Chapitre 1

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Les rayons du soleil filtraient entre les volets quand Keira, les yeux rouges, retira ses écouteurs. Elle ferma son ordinateur portable d'un geste sec. Ça ne lui allait pas. Ça ne lui allait pas du tout. Des heures durant, elle avait modifié des passages de son nouveau roman, encore et encore. Pour autant, ça ne correspondait toujours pas à ses souhaits. Frustrée, elle arracha le crayon planté dans son chignon afin de libérer sa longue crinière noire.

Elle regarda la pendule. Bientôt dix heures. La nuit entière avait filé pendant qu'elle travaillait. Elle aurait dû aller dormir, mais, comme d'habitude, elle n'était pas satisfaite. Elle ne l'était jamais. Anis, sa meilleure amie, sa seule amie, qui était aussi son éditrice, le lui répétait constamment. Elle arriverait vers seize heures pour voir le manuscrit. Elle allait encore s'énerver.

Gaïa, l'autre habitante de l'appartement, sauta sur les genoux de sa maîtresse et se mit à ronronner. La jeune femme songea en la caressant, que la chatte avait besoin d'un régime. Elle ferma les yeux, concentrée sur le bruit relaxant de sa fontaine d'intérieur. Le son de l'eau qui ruisselle. Le ronronnement du chat. La douceur de ses poils...

Quand elle releva les paupières, plusieurs heures s'étaient écoulées. Elle se passa la main sur la figure, aperçut la pendule et jura en se levant d'un bond. Anis serait là d'une minute à l'autre. La pauvre Gaïa, surprise par ce sursaut d'humeur de sa maîtresse, bondit afin de se réfugier sous le canapé d'angle. Keira s'esclaffa. Un rien faisait tressaillir cette chatte, elle était si craintive. L'autrice cessa de rire. On dit que les animaux ressemblent à leur maître, elle ne pouvait pas le nier.

D'un mouvement de la main, elle chassa cette pensée amère, puis se précipita vers sa chambre. Elle démêla ses cheveux puis se lava le visage. Ensuite, elle se dirigea vers le dressing pour retirer le vieux survêtement qu'elle aimait porter lorsqu'elle travaillait. Un jean et un large t-shirt vert, assorti à ses yeux, remplacèrent ses habits confortables.

De retour dans le salon, elle fixa son ordinateur fermé. Ça la démangeait de le rouvrir. Elle avait beau changer les tournures de phrases, cela semblait ne jamais suffire pour exprimer ses idées. C'était peut-être ce côté perfectionniste qui plaisait à ses lecteurs. Elle hésita. Gaïa s'amusait à déchiqueter soigneusement une boulette de papier. Une parmi la multitude qui trainait ici et là. Quelle heure était-il ? Seize heures vingt. Anis avait déjà du retard. Elle ne pouvait pas l'accueillir dans un appartement si mal rangé.

Keira rassembla rapidement les feuilles et Post-its éparpillés, puis les jeta sans ménagement dans la corbeille sous son bureau. Il en restait certainement, elle noircissait chaque jour une quantité astronomique de papier avant de passer à la rédaction. Ça devrait pourtant suffire, si tête en l'air qu'elle soit, Anis n'allait plus tarder. Elle regarda une dernière fois son ordinateur, puis se dirigea, à regret, vers son aspirateur. Si son éditrice la voyait, une fois de plus, au travail à son arrivée, Keira n'avait pas fini d'en entendre parler. Elle termina donc son ménage, puis alluma sa console afin d'éviter de commencer une énième modification de son manuscrit. Les heures s'égrainèrent.

Dix-sept heures.

Dix-sept heures trente.

Dix-huit heures.

Anis ne venait jamais aussi tard sans prévenir. Keira consulta son téléphone posé sur la table basse. La batterie indiquait soixante-dix-huit pour cent. Aucun message ne s’affichait. Rien. Inquiète, elle décida qu'il ne servait à rien d'attendre plus longtemps. Elle s'empara de l'appareil dans le but d'appeler directement son amie.

— Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur d'Anis Coudert. Je ne suis pas là pour l'instant, mais laissez-moi vos coordonnées et je vous rappellerai dès que possible.

— Anis, c'est Keira, tu as peut-être oublié, mais tu devais passer aujourd'hui. Est-ce que tout va bien ? Rappelle-moi.

Après avoir raccroché le téléphone, la jeune femme ne parvint pas à chasser le mauvais pressentiment qui lui tordait les entrailles. C'était stupide. Anis était championne pour faire attendre les gens. Pourtant, elle ne manquait jamais un rendez-vous. Elle avait peut-être eu un accident. Aurait-elle dû prévenir son mari ? Keira chercha le numéro de Jérémy dans son portable. Elle découvrit qu'elle ne le connaissait pas. Seuls les numéros d'Anis et de la maison d'édition s'affichaient sur l'écran. Pour se rassurer, elle se répéta qu'il n'y avait probablement rien. Son cerveau refusait cependant d'abandonner : que devrait-elle faire si son amie avait fait une mauvaise rencontre ? Elle se leva et commença à se ronger l'ongle du pouce. Peut-être fallait-il partir à sa recherche. La seule idée de sortir lui donna des sueurs froides. Elle s'attaqua à l'ongle de l'index. Elle pouvait appeler les hôpitaux, ou la police. Mais, elle n'était pas de la famille. Elle n'était même pas sûre que quelque chose était arrivé. Elle allait passer pour une folle... une fois de plus. L'ongle du majeur.

Incapable de se vider l'esprit, elle tenta de rallumer sa console pour s'occuper. Peine perdue. Évidemment.

Dix-huit heures trente.

Keira attrapa son portable et cliqua sur le numéro de son amie. De nouveau, après quelques sonneries, la boîte vocale prit le relais.

— Anis, c'est encore Keira, rappelle-moi dès que tu peux.

Dix-neuf heures.

— Anis, je commence à vraiment m'inquiéter, alors s'il te plait, rappelle-moi.

Dix-neuf heures trente.

— Anis, que se passe-t-il ? Rappelle-moi !

Vingt heures dix, le téléphone sonna. Keira répondit aussitôt.

— Anis ? Tu m'as fait peur...

— Keira !

Son amie semblait fatiguée, au bord de la panique.

— Tu... tu sauras toi, hein ?

— Pardon ?

— Je t'en prie ! J'ai besoin de toi ! Je t'en supplie ! cria Anis la voix brisée.

— Attends ! Je ne comprends rien, explique-moi ! Qu'est-ce qui se passe ?

— C'est... c'est Lau... Laurine, sanglota la jeune femme. Elle a dis... disparu depuis deux jours. Aide-moi !

Laurine... Keira déglutit avec difficulté. Son cœur se mit à battre la chamade. Qui aurait pu en vouloir à cette petite poupée blonde de quatre ans ? La respiration hachée, elle lutta pour garder son contrôle pendant qu'elle assimilait l'information. Elle prit son front dans sa main libre, inspira profondément, ferma les yeux. Concentrée sur sa poitrine qui se levait et s'abaissait, elle tentait de ralentir son rythme cardiaque. Respire. Calme-toi. Respire.

— OK, qu'est-ce que je peux faire ?

— Trouve-la ! Je t'en prie, trouve-la ! La police piétine. J'ai engagé un détective, mais lui aussi piétine ! Toi, avec tes trucs, tu peux ! Alors, pitié, ramène-moi ma fille !

Ses derniers mots étaient presque un hurlement. Keira aurait voulu lui dire qu'elle ne savait pas faire ça, qu'elle ne serait d'aucune aide. Mais elle sentait que son amie se cramponnait à tous les espoirs. Elle avait l'impression d'être l'ultime rempart entre Anis et la folie. « J'arrive » furent les dernières paroles qu'elle prononça avant de raccrocher.

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