Épisode 2 - L'unité Danto

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 Les Utak déjeunaient en silence. Makoto buvait son bol de café en lisant le Chikara’s Chronicles, tandis que son fils unique était tout à ses céréales. C’était un grand jour pour sa carrière, le premier au sein de son équipe de formation en tant qu’aspirant ninja. Sa convocation ne lui avait offert que le nom de son sensei : Kurada Danto.

 Makoto s’était montré satisfait de cette nouvelle. A l’en croire son père, Kurada était un Jounin extrêmement talentueux qui avait refusé une promotion afin de rester sur le terrain. Bril n’aurait pas pu tomber sur meilleur mentor afin de faire de lui un véritable shinobi.

 Terminant son jus d’orange, le Genin remarqua que son père plissait les yeux, soucieux, en lisant son journal.

— Mauvaises nouvelles ? demanda-t-il en déglutissant.

— Je t’ai déjà dit de terminer avant de parler, soupira Makoto en fermant son journal.

 Il se pinça la base du nez tout en posant sa lecture. Quelques mèches descendirent devant son front. Avec ses cheveux mi-longs et sa barbe finement taillée, Makoto attirait le regard tant par son charisme que par l’aura de puissance qu’il dégageait, accentué par une profonde cicatrice lui traversant le visage.

— Homare subit la pression de Shinobi. Leur force économique est la seule chose qui leur permet d’éviter une guerre. Et comme toujours, la Mère déploie de temps à autre ses forces à travers le Yuukan en guise de démonstration d’autorité…

 Homare était le plus récent des Villages ayant fait sécession de Shinobi, suite à la décision de cette dernière de chasser sa population non-ninja. De fait, Homare souffrait d’un grand manque d’adepte du Chakra.

— Pourquoi on ne les écrase pas ? demanda Bril avec fougue.

 L'incompréhension de Bril était aussi sincère que son manque de maturité, ce qui arracha une moue agacée à son paternel. Le jeune Utak était un shinobi doué, mais il lui restait encore beaucoup à apprendre. Makoto tapota la table de son index, cherchant ses mots.

— Shinobi n’a plus la puissance de son âge d’or. Mais penses-tu vraiment que nous nous en sortirions sans mal ?

— Sûrement pas, avoua Bril sans perdre son ton vindicatif. Mais si nous les laissons agir, ils continueront de nous menacer !

— L’équilibre des forces entre les Villages ne tient qu’à un fil, objecta Makoto avec calme et pédagogie. Que feront les autres si nous lançons une offensive contre Shinobi, selon toi ?

 Bril se mordit une lèvre, comprenant soudainement les failles de son impulsive logique. Les réponses tombaient sous le sens. Les autres Villages profiteraient forcément de l'affaiblissement de leurs défenses pour les achever, tout comme Chikara le ferait face à un rival dans la même situation.

— Chacun joue ses cartes avec la plus grande précaution afin de s’imposer face aux autres, continua Makoto, toujours professoral. Les alliés du jour peuvent devenir les ennemis de demain.

— Penses-tu qu'une guerre est inévitable ?

— Inévitable, je ne sais pas. A titre personnel, je ne le souhaite pas. Notre famille a souffert de la première Grande Guerre et a été réduite à peau de chagrin suite aux affrontements contre Mahou qui ont suivi.

 En prononçant ses derniers mots, il soupira de lassitude. Bril savait que sa famille n’était pas la seule à avoir payé le prix de la défense de Chikara, comme bien d’autres. En dehors de Bril, il ne restait à Makoto qu’une sœur et un frère, plus jeune que lui. Se reprenant, le Jounin lui adressa un petit sourire qui se voulait optimiste :

— Nos dirigeants œuvrent pour le bien de notre peuple, fils. Si guerre il doit y avoir, nous accomplirons notre devoir. Le reste n’est pas de notre ressort.

****

 Premier arrivé et ne supportant pas l’inactivité, Bril s’échauffait de quelques exercices. Allongé, le Genin travaillait ses abdominaux. Les tempes caressées par des gouttes de sueur, il était énergisé par la tiédeur qui lui picorait le dos lorsqu’il se rapprochait du sol de sable chaud.

— Tu veux t’épuiser avant le début de l'entraînement ?

 Bril sursauta et se releva prestement. Mains croisées derrière le dos, un homme pourtant imposant était discrètement apparu derrière lui et paralysa le jeune garçon par sa simple aura. Bril sentait qu’il le perçait derrière ses lunettes arrondis, augmentant son malaise. Malgré tout, l’homme arborait un léger sourire amusé qui allégea quelque peu le stress qui s’était soudainement emparé du Genin.

 L’Utak comprit qu’il avait devant lui son sensei : Kurada Danto. D’un certain âge, ses cheveux grisonnants étaient plaqués en arrière et tombaient en deux fines mèches au niveau du front. Le shinobi était vêtu d’un grand manteau rouge traditionnel.

 L’aspirant tenta de répondre, mais seul un léger gargouillis parvint à sortir de sa gorge. Le Jounin haussa un sourcil amusé par dessus ses lunettes :

— Et bien mon grand ? Le surmenage te coupe le sifflet ?

 Bril n’eut pas le temps de songer à une réponse, interrompu par une fille et un garçon de son âge se dirigeant vers eux. La jolie rousse avait les cheveux longs attachés en une queue de cheval, dont plusieurs mèches encadraient avec élégance son visage aquilin. Mais ce ne fut pas sa couleur de cheveux qui frappa de surprise l’Utak. A ses côtés l’accompagnait un étrange félin. Proche du léopard, il était toutefois plus musclé. L’Utak était prêt à parier qu’il n’en demeurait non moins aussi rapide, voire davantage. Bril s'interrogea sur la gêne que pouvait provoquer ses deux longues moustaches qui trainaient au sol.

 Bril parvint à identifier son espèce lorsque son regard croisa celui émeraude empli de méfiance de la bête : un Iguaro. Sa présence aux côtés de la kunoichi était étonnante, ces monstres ayant la réputation d’être extrêmement difficile à dresser. La demoiselle adressa un sourire timide à l’Utak, qui le lui rendit chaleureusement.

 Non loin derrière eux, un garçon aux cheveux aussi noirs que ceux de Bril les suivait en traînant des pieds. Mi-longs et désordonnés, ses yeux d’un noir profond, alourdis par des cernes conséquentes, évitèrent de croiser ceux des autres ninjas. Vêtu d’un tee-shirt et d’un pantacourt, tout dans son style et sa démarche semblaient témoigner de sa fatigue permanente.

 Kurada les accueillit en souriant, avant de reprendre la parole :

— Un Uchiwa, une Furiaki et un Utak. Le Village me fait don d’une équipe de prestige.

 Bril n’aurait su dire s’il était sincère ou ironique. Le fait de ne pouvoir lire son regard à travers ses lunettes opaques le perturbait dans son analyse du Jounin. Il observa discrètement la jolie rousse. Lorsqu'il avait entendu le nom de Furiaki , tout s'était éclairci pour Bril. Il s'agissait du clan de Chikara le plus talentueux en matière de kibajutsu, l'art d'apprivoiser monstres et animaux.

— A partir d'aujourd'hui, nous sommes une équipe et devons agir comme telle. J'ai lu vos dossiers. Bril Utak, un roc du style Migite. Chiaki Uchiwa, prodige du genjutsu et venant d'éveiller son dojutsu. Yoko Furiaki, d'une osmose rare avec son Lycaon.

 Kurada avait tourné la tête vers chaque Genin tout en citant leurs noms et particularités. Il s'éloigna de quelques pas, décroisa les mains et tendit ses bras de chaque côté dans un geste évoquant une invitation.

— Allez-y.

Les Genins s'échangèrent des regards, interloqués. Dépité par cette absence de réactivité, Kurada soupira.

— Il me faut vous tester avant de décider de la marche à suivre pour vos entraînements. Attaquez !

 Nouvel échange de regards entre les aspirants. Tous trois venaient tout juste de se rencontrer et aucun ne semblait pressé de prendre l’initiative. Un souffle de vent releva les mèches des deux garçons. Kurada apparut soudainement entre eux, tenant Yoko à la gorge. Stupéfait par sa vitesse, Chiaki resta ébahis à l’inverse de Bril qui en fut électrisé. L’Utak sauta vers le Jounin, poing en avant, et ne reçut qu’un léger sourire amusé pour toute réponse. La frappe de Bril n’eut pas le temps d’atteindre l’ancienne position de Kurada qu’un choc meurtrit l’ensemble de son corps.

 L’Utak chuta avec lourdeur au sol et aperçut du coin de l'œil des éclairs entourant les extrémités des moustaches du Iguaro, désormais relevées. Son grognement lui fit comprendre qu'il avait fait l'erreur de s'interposer face à la cible de son attaque. A sa gauche, Yoko peinait à reprendre son souffle. Bril se releva pour constater que Chiaki était enfin à l’action. Maniant son katana, il tentait vainement de frapper le Jounin. Ce dernier se contentait d’esquiver, mains dans le dos, tout en continuant à arborer son sourire amusé et teinté d’ironie.

— Je te prie de faire un effort, le provoqua t-il.

 Furieux, les yeux de l'Uchiwa virérent à l'écarlate, un unique virgule noire apparaissant dans chaque oeil. Rugissant, il tenta une frappe taille, aisément esquivé par Kurada qui éjecta le Genin sur quelques mètres d’un simple croche-pied. Il se releva et constata que Yoko et Bril venaient de reprendre leurs esprits. Léger rictus en coin, il dégagea une main comme pour prendre une posture de combat, mais se contenta de leur faire signe de s’approcher. Le Jounin ne les prenait clairement pas au sérieux et s’amusait de leur impuissance tout en les provoquant.

 Sans même jeter un regard à son partenaire encore engourdi par le jutsu du Iguaro, la kunoichi se saisit d’une poignée de shurikens dans chaque main tandis que son animal se précipitait sur le Jounin. L'expression de Yoko venait de se métamorphoser, passant d'une réserve presque craintive à un regard concentré et déterminé.

 Les pattes de la créature se chargèrent en électricité et s'abattirent sur le Jounin qui se révéla toutefois bien plus rapide que le félin. Multipliant les vains assauts, les yeux de la créature étaient enflammés par le désir de déchiqueter l'insaisissable proie. Dès qu'elle en avait l'occasion, Yoko envoyait des volées de shurikens que Kurada para sans mal de sa main gauche. L'autre restait nonchalamment derrière son dos durant l'ensemble des manœuvres de ses adversaires

— Il m'énerve ! pesta-t-elle, frustrée.

 Bril composa des mudras et se déplaça pour prendre le Jounin à revers. Convaincu de son effet de surprise, l'Utak pointa la paume de sa main, décidé à balayer leur adversaire par le puissant souffle de vent. Kurada éclata de rire en calant un coup de pied au félin, l'expédiant vers Bril qui éjecta sans le vouloir la créature avec son Fuuton. L'Iguaro s'écrasa quelques mètres plus loin, inconscient. Folle d'inquiétude, Yoko se mit à ignorer le combat pour analyser les blessures de son ami.

 Réfléchissant en panique à son prochain coup, Bril vit une silhouette se dessiner au-dessus de leur adversaire. Une boule de feu en approche dans son dos, Kurada adressa un large sourire à l’Utak, ponctué par un bref salut de la main avant de disparaître. Le Gokkakyu heurta le sol, soulevant un nuage de sable qui aveugla l’adepte du Migite.

— Imbécile ! enragea-t-il. J’y vois plus rien.

— Dissipe ça avec ton Fuuton !

— Je ne peux m’en servir que si je vois où je le dirige, débile !

— Super. Je vais encore devoir me débrouiller tout seul…

— Non mais t’es s...

 Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Une main se posa fermement sur le haut de son crâne et exerça une pression douloureuse. Bril sentit un visage s’approcher de sa joue et déclarer comme s’il s’agissait d’une excellente blague :

— Je viens de briser ton crâne.

 Bril cligna des yeux, recouvrant la vue. Il vit un kunai frôler le visage de Chiaki, suivi du commentaire sur la même intonation de Kurada :

— Cervelle percée.

 Il relâcha sa prise, laissant l’Utak se débarrasser des restes de grains de sable en se frottant les yeux. Le Jounin se tourna vers la kunoichi :

— Ça va ? Si on te dérange, dis le nous.

 Yoko se releva, penaude :

— Tora va bien, dit-elle d’une voix tremblante.

— Evidemment. Je n’allais pas le blesser durant un entraînement.

 Il retira enfin sa seconde main de son dos et croisa les bas. Ses épaules se relevèrent et s’affaissèrent tandis qu’il expira de dépit :

— On a du boulot pour faire de vous une équipe. Franchement, j’aurais pu vous écraser en utilisant uniquement mes jambes. Si je me suis servi d’une main, c’était par pur jeu.

 Bril et Yoko fixèrent leurs pieds, honteux. A l’inverse, Chiaki fit quelques pas vers leur mentor.

— Vous êtes sérieux ? s’exclama le Uchiwa avec colère en le pointant du doigt. On sort tout juste de l’Académie, évidemment que vous nous écrasez !

— Je me fiche de vos capacités, rétorqua avec froideur le Jounin, adoptant une expression froide et sévère. Je vous ai dit que j’ai lu vos dossiers, je sais de quoi vous êtes capable. C’est votre capacité à travailler en équipe que je jaugeais aujourd’hui. Et vous avez lamentablement échoué.

 Un silence lourd de sens s’abattit sur le petit groupe. Que pouvaient-ils répliquer à cela ? Kurada avait totalement raison. Les Genins s’étaient battus à tour de rôle, sans même se concerter sur un plan d’action. Certes, ils ne se connaissaient que depuis moins d’une heure mais le Jounin avait récapitulé les grandes lignes de leurs styles respectifs pour leur donner une chance de réaliser quelques actions communes. En mission, ils auraient sûrement été tués par une équipe présentant la même configuration que la leur. Face à une unité unie, cela aurait été un carnage.

— Pédagogie merdique, ne put s’empêcher de cracher Chiaki avec rancœur.

 Kurada s’approcha de lui sans se départir de son air moqueur. Il se pencha net, à quelques millimètres du visage du Genin :

— Attends que je te fasse cracher tes tripes à l'entraînement pour ce genre de commentaire, mon petit.

 Il se releva et frappa dans ses mains :

— Fin de la récréation ! On passe aux choses sérieuses ! Pour commencer, les bases !

 Bril déglutit, effrayé. Entre cette notion d’amusement et la réplique qui avait cloué Chiaki sur place, leur formation s’annonçait éprouvante. Il échangea un regard évocateur avec Yoko tandis qu’ils recevaient les premières instructions. De son côté, le Uchiwa se calma et sembla bien vite las.

 Kurada avait jugé que leurs techniques de malaxage étaient au point et qu’ils pouvaient passer directement aux différentes manipulations du Chakra. Satisfait de leurs connaissances théoriques, ils passérent bien vite à la pratique, Le Jounin leur demandant de perfectionner la pratique où ils étaient le plus faible. Bril et Chiaki s’exerçèrent donc au ten, qui permettait de retenir son Chakra lors de sa formation pour l’économiser. Yoko s'entraîna au gyo, qui visait à accroître la force de frappe du shinobi.

 Bien vite, Yoko et Bril se rapprochèrent. Étant chacun bon dans l’exercice de l’autre, l’entraide vint naturellement. Également performant en gyo et bénéficiant des conseils de Yoko de par leur proximité, le Uchiwa tenta de l’aider à son tour. Tout cela sous le regard approbateur de Kurada, qui précisait au besoin les conseils des uns et des autres. Voyant le regard interrogatif de Bril envers Tora, Yoko lui précisa que le Lycaon était en train de s'entraîner au ten lui aussi.

 A la fin de leur première journée, le Jounin nota un début de progrès. D’un point de vue martial, les trois jeunes gens étaient appliqués. Nul doute qu’ils perfectionneraient bien vite leurs compétences. Au-delà de cela, Kurada avait ressenti un cocon de synergie naitre entre les Genins. Ils avaient déjà intégré la leçon de leur combat. Même Chiaki, qui ne se départissait toutefois pas de son expression ennuyée, y mettait du sien à sa manière.

 Il frappa dans ses mains pour interrompre leurs exercices. Le temps de conclure cette séance était venu.

— Bien, conclut Kurada en les récompensant d’un sincère sourire dénué de tout sarcasme. Je suis satisfait de ce que vous venez de me montrer. On pourra peut-être tirer quelque chose de vous finalement. Reposez vous, de longues journées vous attendent.

 Lorsqu’ils se séparèrent, Bril hésita à proposer à ses compagnons de les accompagner jusqu’à chez eux afin de faire plus ample connaissance. Le Uchiwa les quitta toutefois rapidement, n’ayant clairement pas l’intention de supporter leur présence plus qu’il n’en était obligé. Ne restait plus que Yoko et Bril, qui hésita une fraction de seconde de trop.

— Bon et bien, à demain.

 La Furiaki lui adressa un adorable sourire, avant de lui tourner le dos pour rentrer chez elle en compagnie de Tora. Bril resta interdit quelques instants, envahis d’un sentiment étrange. L’électrochoc de l'Iguaro l’avait-il davantage impacté qu’il ne l’avait cru ?

 Il finit par se secouer la tête, puis rentra chez lui pour suivre le conseil de son sensei. La journée avait été riche en émotions et il savait qu’il lui faudrait du repos pour tenir le rythme intense qu’allait leur imposer l'impitoyable Jounin.

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