petit, envahi par la paix, lorsqu'il entendit brusquement :

- Monsieur ? Monsieur ? Vous sentez-vous bien ? Dois-je appeler un médecin ?

En même temps, il était secoué vigoureusement. Alors il ouvrit les yeux, en colère prêt à remonter celui qui l'avait gêné dans sa tranquillité, mais son humeur disparut dès qu'il vit la plus belle des femmes qui se tenait devant lui, le regard inquiet.

La jeune femme de type asiatique représentait la beauté personnifiée, des yeux d'une pureté incomparable, une bouche parfaitement dessinée à faire désirer plus d'un homme, ses magnifiques cheveux relevés en chignon montraient un cou de cygne ; en un mot, la femme parfaite, du moins pour Aymeric.

Celle-ci se rendant compte de son attitude exagérée ne put qu'esquisser un sourire gêné.

- Je vous prie de m'excuser, monsieur, mais en vous voyant ainsi les yeux fermés je me suis dit que vous faisiez un malaise. Encore mille excuses, dit-elle d' une voix embarrassée.

Subjugué, il ne répondit pas tout de suite. Il était complètement fasciné par cette jeune femme. Il se dégageait de sa personne un charme pouvant attirer n'importe quel homme.

Aymeric essaya de se concentrer sur ce qu'elle disait mais en vain, il ne pouvait s'empêcher d'admirer les contours de son beau visage indien. Cependant il réussit à placer quelques mots.

- Ce n'est pas bien grave, mademoiselle. Nous pouvons tous faire des erreurs.

À ces mots, la jeune fille esquissa un léger sourire, comme soulagé.

- Je ne vais pas interrompre plus longtemps votre tranquillité, sur ce je vous souhaite une agréable journée.

Avant qu'il n'ait pu répondre, la jeune femme s'en alla en le laissant stoïque. Aymeric se rappela de ce moment avec mélancolie. Il ne savait comment la retrouver mais le destin s'en est chargé et la mit sur sa route comme par enchantement.

À partir de ce moment, leur relation a commencé pour finir par cette lettre laissée à leur fille unique.

« Diantre ! Ressaisis-toi, Aymeric, il ne faut plus s'apitoyer sur son sort. Maintenant il faut que je m'occupe de ma fille. Pour l'instant je ne vais pas lui dire qu'elle est ma fille biologique, cela attendra encore. »

Lorsqu'il se rendit à la chambre d' Heera, Aymeric croisa Anise qui voulait s'entretenir avec lui. Dans le petit salon qui juxtaposait l'entrée principale, elle n'attendit pas qu'il soit correctement installé pour lui faire des remontrances.

- Aymeric, je n'en peux plus avec Heera, elle me désobéit constamment et ose me tenir tête dans ma propre maison. Si tu n'agis pas au plus vite, elle pourrait créer des difficultés plus tard.

Anise évita soigneusement l'épisode de leur altercation afin de se donner le bon rôle. Mais cela ne prenait pas avec son mari, qui connaissait parfaitement sa femme.

- En quoi, peux-tu me dire, est-elle désobéissante ? Demanda-t-il catégorique, sachant pertinemment que cela n'était pas le cas.

- ...Elle n'écoute simplement pas ce que je lui dis, ni fait ce que je lui demande, reprocha-t-elle cyniquement, elle se croit tout permis alors qu'elle n'est pas de notre famille.

Sa haine, qu'elle cachait aux yeux de la société, envers sa fille adoptive se dévoilait petit à petit, alors qu'elle tentait de la dissimuler. Et c'est sans surprise qu'Aymeric put y lire ce qu'il avait deviné depuis qu'il avait amené Heera dans cette maison.

- Tu la détestes tant que cela ? Demanda-t-il avec mépris.

Anise, pour toute réponse, haussa les épaules.

- Là n'est pas la question...elle prend trop de place, je n'ai plus d'autorité sur le château. C'est moi la maîtresse de maison et ...

- En voilà assez ! Je t'ai laissé la direction de cette maison en espérant que tu y fasses un havre de paix, une mission où tu as d'ailleurs échoué...J'ai longtemps fermé les yeux sur tes dépenses extravagantes, mais je ne vais plus te laisser prendre du bon temps alors que je me tue au travail...

Anise allait répliquer, cependant Aymeric continua sur sa lancée.

- Une dernière chose, je t'interdis formellement de te mêler de la vie d' Heera. J'ai toute confiance en elle. Elle est assez grande maintenant pour diriger sa vie comme elle l'entend ! La seule à qui elle devra rendre des comptes, c'est moi et personne d'autre.

Tant de colère émanait de sa voix, il avait fermé les yeux depuis trop longtemps déjà, il était temps d'y remédier. Anise, effrayée par l'intensité de son regard, ne se laissait pas piétiner.

- À t'entendre, tu n'aurais qu'une fille ! Tu oublies Belle qui est de ton sang ! Tu préfères cette misérable orpheline plutôt que ta propre fille ?

En un éclair, sans qu'elle puisse s'en apercevoir, son mari la gifla. Durant quelques minutes, elle resta stoïque la main sur sa joue rougie, jamais Aymeric n'avait levé la main sur elle. Alors pourquoi maintenant ? Blessée dans son orgueil, Anise jeta sur son mari un regard à faire frémir un criminel, mais Aymeric ne se laissa pas impressionner. Il semblait peser ses mots tout en essayant de contenir sa colère.

- Plus jamais tu n'insulteras Ma fille sous mon toi ! Si tu n'es pas de mon avis, tu peux toujours t'en aller ! J'ai déjà supporté bon nombre de tes caprices...Quant à Belle, elle est devenue ton portrait vivant, tu en as fais un pantin que tu pourrais contrôler, je n'ai plus aucune influence sur elle. Par ta faute, elle est devenue capricieuse, gâtée et surtout ne respecte plus ses aînés.

Lui lançant un dernier regard effrayant, il s'en alla, claquant violemment la porte. Anise fixa la porte, sans comprendre l'attitude de son mari. Pourquoi avait-il réagi de la sorte ? Elle pensait avoir un contrôle absolu sur lui.

Une fois l'émotion passée, Anise retrouva son dynamisme. La colère, qui s'était effacée devant celle de son mari, refit surface plus violente encore.

De rage, elle lança à travers la pièce le beau vase de chine qui se trouvait sur la petite table près d'elle.

- Je ne vais pas me laisser faire, Aymeric. Je reste la seule maîtresse de ce château. Tu ne m'éloigneras pas aussi facilement. J'obtiens toujours ce que je désire, peu importe comment, peu importe qui, je finirai par satisfaire mes ambitions et personne ne pourra m'en empêcher, gronda-t-elle d'une voix remplie de colère.

« Pourquoi prenait-il autant la défense d' Heera ? Elle devait à tout prix découvrir la raison de ce comportement. Il n'y avait plus de temps à perdre, cette petite peste a déjà pris trop d'avance. Il est temps que je prenne les choses en main, cela ne pouvait plus continuer ainsi

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