4. Part part mauvais rêve.
Encore un jour où le soleil se lève sur Londres, et comme toujours une fine bruine tombe du ciel, mais des éclaircies sont à prévoir dans l’après-midi, ce qui veut dire que Elly aura le droit à une promenade avec son père. Où vont-ils aller cette fois ? Le long des bords de la Tamise, un parc, une aire de jeu, un musée ? La sortie du dimanche est sa préférée.
Mais aujourd’hui est un jour un peu spécial. Et ce parce qu’Elly a une idée derrière la tête. Depuis quelque temps, il a compris que Tim n’avait pas à aller ouvrir la porte de la librairie le dimanche. Ce qui veut dire que pour lui aussi c’est un jour de repos. Et comme son papa et Timmy semblent tout le temps de mauvaise humeur quand ils se voient, ils pourront se réconcilier en s’amusant ensemble. Comme lui et ses copains à l’école.
Et même si l’idée de Elias est géniale, il faut encore qu’il en parle à son père. Et que ce dernier dise oui pour une sortie avec l’une des personnes qu’il apprécie le moins sur Terre. Bon il ne part pas totalement défaitiste, depuis quelques jours Sam et Tim entretiennent une relation cordiale. Ils se disent bonjour, même si quelques piques sournoises se glissent quelquefois dans la conversation. Finalement, il y a peut-être quelque chose à sauver entre ces deux-là.
Pour mettre son plan à exécution, Elly a besoin de mettre toutes les chances de son côté. Quoi de mieux que de préparer le petit déjeuner ? Il ne peut pas utiliser la cafetière à filtre de sa maison, et pour cause : il n'a pas le droit ne serait-ce que de s'approcher à un mètre de la bouilloire. Stratégie numéro deux : la cafetière de Tim, alors au réveil comme à son habitude, il entre dans la chambre de son père, lui dit qu'il descend voir Tim, promet de faire attention dans les escaliers et le voilà parti. Alors, Elly ne sait pas utiliser la machine haute gamme du rez-de-chaussée, mais Tim boit toujours son café après lui avoir préparé son chocolat. Le petit garçon connaît bien les habitudes du libraire : Tim fait son café avant le chocolat, parce qu'il n'aime pas trouver le goût du chocolat dans son breuvage.
— Bonjour bonhomme ! salue Tim en lui ouvrant la porte.
— Bonjour !
Telle une tornade, Elias slalome entre les cartons et se fraie un chemin jusqu'au comptoir. Parfait : les deux tasses sont sur le plateau en bois ancien de plusieurs décennies et Tim est encore occupé dans les rayons. C'est le moment !
Ni une ni deux, il attrape les tasses, passe la porte et dit -crie- qu'il rapportera “la” tasse après. Il monte dans l'ascenseur et appuie sur le bouton serti d'un 2. Plus sûr que les escaliers, il trouve tout de même que cet appareil fait un bruit douteux. Une fois arrivé chez lui, il pose les deux tasses par terre afin d'actionner la poignée. Gardant la porte entrouverte, il reprend les tasses et se dirige vers la cuisine. [Faute d'avoir pensé à tous les aspects de ce plan lorsque la porte de l'appartement claque, la voie de son père s'élève dans l'air.]
– Elly, c'est toi ?
Il hurle un grand oui avant de repartir aussi sec. Sur le palier, il fait quelques pas puis sonne chez sa voisine, Madame Tomson ne met pas longtemps à lui ouvrir.
– Bonjour mamie !
– Bonjour mon grand ! Qu'est-ce qui t'amène de bon matin ?
– Des scones ! .... Non. Mamie je veux, ... non, je peux avoir des scones s'il te plaît ?
Madame Tomson rigole toujours un peu en voyant le petit hésiter avant de demander quelque chose, mais elle est bien obligée d’être fière des progrès du petit en matière de bonnes manières. En revanche, elle ne savait pas qu’il pouvait venir jusqu’à sa porte pour lui réclamer ses fameux scones à la confiture. Heureusement qu’elle en a fait une fournée ce matin ! Aussitôt les scones mis dans les mains du petit, celui-ci repart aussi vite qu’il est arrivé.
Une fois de retour dans sa cuisine, il se met en quête du petit plateau à petit-déjeuner qui se trouve quelque part dans un des placards du bas. Une fois attrapé, il dispose les tasses, l’assiette de scones encore chauds et se concentre très, très fort pour ne rien faire tomber.
Une fois la porte de la chambre de son paternel poussée, il vient déposer le festin sur la table de chevet avant de sauter sur le lit de son père. Il fût pris d’un fou rire, et une bataille de chatouilles ainsi que des coups d’oreiller s'ensuivent. Sans surprise, Sam gagne en coinçant son fils sous la couette. C’est là qu’il avise le petit déjeuner au lit.
– C’est quoi ça Elly ?
– C’est pour toi !
Si un milliard de questions se bousculent dans sa tête, il ne peut s’empêcher d’être heureux face à cette petite attention. Qui ne serait pas attendri par ce genre de petites choses ? Un petit déjeuner au lit un dimanche matin, qui pourrait rêver mieux ? L'interrogatoire attendra, il voit bien que la tasse n’est pas une des siennes. Elle a bien trop de fantaisies dessus, et le café n’a pas le même goût que celui qu’il boit habituellement.
– C’est pourquoi tout ça ?
– Pour emmener Tim avec nous, répond Elly le plus naturellement du monde.
Sam se sent de bonne humeur ce matin, et il part du principe que tout travail mérite salaire, alors préparer un sandwich de plus pour midi et tolérer Timothy Wildford toute la journée, ça devrait être dans ses cordes. Il a survécu dans le désert, alors un petit libraire londonien ce n’est pas ça qui lui fait peur. Après s’être préparé, c’est même lui qui propose de les accompagner. Soutenu par son fils, bien évidemment.
– J’ai l’inventaire à faire, et le renvoi de livres aussi.
– Ça peut attendre. Je t’aiderai ce soir si tu veux, mais viens avec nous. T’as le droit -et le devoir- de prendre une pause de temps en temps.
– Mais…
– Il n'y a pas de mais qui tienne, en fait tu sais quoi, je ne te demande même pas ton avis, tu viens, point à la ligne. Tu fermes boutique, tu changes de chaussures, tu prends une veste et on s’en va.
Presque aussitôt dit, aussitôt fait. Tim a laissé les choses en état, a fermé la porte du hall qui donne accès à la librairie depuis le hall. Il est monté dans l’appartement, a pris son ciré jaune, des chaussures de rando, un petit sac avec une gourde, et le voilà assis sur la place du mort dans la voiture de Anderson.
La promenade dans les bois, à travers quelques rayons de soleil et une fine pluie intermittente, les ont ressourcés. Tim ne se voyait pas passer son dimanche à empêcher Elly de manger tous les champignons, comestibles ou non, qu’il trouvait. Ni pique-niquer dans une voiture. Ou encore à faire la course avec Samuel Anderson. Le défi est parti d’une question de fierté à deux balles sur lequel d’entre eux arriverait en haut d’une colline en premier. Tim en plus de s’être fait battre à plate couture, a failli y laisser un poumon. Tout compte fait cette excursion aura eu du bon.
Comme promis Sam l’a aidé à s’occuper de ses tâches à la librairie. Une fois l’inventaire fait, le rangement et le grand ménage terminés, Timothy propose un café à Sam en le remerciement pour la journée, et la bière de l’autre fois.
– C’est plutôt moi qui devrais te remercier, finit par souffler Sam. Un peu gêné, il passe la main sur sa nuque. Tu m’aides beaucoup, tu nous aides beaucoup et on n’est pas forcément facile à vivre et…
– Je t'arrête tout de suite ! Je ne fais pas tout ça pour avoir quelque chose en retour Samuel, coupe vivement Tim.
– Je ne dis pas que tu cherches à gagner quelque chose, je te dis merci, pour ce que tu fais.
– Tu n’as pas besoin de me remercier !
– On ne va pas se prendre la tête sur ça aussi !
Tim soupire, ramasse les tasses et les mets sur le plateau pour les monter à laver, c’est là qu'il remarque qu’il en manque deux dans son jeu. Il se disait qu’il n’était pas totalement miro, il avait bien préparé un café ce matin.
Si Tim donne de sa personne avec les Anderson et tout particulièrement avec Elias, c’est avant tout par égoïsme. Il devrait peut-être se montrer plus honnête avec eux. Les dernières semaines ont montré qu’en mettant un peu d’eau dans leur vin, les deux compères pouvaient passer de bons moments.
– Tu n’as pas besoin de me remercier, je fais ça surtout par égoïsme en fait. Avisant la mine perplexe de Sam, il s'explique : je profite à fond de ce que Elly m’offre, de sa joie, sa confiance, de le voir grandir, son amour aussi peut-être… parce qu’il est possible que je n’aie jamais d’enfant. C’est purement égoïste. Je me doute qu’un jour il va grandir et que le libraire du coin, qui lui raconte des histoires, ne sera plus son super copain. Alors en fait c’est plutôt à moi de te remercier de me laisser voir Elias.
Sam n’en revient pas, et il ne sait pas quoi répondre à cela. Finalement c’est sans avoir dit un mot de plus qu’il part avec son fils. La journée est loin d’être terminée, entre revoir les devoirs pour demain, préparer le dîner, et coucher le petit. Tout autant de temps pour ruminer les paroles de Tim. Du peu qu’il connaît de son propriétaire, il n’a aucun doute qu’il ferait un bon père. Mais quelque chose lui turlupine les méninges : Tim ne pourrait pas avoir d’enfant. Il suppose que quand on en veut, savoir cela déclenche une profonde tristesse. Un profond malheur. Ce qu’il veut savoir c’est pourquoi ? Et cette question relève de l’intime. Pas sûr qu’ils soient assez proches pour parlementer à ce sujet, mais tout de même, Sam reste intrigué. Dans le monde dans lequel on vit, il y a peu de raisons pour lesquelles on ne peut pas avoir d’enfant. Sam ira donc se coucher avec ses questions plein la tête. Des questions qui resteront très certainement sans réponse.
Pourtant ce n’est pas ça qui va le faire avoir des sueurs froides ce soir, ni hurler dans son sommeil. Il en hurle à un tel point que ça réveille Elias. Surpris et inquiet par les bruits, il a d'abord cru que quelqu’un était en train d'attaquer son papa. Alors en prenant tout son courage à deux mains, et accompagné de Monsieur Dou, il s’est levé pour voir ce qu’il se passe. C’est la première fois qu’il voit son père comme ça, dans son lit, en train de se débattre. Il l’appelle depuis le pas de la porte mais pas de réponse, il retente sa chance, s’approche mais les gestes de son père l'effraient. Il essaye plus fort, toujours rien. Plus les secondes passent, plus le petit garçon ne sait pas quoi faire face à la détresse évidente de son père.
Bientôt cette situation va déclencher chez Elias une crise d'angoisse : Samuel est en plein cauchemar. Malgré ce qu’il peut croire, il lui reste des séquelles de ces quelques mois en mission. S’il n’a pas de syndrome post traumatique, la vision de l’horreur marque et laisse des traces. Des petits bouts de l’enfer qui se glissent dans le petit paradis qu’il sait créer. Les rares fois où son esprit se remémore ces périodes, il arrive à les surmonter. Mais jamais seul, l’aide d’un psy a toujours été primordiale. Malheureusement, dans le processus, la guérison arrive toujours après l’accident et il lui faudra surmonter cette épreuve. Même s'il n’en a pas conscience, Sam demande actuellement à un enfant de s’occuper d’une crise. Il en a vu des camarades s'effondrer après des nuits rythmées par les mauvais rêves, mais pour Elias, les cauchemars ne durent jamais longtemps, il lui suffit de serrer son doudou contre lui pour que ce soit fini. Ou d’avoir un câlin de son papa ou de Tim.
Timmy ! Voilà la solution. Si lui n’arrive à rien, peut-être que Tim pourrait faire quelque chose. Après tout c’est un adulte. Il lance alors Monsieur Dou dans le lit de son père avant de partir en quête de son libraire préféré à 2 heures du matin. Parti comme une fusée, il fait demi-tour en arrivant à deux marches du rez-de-chaussée, à cette heure-ci la librairie n’est pas ouverte et Tim doit être dans son lit. Une fois arrivé à bon port, il ne se formalise pas de trouver la porte d’entrée non verrouillée et se met en quête de son sauveur qu’il trouve sans grande surprise allongé dans son lit.
Pas de corps en vue qui s'agite dans tous les sens, il peut donc se lancer et sauter sur le lit pour réveiller son occupant. Tim n’a pas le temps de comprendre ce qu’il se passe, que Elias reprend la parole, affolé.
– C’est papa !
Il n’en faut pas plus à Tim pour sortir de son lit et suivre précipitamment le petit jusqu’à l’étage du dessous. Analysant la situation, Tim avise Sam qui est toujours en train d’avoir des sueurs froides dans son lit. Et vu l'heure, ce qu’il se passe dans l’esprit de Sam a dû être la cause du réveil de Elly. Il faut procéder par priorité, ou plutôt gérer le plus simple. D'abord remettre le petit Anderson au lit, et le rassurer. Alors Tim ferme la porte de la chambre, et prend le garçon dans ses bras. Une fois à nouveau bordé, il allume la veilleuse et met le mode qui sort une berceuse au son saccadé. C’est mieux que rien.
– Eh bonhomme, que d’aventures dit donc, dit-il avec la voix la plus calme qu’il peut avoir.
– Il a quoi papa ?
– Il fait juste un mauvais rêve, je vais aller le voir et ça ira mieux. En prononçant ces mots, Tim espère vraiment que ce n’est qu’un mauvais rêve et que cela ne montre pas quelque chose de plus grave.
Il a connaissance du CV de Samuel Anderson. Mais il ne s’est jamais intéressé aux potentielles séquelles qu'il pouvait avoir. Alors après être sûr que Elly soit apaisé par le calme de sa petite chambre, il referme délicatement la porte, puis pousse celle de l’autre chambre de l'appartement.
Comme précédemment, Sam ne répond pas aux interpellations. Tim n’a pas le choix, il choisit une autre tactique, il verra plus tard pour les conséquences de ses actes. Il monte dans le lit, s'assit au côté du corps agité, pose une main sur l’épaule de l’endormi. Le manque de réaction l'inquiète un peu mais ce n’est pas anormal.
– Samuel, tu es chez toi, tout va bien, dit-il doucement.
Tim continue de lui susurrer des mots calmes et rassurants, avec pour seul contact sa main sur l’épaule de Sam. Le but étant de ne pas le surprendre de trop. Il ne faudrait pas qu'en plus des images qui défilent devant ses yeux, il se sente agressé de l’extérieur.
Contre toute attente, il commence à se calmer au bout d’une vingtaine de minutes, avant de se réveiller en sursaut. Son cerveau a effectué un cycle, Sam essaye de comprendre où il se trouve. Tim s’approche doucement, lui disant qu’il est chez lui, que tout va bien, qu’il se trouve à Wildford House, en sécurité. Quand il reprend son souffle, Sam s’essaye à prendre la parole.
– Qu’est-ce que tu fais là ?
– Elly est venu me chercher.
– Merde, jure Sam.
– Tout va bien, il est couché.
Sam souffle un “ok” avant d’aviser la main toujours sur son épaule, il y passe la main et l’attrape comme si sa vie en dépendait. Il se sent sur un équilibre précaire. Les images qu’il vient de revoir, en plus des modifications de son imaginaire, le mettent tellement à mal qu’il se sent sur le point de craquer. Il aurait bien besoin d’une bouée de sauvetage ce soir et il sait bien que Tim ne le jugera pas. Alors il essaye.
– Tu veux bien rester là ce soir ? sort-il d’une voix tremblante.
Tim aurait pu hésiter quelques instants avant de se coucher à côté du corps encore craintif. C’est presque naturellement qu’il se glisse entre les couvertures et laisse Sam s’enrouler autour de lui. Il ne pense à rien d’autre qu’à le rassurer. En embrassant son front, continuant à lui dire des mots rassurants, Sam finit par arrêter d’avoir des spasmes. Il se rendort, apaisé. Le blond aurait pu partir, mais il reste là à caresser les cheveux bruns coupés court de Sam, jusqu’à l'endormissement. La nuit aura été riche en rebondissements, il a cru quelques secondes qu’il n'arriverait jamais à le réconforter, à faire partir ce mauvais rêve.
Même si Samuel vit dorénavant une vie heureuse et paisible, le passé le rattrape toujours. Tim en a douloureusement conscience.
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