5. La chasse est ouverte !

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Les événements des dernières semaines vont devoir laisser place à une tradition à Wildford House…. les fêtes de Pâques. Le seul moment où Monsieur Tomson sort de chez lui, alors qu’aucune partie de bridge ne se profile. La coloc des étudiants se lance volontiers dans la partie, une sorte de petit retour en enfance. Cette année ils se sont d’ailleurs chargés de la déco tous les quatres. Les murs sont recouverts de banderoles en papier dans des tons pastel. Le toit-terrasse s’est vu revêtir des nœuds en papier fripon, si gros qu'on ne voit plus les plantes dans lesquelles ils sont plantés.

Cette joyeuse décoration cachera peut-être la gêne qui se sent dans l’air depuis quelques jours. Et pour cause, Tim et Sam agissent bizarrement depuis l’autre soir. On ne les entend plus se gueuler dessus dans les couloirs, se lancer des piques au comptoir de la boutique, râler à cause des cartons de livres dans le sas d’entrée, faire des remarques sur les portes qui grincent. Par ailleurs, il semblerait que Marc ait trouvé un bidon d’huile pour pouvoir s’occuper des gongs de l’immeuble. Enfin, la porte de la librairie ne grincera plus et ne sera plus impossible à ouvrir pour Elly. Et ça, c’est une bonne nouvelle pour lui. 

Tim et Sam se sont retrouvés chargés de cacher les œufs en chocolat. Depuis l’autre soir, l'ambiance entre eux est étrange : Sam s’est réveillé emmitouflé dans les bras de Tim en étant extrêmement conscient de ce qu’il s’était passé dans la nuit. La façon dont Tim l’a serré contre lui, la manière dont il en a redemandé. “ Serre-moi plus fort”. Quelques mots seulement, quelques mots murmurés par son cœur meurtri. Aujourd’hui son cerveau doit gérer ce qu’il a ressenti, et il a choisi apparemment de se comporter comme un adolescent de dix-sept ans qui commence à avoir des relations : le jeu du “fuis-moi je te suis”. Jeu qui ne prend pas, parce qu’avec Elly dans les pâtes, éviter Timothy Wildford c’est comme vouloir arrêter de respirer et continuer de vivre plus de trois minutes, impossible en somme. Il lui faudrait déménager sur un autre continent pour justifier à Elias qu’il ne peut plus voir Tim. Il ne sait plus où se mettre, mais pour l’instant, il faut qu’il réfléchisse à où mettre ces fichus œufs. 

L’année dernière, Elly avait mangé tous ceux qu’il avait trouvés au fur et à mesure de la chasse.  Finalement il n’y avait plus grand chose à manger à la fin de la journée et il avait été malade toute la nuit. Espérons que cette expérience lui aura servie de leçon. Cette année tout le monde a briefé Elias pour lui dire qu’ils partageraient tous les œufs trouvés au cours de la chasse en fin de journée. Celui ou celle qui en trouvera le plus aura le droit à un cadeau. Ils pensent que, peut-être, cette stratégie sera plus efficace que la précédente. Alors bien décidé à remettre ses problèmes à plus tard, Sam et Tim se partagent les tâches. Les appartements 1 et 2, ainsi que la librairie sont confiés au bon soin de Timothy. Les appartements 3, 4, et 5 sont pour Samuel. L'appartement 6 a bien un locataire, mais depuis la location, Tim ne l’a jamais vu, pourtant il a bien un loyer qui tombe tous les mois. Ce qui fait en tout cinq appartements, huit participants, et un cadeau à remporter. L’année passée, Alex de la coloc a gagné, bien que personne ne soit sûr du nombre d'œufs qu’Elly à bien pu ramasser. Va-t-il conserver son titre ? 

En bon chef de projet, Monsieur Thomas Tomson a revêtu une vieille salopette en jean usé, un chapeau de paille qui semble avoir vécu la guerre et une chemise à carreaux qui en a vu des vertes et des pas mûres. Pour être totalement dans le thème, Elias a lui aussi revêtu sa salopette et a enfilé ses bottes de pluie que Sam a dû récurer pour enlever toute la terre qui y était restée coincée. Il ne faudrait pas salir plus que de raison les appartements dans lesquels ils vont déambuler toute la journée.

Une fois le Go donné, tout le monde, excepté Tim et Sam, part pour la chasse. Les deux hommes, quant à eux, restent sur le toit-terrasse pour surveiller le chrono et la météo, parce qu’il ne faudrait pas que la pluie vienne ruiner les assiettes en carton et la nourriture. Mais quand tout le beau monde est parti, le silence, lui, occupe tout l’espace. Un silence lourd, et gênant. Tim ne veut pas lancer la conversation. Pour dire quoi de toute façon ? Il a bien compris que Sam l'esquive volontairement et plus que d’habitude depuis la nuit qu’ils ont passée ensemble. Ce n’est pas faute de vouloir savoir si Sam va bien, mais le brun ne semble pas ouvert à la discussion. Il ne faut pas forcer quand la personne en face de vous ne vous laisse pas l'approcher. Tim connaît ses bonnes manières. N’empêche que ça lui titille la langue. Il ne croit pas avoir fait quelque chose de déplacé dans son sommeil, mais le baiser qu’il a déposé sur son front était peut-être trop. Par réflexe, Tim a adopté les mêmes gestes qu’avec Elias, pour calmer peurs et pleurs. Mais sur un adulte ces gestes étaient trop intimes ou trop personnels. 

Tim tient tout de même à s’excuser, à remettre les choses à plat, surtout si Sam a mal vécu ces gestes. Alors il inspire, puis expire, quête autour d’eux pour être sûr de ne pas avoir des oreilles qui trainent par-ci par-là. Personne à l’horizon. Soit rien de plus normal vu les activités du jour.

– Tu as fini de t’agiter dans tous les sens ? gronde la voix de Sam.

Tim s’est fait démasquer, en même temps il n’y a rien de plus logique. Qui ne se poserait pas de questions face à son comportement ? Alors il reprend deux inspirations avant de se lancer, pour se dégonfler aussitôt devant la tête de Sam. L’air perplexe du brun et son sourcil gauche relevé en signe d'interrogation a fait perdre à Tim le peu de courage qu’il avait réussi à emmagasiner. Mais bon, il est tout de même empli de plus de volonté et finit par sortir quelques mots à voix basse. Ces quelques mots marmonnés n’arrivent malheureusement pas aux synapses de Sam, du moins pas sous la forme de quelque chose de clair et compréhensible.

– Tu peux répéter ?

– Je voulais m’excuser pour l’autre soir, pou-

– Je t'arrête tout de suite, tu n’as pas à t'excuser. 

Tim ne comprend pas et attend plus d’explications, mais à part le voir lui aussi commencer à s’agiter, il ne reçoit rien d’autre. Sam semble avoir envie de se carapater ailleurs. Dansant d’un côté à l’autre, tapant son pied sur le sol, frottant ses mains sur son jean. 

– Je te suis reconnaissant de t’être occupé de nous l’autre soir. C’était sympa de ta part de ne pas me laisser tout seul.

– Je n’ai rien fait, c’est Elly qui a réagi de façon admirable. Comment s’en est-il remis ?

– Bien, je crois. Je l’ai amené avec moi chez ma psy et je crois qu’il avait plus peur pour moi que peur de moi. Enfin bref il a dormi avec moi quelques nuits, et Monsieur Dou a élu domicile dans mon lit tous les soirs, lance-t-il avec un petit rire gêné.

Tim trouve la situation assez rigolote lui aussi, mais au moins le petit ne gardera pas de grandes séquelles de cet événement. Il semblerait que ça ait encore plus renforcé le lien entre le père et le fils. Finalement tout va bien, ou presque, car il reste quelques points à éclaircir. C’est le moment où il va devoir poser des questions un peu plus personnelles, et il suppose que vu que Sam ne lui en veut pas pour ses gestes, il peut se permettre de s'inquiéter un peu pour autre chose. 

– Et comment tu vas, toi ? demande-t-il doucement. 

Depuis qu’il les a laissés le lendemain matin, la mine fatiguée de Sam n’a pas quitté son visage. Sam ne sait pas vraiment ce que ça va lui coûter de se livrer à Tim. Ok il ne l'apprécie pas énormément, mais Sam doit bien admettre que le blond lui a permis de s’éloigner de ses démons cette nuit-là, et pour ça il ne pourra jamais lui dire suffisamment merci, et ce même si Tim n’en veut pas. Sam sait peser le pour et le contre dans n’importe quelle situation, déformation professionnelle. Alors se montrer honnête ne va pas le tuer, et même si ses quelques années dans l'armée de terre ne l’ont pas traumatisées à vie, il reste que certains moments de la vie vous marquent, surtout quand il s'agit de la guerre. Mais il peut en dire un minimum sans entrer dans les détails. 

– Je n’avais pas fait de cauchemars depuis la naissance d’Elly, je suppose que d’être concentré sur autre chose ça aide, commence Sam sérieusement. Avant que tu demandes, non il n’y a pas d'élément déclencheur. je n'ai pas revu, ni repris contact avec mes anciens camarades depuis un moment, et ma psy dit que parfois le cerveau nous joue des tours. Enfin bref, je m’en suis remis, j’ai fait quelques séances, et j’essaye de ne plus y penser.

– Ok, tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, on est là, je peux comprendre que tu ne veuilles pas me parler à moi, mais Marc est là aussi.  Ne garde pas tout ça pour toi.

Sam fait oui de la tête, avant de se tourner et de regarder l'horizon coupé par les immeubles. Étonnamment, il y a peu de nuages dans le ciel. La vie est peut-être un peu plus belle qu’il le croit.

– Désolé d’avoir été un con ces dernières semaines, dit-il.

– Oh…ça ne change pas de d’habitude. ajoute Tim avec un sourire narquois.

Sam le traite de connard avant de le pousser d’un coup de coude joueur. Et juste comme ça, les nuages qui pesaient au-dessus de leur tête se sont envolés. Tim sent un poids quitter ses épaules, et Sam se sent plus léger d’avoir quelqu’un sur qui compter. 

La journée reprend son cours, le premier à revenir est Alex. Encore une fois, c’est lui qui a réussi à trouver le plus de chocolats. Ce jeune a un flair à nourriture. Par on ne sait quel miracle, Elly a réussi à ne pas manger tous les œufs qu’il a trouvés, et seulement deux emballages vides se trouvent dans ses poches. Madame Tomson a même pris des chocolats pour tout le monde : une poule en chocolat remplie de bonbons pour les étudiants, un œuf aussi gros que la tête du petit garçon dans un praliné noisette pour les Anderson, des truffes 95 % de cacao pour Marc, et pour Timothy des chocolats fourrés au Limoncello. Le propriétaire a une passion folle pour cette liqueur. Il va devoir se faire violence pour ne pas tout manger tout de suite. Pour l’instant il doit rester suffisamment clair -et sobre- pour le grand repas qui les attend.

Moment convivial de partage et de joies, chacun a ramené quelque chose. Les étudiants ont réalisé des légumes rôtis, et ce sans réduire Wildford House en cendre. Les Tomson ont préparé leur fameuse purée de pomme de terre, Marc et Samuel se sont occupés de la viande, un au grill et l’autre au four. De quoi ravir tout ce beau monde. Tim réalise son fameux fondant au chocolat pour l’occasion, crème anglaise et chantilly l’accompagne.

Un repas avec de quoi ravir l'estomac de toute la tablée. Une heure et demie plus tard, les plats sont vides et plus rien ne traîne dans les assiettes. La vaisselle va traîner quelques instants sur la table, le temps que tout ce beau monde digère. Le reste de l’après-midi va être dédié à des jeux de société, mais pour l’instant la conversation est calme et l’air est plutôt à la sieste digestive. Alex et Elly, qui ont fini les plats aux doigts, dorment déjà, l’un affalé sur la table, l'autre dans les bras de son père. Les deux gloutons sont prêts à en redemander après cette petite pause.

Un thé plus tard préparé par Marry de la coloc, les jeux commencent. Un jeu de mime avec les jeunes contre les adultes, cinq contre cinq, Anderson junior contre Andersone sénior. Après quelques manches, les jeunes ont gagné haut la main. Les rires ont fini par enlever toute la morosité que Sam gardait quelque part au fond du crâne. L’enfer n’est jamais très loin mais pour l’instant il est serein. 

Le beau temps ne leur fera pas clémence de sa présence indéfiniment, la pluie est revenue d’un coup en fin de journée, il leur a donc fallu tout récupérer avant de pouvoir se mettre à l'abri. Voilà une tradition d'honorée, et une journée bien remplie. Tim est rentré chez lui tremper, mais il est enfin seul. Quoique sans doute trop seul dans ce grand appartement.

Après une douche bien chaude pour essayer de chasser le froid et l’humidité de son corps, il se lance dans la vaisselle qui l’attend. Une fois sa cuisine nettoyée et le rangement fini, le silence plane dans son salon. Comme souvent, l'espace vide laisse libre cours à ses idées pour emplir son esprit. Des pensées qu’il pensait derrière lui reviennent sans cesse, finalement Samuel n’est pas le seul à vivre avec son enfer sur le dos. Mais contrairement au brun, le blond ne se sent pas légitime de se plaindre face à ses soucis. 

Alors il hésite quelques secondes à prendre son cachet, avant de reposer la petite boite jaune circulaire sur sa table de chevet et d’aller dormir. Demain sera un autre jour. Et les choses semblent aller en s'améliorant. Pourtant le destin pourrait vite faire tourner les petits moments de bonheur au vinaigre. Malgré la journée magnifique qu’il a passée, il n’arrive pas à fermer les yeux. Tant pis pour la motivation, il chope la boîte, gobe son médicament, et s’enfonce sous sa couette, dépité. 

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