Chapitre 8
Très loin de ces manigances, aux Etats-Unis, se tenait dans la salle de réunion, le conseil d'administration du groupe REALYS, l'une des plus grandes firmes internationales spécialisées dans le milieu informatique. À ses débuts, ce n'était qu'une petite entreprise experte dans les logiciels informatiques.
Petit à petit, la société prospéra et gagna en grandeur et puissance, maintenant elle était devenue un pilier important dans le monde informatique. L'entreprise qui était nationale devint mondialement connue. Leur atout majeur était d'acquérir des entreprises, petites ou grandes, et d'obtenir la moitié de leurs bénéfices. Si une entreprise était achetée par le groupe, elle était libre, mais devrait rendre des comptes au siège principal. Grâce à ce système, la réussite s'ouvrait à eux.
La personne qui était à l'origine de ce développement se trouvait être une employée embauchée à mi-temps, elle occupait le service des courriers.
Intelligente, elle comprit que la société pourrait rapidement prospérer. Cette perspective lui valut une promotion. Les jours se transformaient en semaine puis en mois et enfin bien des années après, elle se retrouvait maintenant à la tête de ce grand empire économique.
Vingt ans déjà s'étaient écoulés, la firme avait gagné en grandeur et puissance. Assise à l'extrémité de la table de réunion, Anja écoutait attentivement les nouvelles propositions concernant les perspectives à venir de l'entreprise. Quand soudain, elle prit la parole.
- Messieurs, je vous donne entièrement raison pour investir dans de nouveaux domaines mais encore faut-il choisir les bons...Si vous avez des propositions, allez-y, dans le cas contraire nous ajournerons cette réunion, continua-t-elle d'une voix catégorique.
N'obtenant aucune réponse, elle ajouta :
- Très bien, nous continuerons cette assemblée la semaine prochaine.
Sans plus attendre, elle se leva la première et prit la direction de son bureau. Tant de classe émanait de sa personne qu'elle envoûtait tout son entourage y compris le conseil d'administration qui était sous son charme.
Installée dans son imposant fauteuil, Anja admira la vue panoramique de la ville qui s'offrait à elle. Son regard se plongea dans ce ciel sans nuage et des souvenirs enfouis resurgirent. Vingt ans ont passé, elle n'a pu revoir sa fille comme elle l'avait prévu. Sa colère était sans borne lorsque les sœurs l'avaient informée que la petite Heera avait été adoptée par des aristocrates influents.
Bien qu'elle ait réprimandé la mère supérieure, elle n'avait pu obtenir des informations sur les adoptants de sa fille. La lettre qu'elle lui avait laissée était une bien maigre consolation.
Que devait penser Heera ? Elle lui avait promis de revenir et pourtant vingt ans après, elles étaient toujours séparées. Chaque jour que Dieu faisait, elle payait le prix de son acte. Mais au fond d'elle, Anja sentait que sa pénitence touchait à sa fin et qu'elle allait bientôt revoir sa fille. Bien qu'elle montrât une parfaite indifférence en société, elle souffrait intérieurement.
Après d'énormes efforts, elle avait réussi à gravir les échelons bien malgré elle. Anja avait amassé une fortune colossale plus qu'elle ne l'avait espéré. Durant ces dernières années, elle était passée par de dures épreuves aussi bien physiques que morales. Non seulement elle n'était pas acceptée en tant que femme dans ce milieu entièrement masculin mais elle subissait des discriminations. Elle se relevait à chaque chute et devenait plus forte.
Après la mort du directeur, ce dernier l'avait désignée comme successeur. Bien que réticent le conseil s'aperçût bientôt qu'elle avait les compétences pour ce poste et ne doutèrent plus jamais de ses décisions.
En remontant dans ses souvenirs, elle repensa à son histoire avec Aymeric, leur amour, leur folle aventure. Elle l'aimait encore malgré le temps qui s'était écoulé, son cœur le réclamait toujours aussi fort. Qu'était devenu Aymeric depuis leur séparation ? S'était-il marié ? Avait-il fondé une famille ?
Ses questions la hantaient depuis fort longtemps déjà, même si intérieurement elle savait qu'il avait refait sa vie et fondé une famille. Alors qu'elle, se trouvait seule à un tournant important de sa vie.
Bien qu'elle n'ait laissé aucun homme indifférent, elle ne voulait pas commencer une relation avec quelqu'un.
Son esprit retournait vers un passé révolu mais elle réussit à le faire revenir vers la réalité.
Appuyant sur l'interphone, elle appela Velkan. Un homme apparut, proche de la quarantaine, musclé avec une séduction certaine. Le blond de ses cheveux brillait à la lueur du soleil, ses yeux gris perçants ne laissaient personne indifférent.
- Velkan, je t'ai appelé afin de te demander les résultats concernant la mission que je t'ai confiée, demanda-t-elle prestement.
- J'ai les obtenus avec beaucoup de difficultés. Mais j'ai fini par trouver où se trouve Heera.
Anja sauta de son fauteuil et courut près de lui, elle le pressa de répondre. Elle n'en pouvait plus d'attendre. Son sang bouillait littéralement, après toutes ces années, elle allait revoir sa fille.
- Qu'as-tu trouvé ?
- Elle a été adoptée par Aymeric De Peyrac, qui avait déjà une fille prénommé Belle. La petite Heera, qui était devenu aveugle à cause d'un accident à l'orphelinat, n'est pas appréciée par Anise, la femme d'Aymeric. Les rumeurs disent qu'elle la déteste car son mari la préfère à sa propre fille...D'après ce que j'ai observé, cette femme voue une haine féroce à Heera qui ne se laisse pas faire. Elle aide son père dans l'entreprise et est appréciée par son entourage. J'ai noté l'adresse dans le dossier.
Anja cilla mais réussit, de justesse, à s'agripper à son bureau. Velkan s'élança pour la soutenir mais elle se ressaisit juste à temps.
- Ça va mieux. Laisse-moi le dossier, je vais le lire. Merci, tu as grandement réussi ta mission. Va maintenant, je veux être seule.
Une fois qu'il fut parti, elle se laissa tomber dans le beau sofa en cuir beige. Elle n'en revenait toujours pas. Le destin lui jouait-il un mauvais tour ?
« Heera a été adoptée par son propre père ! C'est vraiment incroyable !»
Elle n'avait cessé de penser que sa fille était seule alors qu'en réalité elle vivait avec son père biologique. Sa pénitence était enfin terminée, après vingt longues années. Elle fixa du regard le dossier que Velkan avait laissé, une fois de plus il venait à son secours. Elle lui était redevable de bien des services qu'il lui avait rendus. Anja se souvenait encore de leur rencontre.
Elle venait d'arriver aux États Unis et avait trouvé un petit studio dans le quartier de Manhattan. Elle essayait désespérément de trouver du travail, ce qui n'était guère facile car elle n'avait aucune qualification.
Cet après-midi-là, elle avait reçu pour la trentième fois, une réponse négative. Son moral était au plus bas, ses économies descendaient à une vitesse incroyable. Anja avait décidé de se promener dans le parc afin d'échapper à ses soucis du moment.
Elle longeait l'allée principale lorsqu'un mouvement dans les buissons, qui recouvraient les murs, attira son attention. Intriguée elle s'approcha pour mieux voir et aperçut un homme habillé en noir, la tête recouverte d'une cagoule. On aurait dit qu'il attendait. Il ne faisait ni bruit ni mouvement, on aurait cru qu'il se fondait dans la nature.
Très lentement, elle s'en alla, espérant qu'elle n'avait pas fait de bruit. Anja se croyait dans un film policier, elle rebroussait silencieusement chemin lorsqu'elle aperçut un autre homme qui venait dans la direction opposée à la sienne. Il marchait avec nonchalance. Il se dégageait de lui un tel charisme, qu'il était difficile à Anja de détourner les yeux.
À ce moment, l'homme en noir fit un mouvement. C'est donc lui qu'il attendait. L'individu pointa son arme. La suite se poursuivit plus vite qu'elle ne pouvait imaginer. Anja s'élança vers l'homme et ensemble ils tombèrent lourdement sur le sol au même instant une détonation se fit entendre.
Anja respira avec difficulté, des sueurs froides coulant le long de sa tempe. Elle venait d'échapper à la mort et essayait de se lever mais ses jambes refusèrent de lui obéir. Elle osa enfin regarder l'homme qu'elle avait sauvé. Anja fut frappée par l'éclat de ses yeux, malgré les événements qui venaient de se passer, ils gardaient leur froideur, comme s'il en avait l'habitude.
- Vous...Vous n'êtes pas blessé ? Demanda-t-elle maladroitement.
Il la regarda longuement avant de répondre :
- Je vais très bien, grâce à vous, je vous en remercie mademoiselle.
Il se pencha et lui fit un baisemain.
- Puis-je connaître le nom de celle qui m'a sauvé ? Ajouta-t-il en souriant légèrement.
- Anja !
- C'est vraiment un très beau prénom, originaire de l'Inde, n'est-ce pas ?
- Tout à fait ! ...Désolée, mais je dois partir, il est déjà tard. Je n'ai que trop tardé.
- Puis-je au moins vous déposer ?
- Non merci, ce n'est pas nécessaire. Au revoir.
Aussi rapide qu'elle fût arrivée, Anja s'en alla sous le regard étonné du jeune homme. Elle avait eu son compte d'émotions pour la journée, tout ce qu'elle voulait maintenant, c'était caresser la douceur de son lit et de plonger dans un sommeil réparateur.
Le lendemain, Anja se réveilla en pleine forme, elle avait repris confiance en elle. La jeune femme n'allait pas baisser les bras, elle le devait pour sa fille. Avec courage, elle passa toute la journée dans les entretiens, finalement la chance lui sourit lorsqu'une société l'embaucha au service des courriers.
A partir de ce moment, tout s'enchaîna, elle avait revu celui qu'elle avait sauvé, il s'appelait Velkan, il était le leader d'un cartel de drogue et voulait se retirer des affaires mais on n'échappait pas aussi facilement à ce monde. Ce devait être la dixième fois qu'il était la cible d'assassins envoyés par le cartel. C'est dans ce sens qu'Anja l'aida. Elle le cacha et personne n'entendit plus parler du chef de la mafia, Velkan lui en serait toujours reconnaissant.
Depuis il ne la quittait plus et restait avec la jeune femme, il était en même temps son ami et associé. Anja ne le remercierait jamais assez pour tous les services qu'il lui avait rendus.
Ce n'était pas le moment de rêvasser, elle devait retrouver au plus vite sa fille, elle prit le dossier et chercha où Velkan avait noté l'adresse. Sans perdre de temps, elle appela l'aéroport afin que son jet privé soit prêt dans l'heure qui suivait. Elle réserva une suite au Royal Hôtel puis donna les directives afin de pouvoir continuer la gestion de la société même en étant en France. Une fois cela fait, elle partit directement à l'aéroport accompagné de Velkan. Cela faisait déjà vingt ans qu'elle espérait pour que ce jour arrive enfin. Elle était proche de sa fille, il n'y avait pas à hésiter.
Installée sur le siège en cuir sofa, Anja ne put retenir les battements saccadés de son cœur, plus l'avion approchait de la France plus l'anxiété la gagnait.
- Calme-toi Anja ! Cela ne t'avancera pas, au contraire, dit Velkan en voyant le visage angoissé de son amie.
- Tu as raison, ça ne sert à rien de se mettre dans des états pareils, admit-elle en souriant légèrement.
*
* *
Heera lisait tranquillement dans la grande bibliothèque du château, lorsque Belle, croyant y trouver sa mère, entra.
- Oh c'est toi ! Dit-elle avec un certain dédain. N'aurais-tu pas vu mère ?
- Non, lâcha Heera catégorique, avant que tu ne partes j'aimerais savoir, pourquoi te laisses-tu manipuler par Anise ? N'as-tu pas de volonté propre ? Ne possèdes-tu pas tes propres ambitions ? Oh, je sais bien que tu ne m'aimes pas en tant que sœur, mais je voulais simplement savoir la raison pour laquelle tu restes le pantin d'Anise sans réagir, ajouta-t-elle calmement.
Heera vit une lueur d'hésitation dans le beau regard bleu de sa sœur. Elle venait de briser le mur qui bloquait la raison de Belle. Elle semblait réfléchir à chaque mot qu'avait prononcé Heera. Cette dernière, après avoir semé le doute dans l'esprit de Belle, s'en alla sans ajouter un mot. Heera se trouva dans sa chambre lorsque le téléphone sonna.
- Heera ? C'est Philippe. As-tu des projets pour ce soir ?
- Non, je n'ai rien prévu.
- Very good ! Dans ce cas je passe te prendre à 19H00 chez toi, dit une voix enjouée.
- Non attends, dis-moi plutôt le lieu et je viendrais te rejoindre, répondit-elle.
- Cela ne sert à rien de nous cacher plus longtemps, Heera. Donc je viendrais te chercher alors à ce soir.
- Attends...
Il avait déjà raccroché.
Décidément, il en faisait toujours à sa tête. Quand elle pensait au jeune homme, elle ne pouvait s'empêcher de sourire. Il enflammait son cœur à tel point qu'il était devenu difficile pour elle de faire taire ce sentiment qui l'assaillait. Elle l'aimait un peu plus chaque jour et c'était probablement un amour à sens unique.
Resterait-elle juste une amie pour lui ? Que pouvait-elle espérer de plus avec un homme comme Philippe ?
Heera était pleine d'incertitude le concernant. Pour l'instant, elle devait se préparait à son rendez-vous. Elle alla devant son armoire et sortit toutes les robes qu'elle pouvait porter.
L'après-midi passa rapidement et la vieille horloge sonna 19h00. Heera se regardait une dernière fois dans le miroir qui ornait sa coiffeuse. Elle avait finalement opté pour une robe longue en bustier de couleur beige qui mettait en valeur ses formes voluptueuses. Elle fit un chignon assez haut qui la rendait plus belle encore. Son regard était accentué par le khôl qui entourait ses magnifiques yeux en amende. Satisfaite de l'image qui se reflétait dans le miroir, elle descendit. Elle ne voulait en aucun cas qu'Anise puisse croiser Philippe.
Ce dernier, dans sa mercédès grise, arriva à l'heure exacte. Il était séduisant dans son smoking noir qui dévoilait son imposante musculature, ses cheveux encore humides accentua sa virilité. Philippe, au lieu d'attendre dans la voiture, sortit et sonna à l'immense porte. Un domestique vint ouvrir.
- Mademoiselle Heera m'attend.
Le domestique s'inclina et le dirigea vers un salon mais Anise arriva au même moment et s'empressa d'accueillir son invité.
- Bonsoir, monsieur le Comte. Que nous vaut l'honneur de votre visite ? Demanda-t-elle d'une voix mielleuse.
- Bonsoir, madame. J'ai rendez-vous avec votre fille.
- Comment ? Vous sortez avec Belle ? Mes félicitations, c'est une charmante fille. Vous avez fait le bon choix, répondit Anise avec ravissement.
Enfin, ses plans prenaient forme. Tout n'était pas perdu.
- Vous vous trompez, madame, je viens chercher Heera, contredit-il en souriant légèrement.
Anise resta stoïque pendant quelques secondes avant de répliquer :
- Eh bien...On m'a relaté votre goût prononcé pour les femmes, mais je vois qu'il n'en est rien, argua-t-elle de rage contenue.
À cette réplique, Philippe la darda d'un regard glacial qui la fit frémir.
- Je n'ai pas à discuter mon choix avec une tierce personne. Cela ne vous regarde en rien que je sache, vous avez toujours maltraité votre fille.
- Je vois elle s'est plainte, fulmina Anise, il ne faut pas croire ce qu'elle raconte.
- Votre jeu ne prend pas avec moi, madame. À l'avenir abstenez-vous de dire du mal d'Heera devant moi ou je ne répondrai plus de rien, menaça Philippe froidement.
Anise voyait ce beau visage sérieux prendre la défense de cette fille et sa haine se décupla. Vaincue, elle hocha les épaules pour toute réponse et s'en alla. Au même instant, Heera descendit les escaliers. Elle était magnifique habillée ainsi. Philippe la fixa ahuri. La jeune femme était sublime et ressemblait à une déesse qui descendait parmi les mortels.
Le jeune homme réussit à se ressaisir et s'approcha d'elle.
- Tu es radieuse, dit-il d'une voix chargée d'émotion.
- Merci, répondit-elle en riant légèrement, tu n'es pas mal non plus.
- Me permets-tu ?
Il lui proposa son bras et c'est avec joie qu'elle l'accepta. Ainsi, bras dessus bras dessous, ils se rendirent à la voiture. Anise, qui avait assisté à la scène depuis le premier étage, se rendit dans sa chambre et sonna avec rage la clochette.
Quelques secondes après, un domestique frappa.
- Fais venir Jules, gronda-t-elle.
Le serviteur obéit prestement, voyant la colère noire de sa maîtresse. Peu après, ce dernier entra. Il était d'une loyauté à toute épreuve envers Anise. Il ferait tout pour elle. Ancien criminel, il lui était dévoué depuis qu'elle l'avait sauvé de la peine de mort, mais c'était un secret entre eux deux. Personne ne le savait.
- Vous m'avez fait appeler, madame.
- Jules, j'ai une mission pour toi. C'est de la plus haute importance, je n'admettrai aucun échec.
L'individu hocha la tête, comme on le faisait dans l'armée.
- Tiens, ce flacon contient un puissant poison. Je sais que chaque matin, Heera prend une citronnade dans sa chambre, tu y verseras deux gouttes.
Il prit la petite bouteille entre ses mains.
- Très bien madame, il sera fait selon vos désirs.
- Tu peux te retirer. Et n'en parle à personne, sinon j'en finirai avec ta vie, dit-elle sans ménagement.
Il s'inclina et sortit. Anise, qui était assise, regarda la lune qui brillait fortement dans le ciel et écrasait tout autre astre de sa lumière.
« On verra si tu pourras survivre à ce que je te prépare, Heera. Bientôt, tu ne pourras plus émerveiller personne. Et ce jour, la victoire sera à moi. »
Annotations